Comment la sexualité des ados évolue-t-elle avec le temps ?

De nombreux tabous sont tombés. Mais la découverte de la sexualité reste anxiogène dans un climat où la dénonciation des déviances et des pratiques “malsaines” occupe une large place.

ados et sexe
En Belgique francophone, l’âge du premier rapport sexuel se situe aux alentours de 17 ans. © Adobe Stock

Selon une enquête britannique de 2017, les pratiques sexuelles des ­jeunes seraient plus diversifiées qu’une vingtaine d’années auparavant. Le “classicisme” d’alors, entendez le mode de sexualité présumé des parents, serait battu en brèche par une banalisation de certaines pra­tiques, en particulier le sexe oral et le sexe anal. “Il y a une libération par rapport au fait de parler de ces pratiques, de les envisager, de les rendre moins taboues. Il faut néanmoins opérer la distinction entre ce qui relève de la représentation et ce qui est réellement mis en œuvre”, avertit Fabienne ­Glowacz, psychologue clinicienne de l’Université de Liège.

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Une autre enquête, publiée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP), nous avait déjà appris en 2013 qu’en France près de 80 % des 15-17 ans avaient expérimenté le baiser et qu’à l’adolescence, 80 % des garçons et 50 % des filles pratiquaient la masturbation. Quant à la pénétration vaginale, un tiers des 15-17 ans et deux tiers des 18-19 ans s’y adonnaient. Toujours selon cette enquête, l’âge du premier rapport sexuel était en moyenne de 17,3 ans dans l’Hexagone, en recul, cela peut paraître surprenant, par rapport aux années 1990. Autres données: les positions sexuelles les plus prisées par les 18-24 ans. Le missionnaire venait en tête avec 87 % devant la levrette avec 78 % et l’Andromaque avec 74 %. Pour leur part, la fellation ou le ­cunnilingus auraient déjà été pratiqués par 70 % des 15-17 ans, l’éjaculation faciale par 22 % d’entre eux et la pénétration anale par 18 % (24 % des garçons et 18 % des filles).

Globalement, l’âge du premier rapport sexuel n’a pas évolué récemment. À cette nuance près que les recherches se focalisent sur la pénétration vaginale. Or, on pourrait très bien convenir que d’autres pratiques devraient être prises en considération. Mais contrairement à l’idée communément admise dans la population générale, on n’assiste pas à un abaissement significatif de l’âge des premières relations. “Nous avons mené une étude en Fédération Wallonie-Bruxelles en 2009, puis une autre en 2019. Les chiffres sont très semblables. L’âge du premier rapport sexuel se situait dans les deux cas aux alentours de 17 ans.” Fabienne Glowacz sou­ligne cependant une évolution en cours: les filles, qui avaient tendance à avoir leur première relation sexuelle un peu plus tardivement que les garçons, seraient en passe de les rejoindre. Sans doute faut-il y voir l’impact d’une autre évolution, celle du statut de la femme et de la manière dont elle gère désormais sa sexualité.

La sexualité précoce, avant l’âge de 15 ans, n’est pas plus fréquente aujourd’hui qu’au cours des dernières décennies. C’est un bien, dans la mesure où elle est associée à un risque accru de comportements problématiques, tels des actes de délinquance ou la consommation de substances. Elle s’inscrit dans ce que l’on pourrait qualifier d’économie globale du fonctionnement de l’adolescent et s’explique fréquemment par des vécus trauma­tiques durant l’enfance ou la préadolescence - agressions sexuelles, maltraitances physiques… “Ces traumas tendent à orienter le sujet vers une sexualité précoce ou, en tout cas, vers une absence d’autoprotection face à des sollicitations.”

L’autre hypersexualisation

Même si elle prête moins le flanc aux tabous que par le passé, la découverte de la sexualité demeure très anxiogène en raison des transformations ­corporelles et psychiques avec lesquelles l’adolescent est aux prises au cours de sa maturation pubertaire ainsi qu’en raison de la modification de son rapport à l’autre sexe. Les questions affluent dans son esprit. Aux yeux de Fabienne Glowacz, le climat qui règne dans notre société autour de la sexualité (affaires de pédophilie, de harcèlement, de viol, etc.) n’est pas de nature à sécuriser les jeunes dans leur apprentissage. D’où, plus que jamais, la nécessité d’un espace de discussion où les adolescents pourraient échanger avec des ­adultes de référence dans le cadre d’une éducation à la vie sexuelle et affective.

Notre société est en effet empreinte d’une hypersexualisation alimentée par la publicité, les médias, la pornographie, les réseaux sociaux… Mais aussi les dénonciations et les révélations d’affaires de harcèlement, de viol ou de pédophilie, comme dans le cas récent du site “Rencontre-ados”, adressé aux 13-25 ans et accusé d’héberger des pédophiles. “Les adolescents baignent dans un climat où une sexualité déviante, agressante ou “malsaine” occupe presque toute la place. Ils ­doivent se construire sans se voir proposer de ­repères, sans que presque aucun accent ne soit mis sur la notion de sexualité positive, de santé sexuelle.” Fréquemment, l’éducation sexuelle ne porte que sur la contraception et la protection contre les maladies sexuellement transmissibles. Dans de nombreuses familles, parler de sexualité reste difficile. Souvent, les parents ne disposent pas des “bons codes” ou éprouvent un malaise à le faire, tandis que les enfants veulent préserver leur intimité et renâclent à aborder les questions qui les taraudent.

Obligation de performance

Dans ce contexte, que faut-il penser de la pornographie, omniprésente sur Internet, gratuite, aisément accessible aux ados? La condamner, à défaut de pouvoir la bannir? Pas si simple. Si certains psychologues dénoncent l’exposition des mineurs à des films X, d’autres dédramatisent le phénomène. Le fait est qu’elle est devenue une des voies de découverte de la sexualité par les ­adolescents. Une vaste étude menée en 2019 au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles par l’équipe de Fabienne Glowacz montre qu’environ la moitié des jeunes de moins de 18 ans (33 % des filles et 78 % des garçons) a déjà été exposée à du matériel pornographique, de manière fortuite ou intentionnelle. Les garçons sont nombreux à déclarer qu’ils ont ­consulté volontairement des sites porno, tandis que 16 % des filles seulement disent avoir initié spontanément une recherche. Selon des données françaises, environ 50 % des adolescents considèrent que les scènes X visionnées sur Internet ont contribué à leur apprentissage de la sexualité. Sous cet angle, la pornographie apparaît dorénavant comme un des vecteurs majeurs de l’éducation sexuelle. “Les adolescents sont guidés soit par un besoin de réassurance par rapport à leur propre corps, soit par le souci de visualiser comment mener à bien une relation sexuelle”, commente Fabienne Glowacz.

La pornographie n’a pas le pouvoir magique d’implanter des préjugés sexistes.

La psychologue de l’Université de Liège considère que, sans diaboliser la consommation ­pornographique, il convient d’être conscient de ses dangers potentiels. Notamment, chez les garçons, le sentiment d’une obligation de performance basée sur une vision déformée du tournage des pornos ainsi que des inquiétudes par rapport à leur pénis dont le développement est quelquefois tardif et dont la taille et le diamètre s’avèrent dès lors très inférieurs à ceux des acteurs X. Les impératifs de performance que l’adolescent s’assigne et la peur de ne pas les atteindre sont généralement à l’origine des problèmes érectiles rencontrés par certains d’entre eux. Les jeunes filles, elles, peuvent parfois être complexées par une poitrine peu opulente. Par ailleurs, la consommation d’images pornographiques dérive chez certains vers une forme de ­fascination ou d’addiction ainsi que vers la ­recherche de contenus de plus en plus hard. À cela s’ajoute entre autres le risque de représentations stéréotypées ou sexistes faisant l’apologie de la femme-objet et bafouant la notion de consentement. Le sociologue Florian Vörös, de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Paris), soutient cependant que la pornographie “n’a pas le pouvoir magique d’implanter des préjugés sexistes”, mais que de multiples autres sources ­contribuent à les alimenter: le cinéma, la télévision, la publicité, la famille, les amis…

sexe et ados

© BelgaImage

Le vertige des genres et des sexualités

À travers ses travaux, Fabienne Glowacz souligne par ailleurs un élément important: les adolescents ont une conscience assez forte du fait que le X n’est pas le juste reflet de la réalité. Mais elle ajoute que tous les jeunes ne sont pas égaux devant la pornographie en raison d’éventuelles fragilités personnelles sur le plan social, psychologique, affectif ou autre. “Le danger d’une ­consommation pornographique intense et fréquente est qu’elle devienne le seul repère autour duquel l’adolescent construit sa sexualité, ce qui ne peut l’aider à structurer sa vie sexuelle sur une base de réciprocité avec un ou une partenaire. Dans ma pratique clinique, tous les jeunes auteurs d’agressions sexuelles sont des consommateurs assidus de pornographie.” Chez un être en transformation comme l’est l’adolescent tant sur le plan physique que sur le plan psychique, la découverte de la sexualité ne peut être isolée du cadre plus global d’un processus de développement psycho-affectif.

À mesure que les tabous s’effacent, toujours plus d’adolescents sont en proie au doute par rapport à leur identité sexuelle et en nourrissent une anxiété. “Nous vivons une période inédite où des jeunes de 14-15 ans se posent des questions par ­rapport à ce qu’ils sont et en viennent régulièrement à se définir comme bisexuels ou non binaires, ni strictement hommes ni strictement femmes”, relate la professeure Glowacz. Notre époque assiste à la reconnaissance des minorités sexuelles LGBTQ+.

Ces avancées majeures contre les stigmatisations éveillent toutefois, chez certains jeunes, de ­nombreuses interrogations quant à leur propre orientation. Ces questions, qui n’auraient pas pu être énoncées ou débattues par le passé, peuvent être associées à une intense souffrance. La levée des tabous, l’élargissement des normes et des représentations conduisent une frange des adolescents rongés par le doute à s’autoproclamer plus facilement bisexuels ou non binaires quand bien même ils ne le seraient pas fondamentalement. “Les jeunes sont actuellement confrontés à un monde où tout est possible et cela complexifie le travail psychique, identitaire qui s’effectue pendant l’adolescence”, indique Fabienne Glowacz.

Autrefois, ne fallait-il pas par exemple, en tant que garçon en société, fumer et boire des bières pour “être un homme”?… Certains considèrent de nos jours qu’il existe un phénomène similaire chez les ados, filles et garçons, qui ont tendance à se déclarer ouvertement bisexuels. Un must. Sauf que les données scientifiques n’épousent pas cette opinion. Il est en fait plus probable que la mort progressive des tabous et la libération de la parole qui en découle expliquent l’impression éprouvée par certains adultes qu’afficher une bisexualité est désormais socialement désirable chez les jeunes.

Le temps du sexting

Internet, le téléphone portable et les réseaux sociaux ont modifié l’approche de la sexualité chez les adolescents.

Des pratiques nouvelles ont vu le jour. Parmi elles, le sexting. C’est-à-dire l’envoi, par l’intermédiaire du téléphone portable ou des réseaux sociaux, de photos, de vidéos et de messages à contenu sexuel explicite où l’on se met en scène. Une pratique devenue courante chez les adolescents. Selon une étude canadienne, 14,8 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans ont déjà envoyé un “sexto” et 27,4 % en ont déjà reçu au moins un, garçons et filles étant logés à la même enseigne. Plus de 60 % de ces sextos s’inscrivent dans le cadre d’une relation amoureuse.

Cependant, disent les psychologues Fabienne ­Glowacz et Margot Goblet dans un article de 2019, “les filles sont nombreuses (78 %) à considérer la pratique du sexting comme la conséquence de pressions exercées par le partenaire”. Le danger majeur est toutefois la diffusion non consentie, sur la Toile ou les réseaux sociaux, d’images intimes (photos, sextapes) initialement réservées à un destinataire unique ou la “sextorsion”, chantage relatif à une telle diffusion. “Ces partages et diffusions non ­consentis sont source de rejet, d’humiliation ou de harcèlement de la victime, laquelle se voit par ailleurs fréquemment attribuer la responsabilité d’avoir initialement produit les contenus incriminés”, explique Fabienne Glowacz. Même si la plupart des ados sont conscients des risques encourus en envoyant des sextos, transparaît ici, de nouveau, la nécessité d’un véritable espace de dialogue entre adolescents et adultes pour le bien du développement psycho-affectif et sexuel des premiers.

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