"C'était mieux avant", vraiment? Une étude vous explique pourquoi c'est une illusion

Des chercheurs ont démontré par a + b pourquoi l'humanité a en tout temps cru en la décadence morale de la société, qu'importe les faits.

Homme regardant des vieilles photos
Un homme regardant un vieil album photo ©BelgaImage

Êtes-vous passéiste? Autrement dit, êtes-vous nostalgique du passé, au point de dire qu'aujourd'hui, "les jeunes n'ont plus de respect", que "les valeurs se perdent", etc.? Si c'est le cas, sachez que vous n'êtes pas le seul. Les sondages montrent que 84% des Américains pensent la même chose, tout comme 86% des ressortissants de 59 pays. C'est ce que constate une étude publiée en ce mois de juin 2023 dans la revue Nature, mais ce n'est pas tout! Ces deux pourcentages recouvrent de grandes périodes, ceux-ci étant respectivement le résultat d'enquêtes d'opinion menées de 1949 à 2019, et de 1996 à 2007. En regardant au détail, il apparaît en réalité que ces données sont d'une stabilité déconcertante. Est-ce que cela voudrait dire que depuis des décennies, l'état de la société n'a cessé de se dégrader? Pour en avoir le cœur net, les chercheurs ont objectivé le plus possible leur sujet de recherche, afin de trancher le débat.

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Les passéistes jugent durement la société... mais pas leur entourage!

Pour mieux comprendre cette négativité, les chercheurs se sont d'abord penchés sur ces sondages. En y regardant de plus près, il apparaît que globalement, ces passéistes "croyaient que le déclin [moral supposé de la société, ndlr] avait commencé quelque part du côté de l'époque de leur naissance, peu importe quand c'était, et que cela avait ensuite continué jusqu'à ce jour". Pour eux, ce "déclin était le résultat à la fois du fait que les individus devenaient moins moraux au fil de l'âge, et du remplacement de personnes plus morales par des personnes moins morales" chez les plus jeunes. Toujours selon eux, si une connaissance ne collait pas à ce modèle, celle-ci était systématiquement reléguée parmi les "exceptions à la règle".

Face à ce constat, l'étude s'est posée la question de savoir si au cours de l'époque étudiée, la moralité avait effectivement baissé. Pour établir cela de manière objective, ils se sont d'abord tournés vers des chiffres incontestables: ceux liés aux crimes, aux guerres, à l'esclavage, etc. Pour ce qui est de la "moralité de tous les jours", qui est plus difficile à quantifier, ils se sont basés sur des questions plus générales extraites des sondages: "Avez-vous été traité(e) avec respect hier toute la journée?", "Diriez-vous que la plupart du temps, les gens essaient d'aider les autres, ou bien qu'ils ne pensent qu'à eux-mêmes?", "Au cours des douze derniers mois, combien de fois avez-vous aidé un(e) inconnu(e) à porter ses courses, sa valise ou son sac?", etc.

Les chiffres sont formels: le passéisme est une constante historique

Les résultats, qui prennent en compte le ressenti de près de 4,5 millions de personnes depuis les années 1960, sont "clairs": "la moralité que les participants rapportaient chez leurs contemporains était stable dans le temps". Les chercheurs ont eu beau refaire leurs calculs avec des enquêtes américaines ou non-américaines, cela ne changeait rien au constat établi auparavant. Cela "suggère fortement que l'impression très commune d'un déclin moral est une illusion".

Cette conclusion n'est en soi pas si surprenante si on replonge encore plus loin dans le temps. Ce passéisme était déjà présent dans les écrits de Tite-Live, c'est-à-dire très exactement à l'époque de la création de l'Empire romain par Auguste, au tout début de notre ère. À l'époque, il mettait en garde contre l'"effondrement des fondements de la moralité". Depuis, aucune époque n'échappe à la règle. Qu'importe les circonstances, il y a toujours des personnes pour juger que la moralité se serait perdue. Est-ce que cela voudrait dire que depuis plus de 2.000 ans, la société ne cesse d'être de plus en plus amorale? Malgré les vicissitudes de l'Histoire, il est permis d'en douter.

Des biais cognitifs en cause

Mais l'étude dont il est question ici ne s'arrête pas là! Si l'illusion de cette décadence morale semble établie, encore faut-il comprendre pourquoi elle est si largement partagée. Les auteurs expliquent qu'il "existe sûrement de nombreuses bonnes réponses à cette question" mais en parcourant les très nombreuses études publiées à ce sujet, certains facteurs ressortent plus que d'autres. Parmi ceux-ci, il y a le fait que "les êtres humains sont particulièrement susceptibles de rechercher et d'écouter davantage des informations négatives". Puisque les médias ont pour tâche de relayer ce même type de nouvelles, cet effet est particulièrement fort aujourd'hui.

En parallèle, il s'avère que "les événements négatifs du passé sont plus susceptibles d'être oubliés", contrairement à ceux positifs. Cet "effet de mémoire biaisé", en s'additionnant avec l'"effet d'exposition biaisé" cité juste avant, pourrait aboutir à cette illusion de déclin moral.

Quand les dérives de la société sont provoquées... par le passéisme!

Pour les chercheurs, ce serait donc clair: jusqu'à preuve formelle du contraire, non, la moralité ne décline pas. Mais ce qui les interpelle, c'est que cette illusion a des implications politiques: "par exemple, en 2015, 76 % des Américains étaient d'accord pour dire que 's'attaquer à l'effondrement moral du pays' devrait être une grande priorité pour leur gouvernement". Un an plus tard, Donald Trump était élu avec son slogan "Make America Great Again" ("Rendons l'Amérique grande à nouveau"). "Les États-Unis sont confrontés à de nombreux problèmes bien documentés, du changement climatique et du terrorisme en passant par l'injustice raciale et les inégalités économiques - et pourtant, la plupart des Américains pensent que leur gouvernement devrait y consacrer des ressources limitées afin d'inverser une tendance imaginaire", notent-ils.

Ils rappellent également que d'autres études ont montré un effet subsidiaire de cette illusion sur le déclin moral. En croyant que les étrangers seraient amoraux, ils se privent d'entrer en contact avec eux, même si leurs relations pourraient très bien se passer. Cela ne fait qu'accentuer le phénomène qui s'auto-alimente de la sorte.

Autre conséquence de cette négativité: les passéistes seraient plus susceptibles d'être influencés par des personnes avec des mauvaises intentions. Pas étonnant dès lors que les théories du complot soient si populaires auprès d'une bonne partie de la population. "Si la faible moralité est une source de préoccupation, alors la baisse de la moralité peut être un véritable appel aux armes, et les dirigeants qui promettent d'arrêter cette dérive illusoire - de 'rendre l'Amérique à nouveau grande' [dans le cas de Donald Trump, ndlr] - peuvent avoir un attrait démesuré", concluent les chercheurs. "Nos études indiquent que la perception du déclin moral est omniprésente, durable, infondée et facilement produite. Mieux comprendre ce phénomène semble en ce sens une tâche opportune".

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