
Russie-Ukraine: l'Europe sur le sentier de la guerre?

“La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens.” Cette citation est de Carl von Clausewitz, l’un des plus grands stratèges militaires de l’histoire, qui participa à la défaite de Napoléon à Waterloo. Ses écrits sont étudiés dans toutes les écoles de guerre du monde. Et il est probable qu’on cite ce qui se passe actuellement à la frontière ukraino-russe comme un exemple de l’acuité de ses thèses. La politique, comprenez la diplomatie, ne semble pas satisfaire la Russie qui entend stopper l’emprise occidentale en Ukraine et récupérer la sphère d’influence qu’elle possédait durant l’ère soviétique. La Russie semble passer à la vitesse supérieure, celle des avions de chasse et des missiles sol-sol. Le renforcement militaire russe près de l’Ukraine s’est étendu, ce week-end, à la fourniture de sang et d’autres matériels médicaux, ce qui constitue un autre indicateur clé de la préparation militaire de Moscou.
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Washington avait, une semaine auparavant, ordonné aux familles des diplomates américains en poste à Kiev de quitter l’Ukraine “en raison de la menace persistante d’une opération militaire russe”. Une décision suivie par Londres, qui avait annoncé le retrait de personnels de son ambassade à Kiev face à la “menace croissante” de la Russie. Malgré une tentative de “dédramatisation” de la situation effectuée par l’UE, notons que la France a annoncé ce samedi, par la voix de sa ministre des Armées, envoyer “plusieurs centaines” de ses soldats en Roumanie dans le cadre d’un éventuel déploiement de l’Otan. La Roumanie se situe à la frontière sud de l’Ukraine et possède un littoral sur la mer Noire où la flotte russe est très active. Au nord de la frontière ukrainienne se situe la Biélorussie dont le président Alexandre Loukachenko, un indéfectible allié de Vladimir Poutine, a dévoilé, il y a peu, un projet de réforme de la constitution qui permettrait un déploiement d’armes nucléaires russes dans le pays. La Biélorussie a, par ailleurs, annoncé l’arrivée d’un nombre indéterminé de soldats russes pour des exercices de préparation au combat endéans le mois. La Russie semble s’être préparée à des sanctions économiques occidentales en consolidant ses réserves de devises étrangères. Sur place, la population est dans l’expectative mais décidée à résister. L’identité nationale ukrainienne est plus forte qu’en 2014, précisément à cause de l’annexion de la Crimée et de la guerre dans le Donbass. Un récent sondage montrait que plus de la moitié des Ukrainiens se disaient prêts à résister soit par les armes, soit par des actions civiles à une invasion russe…
Ou un grand bluff pour une nouvelle Paix?
Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Empire soviétique, les pays limitrophes de la Russie vivent une situation géopolitique instable. On assiste ces derniers mois à rien d’autre qu’au rééquilibrage géostratégique entre les anciens blocs de l’Ouest et bloc de l’Est.
“Si vis pacem, para bellum.” Les Romains, qui s’y connaissaient en matière de conquête, avaient observé que “vouloir la paix, c’était préparer la guerre”. Leurs légions nombreuses et bien équipées suffisaient, parfois, par leur simple présence, à leur faire gagner un nouveau territoire. Ou à calmer les velléités de potentiels envahisseurs. La présence russe actuelle aux frontières ukrainiennes appartient à la même philosophie. La réactivation de cette stratégie antique est également motivée par une forme de revanche. Et par les quinze dernières années qui ont permis à la Russie de reconstruire son armée. L’ancienne “Armée rouge” est, à nouveau, fonctionnelle, puissante. Et aguerrie. Elle a joué un rôle essentiel dans le renversement de la tendance qui, en Syrie, voyait le régime de Bachar el-Assad battu. Poutine a vaincu. Et Biden vient de perdre.
Le désastreux retrait militaire américain d’Afghanistan d’août dernier est une autoroute ouverte aux troupes russes vers la frontière ukrainienne. Une fantastique opportunité pour l’ancienne puissance déchue - humiliée par les Européens et les Américains, qui ont poussé leur avantage dans de nombreux pays anciennement membres du Pacte de Varsovie - de rééquilibrer les sphères d’influences. L’objectif réel serait d’obtenir la “finlandisation” de l’Ukraine, c’est-à-dire l’impossibilité pour celle-ci de rejoindre l’Otan. Or l’Otan considère que chaque pays doit être libre de choisir son alliance, c’est un principe fondamental. Accéder à la demande russe serait renier ce principe. Le temps des concessions est-il advenu? Une guerre coûterait énormément à l’Europe. Le gazoduc Nord Stream 2 serait mort-né en cas d’invasion russe de l’Ukraine. C’est tout le commerce du gaz entre la Russie - qui a besoin de vendre - et l’Europe - qui a besoin d’acheter - qui risque de faire les frais d’une trop grande inflexibilité de l’Otan. Sauf que l’Europe n’a pas diminué sa dépendance au gaz russe, qui représente toujours 40 % de ses importations. Un arrêt des fournitures d’énergie russe aurait des conséquences désastreuses sur nos économies, nos sociétés. Cette réalité a poussé la France, qui assure, depuis ce mois de janvier, la présidence de l’Europe à calmer le jeu et à appeler à une désescalade. Le président Poutine vient d’assurer au président Macron qu’il n’avait pas l’intention de mener une offensive militaire en Ukraine. Et Biden - assez peu lisible - laisse d’abord entendre qu’une “incursion mineure” russe ne mériterait pas de sanctions “massues”, avant de dire à peu près l’inverse. Pas de quoi impressionner Poutine. Qui semble avoir la plus haute main…