Les sanctions économiques sont-elles efficaces ?

L'Occident a réagi à la provocation russe en Ukraine par des sanctions économiques. Mais celles-ci sont-elles efficaces au niveau politique ? En un mot : non. Elles pourraient même être contreproductives.

« Sanctionnez Poutine maintenant! » – Belga

Après la reconnaissance des républiques séparatistes du Donbass et l’enterrement du processus diplomatique avec l’Ukraine, Américains et Européens ont réagi avec des sanctions économiques ciblées visant des hauts dignitaires russes et d'autres visant à mettre la Russie hors du système économique international – du moins occidental. « Elle ne pourra plus faire de commerce sur le marché européen », a dit Joe Biden.

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L'ambassadeur de Russie en Suède a répondu à sa manière à ces annonces : « Le pouvoir russe n'en a rien à foutre des sanctions ». La question qui se pose donc est la suivante : les sanctions économiques sont-elles efficaces pour faire fléchir un régime politique ? Si on prend l'Histoire en compte, force est de constater que non. Pire, elles pourraient même être contreproductives.

Joe Biden

Joe "Vous allez voir ce que vous allez voir" Biden - Belga

De nouvelles alliances

Aujourd’hui, il y a près de 40 régimes de sanctions internationales dans le monde. Selon l'institut suisse de données Target Sanctions Consortium, au cours des dernières années, seulement 22% des pays sous sanctions économiques ont infléchi leur politique pour éviter des conséquences plus lourdes. C'est peu.

Surtout, les sanctions économiques ont tendance à créer de nouvelles alliances. Ainsi, dans les années 60, l'embargo américain sur Cuba a poussé l'île dans les bras de l'URSS. Plus récemment, c'est la Syrie qui s'est tournée vers la Russie pour contourner les sanctions économiques.

Aujourd'hui, alors qu'un conflit semble imminent en Ukraine, on craint déjà une alliance entre la Russie et la Chine. Pousser la Russie en-dehors du système Swift (réseau interbancaire international), c'est inciter Moscou à faire des affaires avec la Chine et la Banque Asiatique d'investissement, disent les observateurs. Nul doute que Vladimir Poutine a déjà prévu le coup, lui qui s'entend si bien avec M. Xi.

Vladimir et M. Xi

Vladimir et M. Xi, les yeux dans les yeux - Belga

Impact économique, mais pas politique

Y a-t-il jamais eu des régimes qui ont flanché sous le poids des sanctions économiques. Un seul exemple vient à l'esprit, celui de l'Afrique du sud durant l'apartheid. Mais la question se pose : était-ce dû aux sanctions économiques uniquement ? Ou la figure de Nelson Mandela y était pour quelque chose et d'autres éléments sont entrés en jeu ? Le pays a en tout cas clairement souffert économiquement de ces sanctions, entrant en récession au début des années 90. Mais quelques années plus tard, on s'est rendu compte que ceux qui avaient été le plus touchés par le marasme économique étaient les plus pauvres, donc les Noirs, tandis qu'aucun chômage ne touchait la population blanche...

En clair, les sanctions économiques ont bien un impact économique, mais pas forcément celui voulu. Surtout, elles n'ont que très rarement un impact politique. Sinon pour ressouder une population derrière son leader autoritaire contre « le Satan américain » - voyez l'Iran sous embargo quasiment ininterrompu depuis 1995. Cette image de la « citadelle assiégée » est par ailleurs le mythe russe par excellence sur lequel Poutine rebondit encore une fois aujourd'hui.

L'Union européenne, ensemble séparément

L'Union européenne: ensemble, séparément - Belga

Soft power vs. Hard power

Selon Julien Théron, professeur spécialiste des conflits et relations internationales à Sciences Po Paris, sur France 24 : « Il faut savoir quels objectifs on veut atteindre. Les sanctions de 2014 (contre la Russie) n'ont pas fonctionné. Quel était l'objectif ? S'il s'agissait d'ennuyer le pouvoir en réduisant sa manne économique, d'accord. Par exemple, la Russie n'a pas pu reconstruire en Syrie parce qu'elle n'avait pas assez de moyens. Mais si on voulait qu'elle rende la Crimée à l'Ukraine et qu'elle se retire du Donbass, non seulement ça n'a pas fonctionné, mais ça ne les a même pas dissuadés d'aller encore plus loin ».

De plus, même au niveau économique, l'impact est faible. Selon le FMI, la Russie perd 0,2 % de PIB à cause des sanctions. Mais en tant que producteur de gaz qu'elle distribue à la planète, est-ce bien suffisant ? D'autant que Poutine promet déjà de doubler le prix du gaz...

« Les sanctions économiques sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes, continue Julien Théron. En fait, on vit dans deux conceptions complètement différentes à Bruxelles et à Moscou. A Bruxelles, on est dans le domaine du soft power, à Moscou, on est dans une phase militaire du conflit. L'Europe ne peut plus jouer uniquement sur son soft power ». En réalité, ce déballage de sanctions cache une autre question: qui a vraiment envie d'aller faire la guerre en Ukraine?

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