
Comment aider l'Ukraine à notre échelle

Les premiers beaux jours et la levée des restrictions Covid auraient dû booster notre moral. L’effet attendu est cependant atténué, voire étouffé par la guerre aux portes de l’Union européenne, explique Olivier Luminet, chercheur à l’UCLouvain et spécialiste des émotions. Il observe que les Belges sont à la fois envahis par le désespoir face à un monde qui ne tourne plus rond et par une réelle volonté de s’engager pour l’Ukraine. La peur, attisée notamment par les menaces nucléaires de Poutine, se mêle donc à une envie sincère de solidarité.
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“Aujourd’hui, pratiquement plus personne n’échappe à une de ces trois formes de peur: la pandémie, la crise climatique ou la guerre en Ukraine. Pour les publics déjà fragilisés, dont les jeunes et les personnes isolées, il est urgent d’agir”, prévient Olivier Luminet. La peur, poursuit-il, peut être irrationnelle. Elle est de cet ordre chez les plus de 30.000 personnes qui se sont ruées dans les pharmacies pour obtenir des pilules d’iode afin de se protéger en cas d’attaque atomique. “Les personnes très anxieuses, surtout, ont besoin de se rattacher à quelque chose de concret, de se convaincre qu’elles gardent le contrôle.” La peur peut aussi renforcer la cohésion sociale. C’est ce qu’Olivier Luminet appelle la peur mobilisatrice. “Celle-ci semble particulièrement importante en ce moment pour au moins deux raisons. Premièrement, il y a un aspect d’empathie par rapport aux Ukrainiens, aux familles qui vivent près de chez nous, qui nous ressemblent. Deuxièmement, le fait qu’on sorte de deux années difficiles sur le plan psychologique fait naître en nous le besoin de nous sentir utiles. Agir permet de relativiser notre situation. En aidant les autres, on pense moins à nos problèmes.”
Les Ukrainiens, qui se battent de façon héroïque, ont pris leur destin en main mais ont aussi besoin de l’appui des États étrangers, des instances internationales, voire du peuple russe et du courage des proches de Vladimir Poutine pour le raisonner. À notre échelle, on a également un rôle à jouer…
Quelle aide pouvons-nous apporter en tant que citoyens?
Il n’y a pas de petits gestes. “Déposer un drapeau bleu et jaune sur sa façade ou sur sa photo de profil Facebook est déjà un engagement, confirme Olivier Luminet. Cet acte montre que durant quelques semaines, on ne se définit plus comme une identité individuelle, mais comme une identité collective. Les concernés sentent ce soutien international qui fait du bien, donne de la force, convainc qu’une issue est souhaitée et possible.”
Mais certains Belges veulent faire un peu plus. Plusieurs actions sont alors possibles. Premièrement, 5.000 Belges ont manifesté ce week-end à Bruxelles. Deuxièmement, des associations comme United Help Ukraine, Nova Ukraine, People in Need, la Croix-Rouge, l’Unicef ou Amnesty International (plus d’infos sur tous les sites Web éponymes) récupèrent des dons matériels (vivres, vêtements, GSM, médicaments, etc.) pour les envoyer en Ukraine ou aux frontières. Sur les réseaux sociaux, des internautes s’organisent parfois entre eux en rassemblant des vivres et des articles de première nécessité. La plupart du temps, ils les transmettent ensuite aux associations. On a vu un petit groupe de Belges partir jusqu’en Pologne, à quinze heures de route, pour déposer des livraisons eux-mêmes… Diverses associations acceptent par ailleurs des dons monétaires. L’ambassade d’Ukraine à Bruxelles peut également servir de relais. En outre, l’opération 12-12 du consortium belge pour les situations d’urgence a été relancée pour encourager la charité (1212.be).

À Przemysl, en Pologne, les réfugiés sont accueillis avec des fruits et des en-cas avant d’être mis à l’abri. © BelgaImage
Troisièmement, il est possible d’héberger des réfugiés. 1,5 million d’Ukrainiens seraient déjà arrivés dans l’UE. Si vous avez de la place à la maison et que l’envie vous dit, vous pouvez le signaler auprès de votre administration communale. Il est plus que probable qu’un formulaire d’inscription soit accessible via la page d’accueil de son site Internet. Enfin, certains Belges décident de partir combattre en intégrant la Légion internationale. Une septantaine de personnes se sont déjà portées volontaires auprès de l’ambassade. Les sept premiers volontaires sont partis la semaine dernière… Cela n’est pas une action à encourager car des questions juridiques se posent. Le spécialiste du droit international Éric David est l’auteur d’une thèse sur les services dans une armée étrangère. Il nous explique que les volontaires pourraient être considérés comme des mercenaires, ce qui est punissable d’une peine de prison. En cas de problèmes, notamment de capture par l’ennemi, nous dit le juriste, le volontaire pourrait aussi être traité au sens du droit international comme un membre de l’armée ukrainienne. Il ne bénéficierait pas alors d’aide supplémentaire de la part de la Belgique, de l’UE ou de l’Otan. Il termine par une précision essentielle: “Pour être soumis à ces réglementations, il faut rejoindre une armée de manière officielle. Si un individu part seul et est par exemple amené à tuer une personne, il y a peut-être l’aspect de légitime défense qui vaudrait, mais il se peut que cet acte soit considéré comme un acte illégal sur un territoire étranger”.
L’État belge prend-il ses responsabilités?
“La Belgique a une propension historique à venir en aide aux Européens. Ça a été le cas avec les Allemands de l’Est durant la Deuxième Guerre mondiale, les Hongrois par la suite, tous les citoyens d’Europe centrale pendant la guerre froide… La Convention de Genève a d’ailleurs été ratifiée dans ce contexte. C’est pourquoi dans les discours politiques aujourd’hui, il y a une vraie volonté d’accueil”, observe le politologue de l’ULiège Pierre Verjans. Il constate aussi que l’État peut s’améliorer sur un point: “Le dispositif en Europe encourage l’accueil des Ukrainiens. Pas des étrangers qui étaient ou sont encore sur le territoire ukrainien”. Hormis cette regrettable différenciation, le politologue trouve que le gouvernement joue son rôle. Les Ukrainiens dotés d’un passeport biométrique avaient déjà un droit de séjour de 90 jours dans l’Union européenne. Désormais, la directive de 2001 sur la protection temporaire “en cas d’afflux massif de personnes déplacées” a été activée. Tous ont donc le droit de séjourner dans l’UE sans demande d’asile. Certains peuvent tout de même activer la procédure pour obtenir davantage de droits sociaux.
Le gouvernement fédéral a pris la décision de mettre l’ancien hôpital bruxellois Jules Bordet, récemment déplacé sur le site Érasme, à disposition pour en faire un centre d’accueil spécifique pour les Ukrainiens. Ils y recevront des informations et pourront y loger pour une période limitée, le temps de trouver une solution durable, chez des habitants belges ou dans des logements mis à disposition par les communes. Déjà, plus de 8.000 places d’accueil ont été recensées, selon le secrétariat d’État à l’Asile de Sammy Mahdi.
En outre, la Belgique a mis 150 lits d’hôpitaux à disposition de patients en provenance d’Ukraine, victimes de guerre ou d’autres maux, dont 15 lits pour des patients atteints de brûlures graves et 15 lits de soins intensifs. L’État belge a aussi envoyé une partie de son arsenal militaire et des munitions à la Défense ukrainienne, ainsi que du matériel humanitaire dont des tentes, des couvertures et des kits sanitaires. Plus symboliquement, la Belgique, comme d’autres pays occidentaux, a décidé de saisir la Cour pénale internationale de La Haye afin d’ouvrir une enquête sur des présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par la Russie.