Pourquoi les Ukrainiens sont-ils mieux accueillis que les autres réfugiés?

L'écart de traitement entre réfugiés ukrainiens et autres est symptomatique de l'ambiguïté de notre société sur le sujet.

Réfugiés à Paris-Beauvais
Des réfugiés ukrainiens arrivant à l’aéroport de Paris-Beauvais, le 2 mars 2022 @BelgaImage

Que ce soit dans les grandes villes ou dans les petits patelins, toute l'Europe semble mobilisée pour soutenir les Ukrainiens qui fuient leur pays. Collecte de dons, accueil chez l'habitant, réquisition de locaux municipaux, etc. Un maximum est fait pour les protéger de l'invasion russe. Cerise sur le gâteau: le 3 mars dernier, la commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a appliqué une directive accordant la «protection temporaire» à tous les réfugiés d'Ukraine. Ils pourront donc rester dans l'Union européenne (UE) pendant au moins un an, tout en pouvant travailler et accéder à toute une série d'aides (sociales, de logement, éducatifs et médicaux). Petite précision: cette directive existe depuis 2001. Pourquoi celle-ci n'a jamais été appliquée jusque-là? Ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué: guerres en Afghanistan, Irak, Yémen, Soudan, Syrie, Palestine, etc. Pourquoi une telle différence de traitement?

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Un racisme qui apparaît au grand jour

Clairement, la question crée un certain malaise. En témoignent ces derniers jours les polémiques engendrées par plusieurs déclarations comparant réfugiés ukrainiens et autres. Le Premier ministre bulgare affirme par exemple à propos des premiers que «ce ne sont pas les réfugiés auxquels nous sommes habitués [mais] des Européens. Ils sont intelligents, ils sont éduqués». Un envoyé spécial de CBS, Charlie D'Agata, insiste pour dire que les Ukrainiens viennent, contrairement aux Irakiens ou aux Afghans, d'endroits «relativement civilisés». Il s'est depuis excusé. Sur Europe 1, le président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale française s'est pour sa part réjouit de pouvoir accueillir ici une «immigration de grande qualité, dont on pourra tirer profit», comme si celle venue d'autres pays ne l'était pas ou moins. Et la liste de ces distinctions entre Européens et non-Européens pourrait encore continuer.

Au Moyen-Orient, la pilule est dure à avaler. L'association des journalistes arabes et moyen-orientaux AMEJA a par exemple publié un communiqué condamnant les «implications orientalistes et racistes» qui voudraient qu'un pays soit civilisé ou non, ou bien dont les habitants vaudraient le coup d'être sauvés pour des raisons économiques. Interrogé par l'AFP, le politologue Ziad Majed, professeur à l'Université américaine de Paris, critique la «distinction choquante» qui révèle une «déshumanisation des réfugiés du Moyen-Orient». «Quand on entend certains commentaires parlant de 'gens comme nous', ça laisse entendre que ceux qui viennent de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan ou d'Afrique ne le sont pas», constate-il. «Certaines élites politiques n'ont plus de problèmes à s'exprimer comme si la parole raciste s'était libérée».

La «loi de proximité»

Il y aurait donc une composante clairement xénophobe dans ce distinguo entre les Ukrainiens et les autres, mais ce n'est pas tout. Une recherche menée en 2016 dans 15 pays européens a notamment étudié les réticences à l'accueil de réfugiés. Il en ressort qu'il existe non seulement un «biais antimusulman» mais aussi un autre facteur. Moins la distance culturelle est grande, plus l'empathie est présente.

Il existe d'ailleurs en journalisme une règle bien connue appelée «loi de proximité». Selon celle-ci, plus une information d'actualité se déroule dans une région proche du lecteur, plus il se sent concerné. Ici, le fait d'avoir une guerre au sein même de l'Europe réveille les traumatismes du passé, notamment de la Seconde Guerre mondiale, et amène à s'identifier aux Ukrainiens, d'où la solidarité actuelle. Conséquence: l'intérêt du public pour l'Ukraine est immense. Par contre, le fait que des millions de réfugiés fuient les conflits au Soudan émeut par exemple beaucoup moins, d'où leur moindre grande visibilité.

La différence en pratique

Quoi qu'il en soit, la Belgique se montre déjà bien généreuse vis-à-vis des Ukrainiens. Selon le secrétaire d’Etat à l’Asile, Sammy Mahdi, 22.507 places sont déjà disponibles pour eux chez nous et des titres de séjour ont déjà été donnés à des Ukrainiens. De quoi surprendre vu la saturation de Fedasil. Cela a par exemple incité des étrangers à dormir dans le froid devant le centre de Petit-Château, dans l'espoir d'être reçu pour déposer leurs demandes d'asile. Là où la procédure d'accueil se montre particulièrement lente pour d'autres nationalités, les Ukrainiens sont reçus directement.

Certes, pour fuir la guerre, les Ukrainiens n'ont pas le choix, ils doivent se rendre vers l'UE. Ils ne font pas un long chemin à travers toute une série d'États avant d'arriver en Europe et l'UE pourrait se sentir obligée de les accueillir. Pourtant, il semble qu'il n'y ait pas que cela. En témoigne le cas des étudiants africains discriminés à la frontière de l'Union. Selon le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ce problème ne serait pas réel, comme il l'a annoncé à Europe 1. Pourtant, les témoignages disant le contraire s'accumulent. Euronews l'a encore confirmé ce dimanche 6 mars sur le terrain. C'est le cas d'Alexander Somto Orah, un étudiant nigérian qui a fui Kiev (en Ukraine, 20% des 80.000 étudiants étrangers sont africains). Après quelques heures à la frontière, «un homme en noir est venu nous dire: 'les Indiens, les Africains et les personnes originaires du Moyen-Orient doivent partir d'ici et se rendre au point frontière avec la Roumanie'. Nous lui avons répondu que nous ne pouvions pas recommencer. (...) Parfois, j’ai eu l'impression qu’une personne risquait de mourir, car certaines s'évanouissaient. Il n'y avait pas de couverture, alors on se couvrait avec nos simples vêtements et tout ce qu'on pouvait trouver».

Est-ce que le cas ukrainien pourrait faire évoluer les mentalités sur cette problématique? Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade (une association française de soutien aux réfugiés), en doute. «On voudrait se dire que ça pourrait être l’occasion d’une prise de conscience générale. Mais l’air du temps est plutôt imprégné d’un discours sur le fait qu’il faudrait se protéger, fermer les frontières,… Ce qui laisse d’autant plus apparaître le décalage», se désole-t-elle auprès de TV5 Monde.

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