

Kiev a lancé une demande d’adhésion accélérée à l’UE. Qu’est-ce qu’elle apporterait? Il existe dans les traités européens une clause d’assistance mutuelle. Cette clause prévoit qu’en cas d’agression armée d’un État membre de l’Union, les autres États lui doivent assistance médicale, civile, juridique, etc. Pas forcément militaire, cela dit. La semaine dernière, les députés du Parlement supranational ont demandé “davantage d’efforts pour accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’UE”. Les 27 ministres des Affaires étrangères de l’UE ont lancé ce débat en réunion…
Doit-on en déduire que cette requête lancée par Zelensky est crédible? L’expert en relations internationales Tanguy Struye rappelle qu’une adhésion n’est pas un processus si simple. D’abord, elle nécessite la validation par la Commission européenne, le Parlement, les État membres et le Conseil à l’unanimité. Or il est clair qu’il existe différentes opinions au sein de l’Union, un peu comme avec la Turquie, la Géorgie ou désormais la Moldavie, pays frontalier de l’Ukraine. Chisinau craint un débordement du conflit et a également lancé sa demande d’adhésion la semaine dernière. Normalement, pour entrer dans l’UE, il faut respecter les critères de Copenhague, à savoir la mise en place d’institutions stables garantissant l’État de droit, la démocratie et les droits humains, mais aussi apporter les preuves d’une économie de marché viable. Clairement, Kiev ne répond pas à toutes les conditions. Les circonstances sont toutefois exceptionnelles. Zelensky a ainsi demandé une “nouvelle procédure spéciale”. Pour Tanguy Struye, celle-ci a peu de chances d’aboutir. “En général, on évite l’adhésion d’un État en guerre. Le vote du Parlement montre le soutien envers l’Ukraine, mais il n’a aucune légitimité suffisante. Dans la pratique, une adhésion express est exclue. Ne fût-ce que d’un point de vue géostratégique. Accepter l’Ukraine dans l’UE serait perçu comme une provocation par la Russie. L’escalade pourrait alors être terrible, jusqu’à une troisième guerre mondiale. Ce n’est pas la façon de faire de l’UE.”
Pierre Verjans ajoute: “Le PIB ukrainien est beaucoup plus bas encore que celui de la Roumanie et de la Bulgarie. Or ces deux États posent déjà un problème pour l’intégration économique, pour leur capacité à faire face à la concurrence. L’adhésion de l’Ukraine serait déstabilisante pour l’Union”. Mêmes arguments pour une adhésion éventuelle à l’Otan. “Un pays en guerre ne devient jamais membre de l’Otan, car cela obligerait l’organisation à aider ce pays militairement. Ce n’est pas dans l’intérêt des pays membres et certainement pas des États-Unis, concentrés sur la Chine”, ajoute Tanguy Struye.
À Kiev, l’armée ukrainienne aide des civils à traverser un pont détruit par les bombes russes. © BelgaImage
Dès lors, hormis tenir de beaux discours de solidarité, que font les instances internationales? “Elles ont un rôle défensif. L’Otan déploie des forces dans les pays baltes, mène un jeu de dissuasion pour que l’invasion ne s’étende pas et soutient les forces ukrainiennes. L’UE impose des sanctions économiques…” Il regrette toutefois un certain cynisme: “Tant que le conflit reste en Ukraine, ces instances ne feront rien. On l’a vu avec la Crimée en 2014”. On le voit aussi avec le refus de l’Otan d’instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, car cela reviendrait à la possibilité d’intercepter des appareils russes. Cela serait considéré, a dit Poutine, comme “une participation au conflit armé” des Occidentaux.
Les images des manifestations contre la guerre nous rassurent un peu: tous les Russes ne soutiennent pas les agissements de leur président. Néanmoins, l’opposition n’est pas simple à mener. Certes, de nombreux citoyens descendent dans les rues, mais on dénombre déjà plus de 8.000 arrestations, en raison d’une nouvelle loi prévoyant des peines jusqu’à 15 ans de prison pour toute personne ayant un discours dissonant du récit officiel. La chaîne de télévision d’opposition Dojd a par ailleurs été contrainte de suspendre sa diffusion, car elle n’a pas respecté l’interdiction d’usage des mots “guerre” ou “invasion”. Des personnalités comme le Prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, le très populaire rappeur russe Oxxxymiron ou le numéro 1 des échecs Ian Nepomniachtchi s’opposent aussi au conflit armé.
Toutefois, pour raisonner le président tout-puissant, il faut passer par son entourage proche… “En théorie, la Russie est un État fédéral avec une séparation des pouvoirs, rappelle Pierre Verjans. Cependant, on a vu récemment l’attitude de Poutine face au chef des renseignements extérieurs, service d’où il est lui-même issu. C’est très symbolique. Poutine l’a humilié en l’interrogeant sur sa position sur l’Ukraine, et a ordonné qu’on diffuse la séquence à la télévision. Le message est: si quelqu’un n’est pas d’accord, non seulement il n’ose pas le dire, mais en plus il se fait humilier publiquement.” Tanguy Struye conclut: “On a peu d’information sur le processus décisionnel en Russie. Certes, Vladimir Poutine a le dernier mot, mais on sait qu’il a une quinzaine de conseillers. Il ne serait pas étonnant que ces conseillers aient peur de Poutine. Alors peut-être qu’ils donnent des informations qui renforcent sa vision des choses”…