Les nouveaux mercenaires, une aubaine économique et politique

Comment le théâtre de la guerre en Ukraine expose la prolifération inquiétante des milices privées.

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Qui sont ces nouveaux mercenaires? © BelgaImage

Régulières, les armées du XXIe siècle? Après la guerre froide, un vent de privatisation a poussé de nombreux pays à rationaliser leurs capacités de défense. D’où le débarquement de nouveaux gros bras sur les zones de conflit. En Irak, en Afghanistan, en Afrique sub­saharienne… On les appelle les sociétés militaires privées (SMP). Parmi les plus connues, la russe Wagner, active en Ukraine, ou l’américaine Blackwater (rebaptisée Academi). La France, elle, recourt à Secopex, la Grande-Bretagne, à Aegis Defence Services Ltd et l’Ukraine, à la société Omega Consulting Group. De simples mercenaires?

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Ces militaires privés sont liés par un contrat signé avec une entreprise ayant un statut juridique, alors que les mercenaires sont directement engagés de manière individuelle par des gouvernements, voire des groupes ­rebelles”, explique Amandine Dusoulier, auteure de travaux sur les SMP pour le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), basé à Bruxelles. De quel type d’entreprise s’agit-il? “Ce sont des firmes commerciales qui fournissent des services militaires et de sécurité. Elles ont un rôle d’intermédiaire entre les militaires et les gouvernements ou les entreprises qui font appel à leurs services. Elles engagent des personnes disposant d’une formation militaire et leur offre de services couvre un large panel d’activités, telles la participation à des missions de combat, la ­protection de sites d’extraction ou la formation des forces armées locales et des gardes du corps présidentiels”, détaille la chercheuse.

1.000 dollars par jour

Une arme particulièrement redoutable. D’abord parce que ces miliciens privés sont souvent mieux entraînés et (bien) mieux payés que les soldats réguliers. Selon l’Observatoire étudiant des relations internationales (OERI), ils peuvent toucher jusqu’à 1.000 $ par jour. “Ce type de salaire attractif explique partiellement le fort taux de candidatures dans ces sociétés”, commente l’association. Notamment dans les pays à faibles revenus, comme la Colombie et le Salvador, où des SMP américaines, entre autres, débauchent très facilement les soldats sous-payés des armées officielles. Ainsi, pointe encore l’observatoire français, la SMP Triple Canopy (Illinois) propose aux soldats salvadoriens un salaire de 1.700 $ par mois et une assurance vie. C’est 5 à 6 fois le revenu moyen dans ce pays d’Amérique latine. Mieux rémunérés, ces nouveaux mercenaires se révèlent pourtant plus rentables que les armées régulières et leurs coûts structurels astronomiques.

Ces milices sont donc moins coûteuses, tant du point de vue économique que politique. “Les pertes subies par les employés des SMP n’entraînent pas un impact public aussi important que la mort de soldats”, avance l’ONG Transparency International citée par le média allemand Deutsche Welle. Des mercenaires plus efficaces, moins coûteux et dont la mort serait moins embarrassante? Et surtout, que les gouvernements peuvent envoyer faire le sale boulot à leur place. Selon le Grip, les SMP autorisent le “déni plausible” et “l’absence de preuve” au bénéfice des États commanditaires. De quoi éviter de perdre le soutien de l’opinion publique. Même si ces firmes sont souvent accusées de faire durer les conflits pour accroître leurs bénéfices.

Le Kremlin joue du Wagner

Combien de SMP sont actives sur la planète? Très peu d’informations filtrent à leur sujet. “Une des rares données à notre disposition émane d’un rapport du Pentagone de 2017 qui faisait déjà état de 21 firmes américaines de sécurité privées au Sahel”, explique le Grip. Selon Transparency International, les interventions récentes en Irak et en Afghanistan ont fait appel à plus de 250.000 employés de SMP et de sociétés de sécurité privées. Quelle marge de manœuvre ont-elles par rapport aux missions ­confiées par leurs employeurs? C’est encore plus nébuleux. À l’image du Groupe Wagner, présent en Ukraine depuis plusieurs années déjà. Une milice qui serait commandée par l’ex-officier du renseignement militaire russe (GRU) Dmitri Outkine et financée par l’oligarque Evgueni Prigojine, un ­proche de Vladimir Poutine.

Moscou contrôle-t-il Wagner à 100 %? “Certains affirment que ce groupe serait un instrument officieux de la politique étrangère russe que le Kremlin déploierait à sa guise en fonction de ses intérêts”, constate Amandine Dusoulier. Or, le code pénal russe punit les mercenaires d’une peine de 3 à 7 ans de prison… “Ces SMP russes sont donc enregistrées à l’étranger et leurs employés sont sous la menace permanente de poursuites judiciaires. Wagner serait ainsi enregistré en Argentine. Les liens entre ce groupe et Moscou demeurent flous mais plusieurs indices incitent à regarder du côté de l’État russe. Selon certaines sources, le groupe posséderait en effet un camp d’entraînement dans le village de Molkino (Caucase du Nord). Il s’agirait du même camp que celui qui accueille la 10e brigade des forces spéciales du GRU. Mais il s’avère extrêmement difficile d’établir un lien direct entre les actions de Wagner et le Kremlin.

De quoi se laver les mains des exactions commises par ces SMP? En Irak, les sociétés militaires privées américaines Blackwater, mais aussi CACI et L-3 ­Services Inc., ont été impliquées dans des massacres et des actes de torture. Même chose pour des SMP russes en Syrie ou en Centrafrique. Ces abus ont néanmoins permis d’ouvrir les débats sur la responsabilité juridique de ces milices et de leurs clients étatiques. Plusieurs initiatives visant à réguler et contrôler les SMP ont donc vu le jour. Insuffisant pour le Groupe de travail de l’ONU sur l’utilisation de ­mercenaires qui s’inquiète de l’explosion de ces ­milices privées et demande la mise en place d’un cadre réglementaire international et contraignant.

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