
Ukraine: pourquoi Marioupol est une cible stratégique pour la Russie

« Ce qui se passe à Marioupol est un crime de guerre majeur : les bombardements détruisent tout et tuent tout le monde de façon indiscriminée, déclarait lundi Joseph Borrel, le chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE). C'est quelque chose d'horrible. Nous devons condamner cela dans les termes les plus forts. La ville est complètement détruite et les gens vont, sont en train de mourir ». Entrés le 18 mars dans la ville, les chars de l’armée russe continuent d’avancer, mètre par mètre, au milieu de maisons et d’hôpitaux détruits, de façades éventrées.
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Selon le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, environ 100.000 personnes seraient toujours prisonnières dans les ruines de Marioupol. Depuis le début de l’invasion, l’armée russe pilonne sans relâche ce port de la région de Donetsk (sud du pays), autrefois peuplé de quelque 400.000 habitants. C’est que l’endroit est stratégique, et ce, à plus d’un titre.
Opérer la jonction avec l'est
C’est un véritable carrefour entre la mer d’Azov (et donc la mer Noire), la Russie (la frontière russe n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres) et la Crimée (annexée en 2014, elle se trouve à 350 kilomètres). Son contrôle est nécessaire aux forces parties de Crimée, afin d’opérer la jonction avec les séparatistes ukrainiens du Donbass (à l’est de l’Ukraine). Selon le général Sir Richard Barrons - ancien commandant du Commandement des forces conjointes du Royaume-Uni, la prise de Marioupol serait vitale pour la suite de la campagne militaire de Moscou.
"Lorsque les Russes sentiront qu'ils ont conclu avec succès cette bataille, ils auront achevé un pont terrestre entre la Russie et la Crimée et ils verront cela comme un succès stratégique majeur », expliquait-il à la BBC. En prenant le contrôle de la ville, la Russie se ménagerait un long corridor jusqu’à Kherson, la première grande ville conquise depuis le début de la guerre. Du même coup, l’Ukraine serait totalement privée d’accès à la mer d’Azov.
"Quête géopolitique perpétuelle"
C’est d’ailleurs la seconde raison qui fait de Marioupol une cible prioritaire. Siège d’une puissante industrie métallurgique, la ville est un centre d’exportation important pour l’acier, le charbon et le maïs. Son importance économique avait commencé à décroître depuis la construction d’un pont sur le détroit de Kertch (reliant la Crimée à la Russie, celui-ci complique depuis 2018 le passage des navires ukrainiens).
Mais pour l’Ukraine, la prise de Marioupol serait tout de même un coup dur, sur le plan économique. Et un succès pour la Russie, qui, vu ses débouchés maritimes vers l'ouest et le sud limités, a toujours cherché un accès à la mer d'Azov, qui permet de rejoindre la Méditerranée via la mer Noire.
Dès le XVIIIe siècle, "sous Pierre le Grand, la Russie a cherché à étendre sa domination vers les mers du Sud, dont la mer Noire. C'est devenu une quête géopolitique perpétuelle", rappelait à Franceinfo Igor Delanoë, directeur adjoint de l'Observatoire franco-russe et spécialiste de la marine russe. En prenant Marioupol, Moscou se garantirait ainsi un accès complet à la mer.
Servir la propagande de Poutine
L’enjeu est également symbolique. Avant le conflit, la ville abritait une forte présence militaire ukrainienne, conséquence d’une brève occupation russe lors de l’annexion de la Crimée. En 2014, la reconquête de la ville avait été célébré comme une victoire majeure contre le grand voisin de l’est. Pour Poutine, prendre le littoral ukrainien serait une étape importante pour la reconstruction de ce qu’il appelle la Novorossiya, la « Nouvelle Russie », et l’incorporation de ces terres dans le giron du Kremlin.
Enfin, sur le plan de la communication, une victoire à Marioupol irait dans le sens de la propagande poutinienne. La ville abrite en effet une unité de milice appelée la Brigade Azov, qui compte de nombreux néonazis. Et ce, alors que Poutine a justement mis en avant « la dénazification » du pays comme prétexte à son invasion.
Face à la résistance de la ville, Moscou a mobilisé de plus en plus de forces, et a intensifié les bombardements. Le diplomate grec Manolis Androulakis a expliqué craindre sa destruction totale, et a comparé Marioupol à d’autres villes rayées de la carte au cours de conflits, comme Guernica, Stalingrad ou Grozny.