Quel impact pour la Belgique et l'Europe si Le Pen ou Macron est élu?

Les élections françaises auront de grosses conséquences en-dehors de l'Hexagone. Analyse de ce qui arriverait dans un cas comme dans l'autre.

Drapeaux français, belge et européen
Drapeaux français, belge et européen, à Paris le 15 novembre 2015 @BelgaImage

Ce dimanche 24 avril 2022, les Français devront trancher entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle, comme en 2017. Pour convaincre, les deux candidats ont débattu de tout un tas de sujets franco-français. Pourtant, cette élection aura aussi un impact au-delà des frontières de l'Hexagone. Les retombées pourraient être particulièrement concrètes pour l'avenir de l'Union européenne et les pays voisins de la France, dont la Belgique. Mais dans un cas comme dans l'autre, les programmes des candidats cachent des non-dits qui pourraient contrecarrer leurs projets.

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Marine Le Pen, la nationaliste

Contrairement à ce que prônait le Front national jadis, Marine Le Pen se refuse désormais à parler d'un Frexit ou d'une sortie de l'euro. Pour autant, son programme cultive l'ambiguïté puisqu'il évoque «la création d’une Alliance Européenne des Nations qui a vocation à se substituer progressivement à l’Union Européenne». Son ambition: faire de la France «le chef de file politique des pays non alignés sur les dogmes de l'Union européenne». Elle prévoit d'ailleurs explicitement de sortir de plusieurs organismes européens, à l'instar du marché européen de l'électricité (accusé de stimuler à la hausse les prix de l'énergie en France pour se calquer sur la moyenne européenne alors que le nucléaire, ultra-présent en France, est une énergie à bas coût). Seuls des accords sectoriels auraient sa bénédiction.

Les traités de libre-échange passeraient eux à la trappe (que ce soient ceux en cours de négociation ou le CETA avec le Canada), tout comme l'application des textes européens qu'elle jugerait contraire à la Constitution française selon ses dires. Elle voudrait également réduire la contribution française au budget de l'UE (alors qu'elle représente près de 22% du total). Cerise sur la gâteau: elle veut «supprimer le travail détaché» et instaurer une «priorité nationale» dans l’attribution des marchés publics, en favorisant les entreprises françaises au détriment de celles étrangères (belges donc entre autres, alors que la Belgique est le quatrième partenaire commercial de la France).

Pour ce qui est de la libre circulation en Europe, elle semble a priori menacée puisqu'elle prône un rétablissement des contrôles aux frontières françaises. Elle propose seulement des procédures simplifiées pour les ressortissants européens, sans plus d'explications. Les transfrontaliers, notamment belges, seraient d'autant plus dans l'incertitude qu'en parallèle, Marine Le Pen veut renégocier les accords de Schengen.

Enfin, la candidate du Rassemblement national a bien évidemment abordé le sujet russe. En l'occurrence, elle s'oppose à tout embargo européen sur le pétrole au nom du pouvoir d'achat des Français. Plus frappant encore: elle veut retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN tout en souhaitant un rapprochement entre l'OTAN et Moscou.

Un projet... en bonne partie inapplicable, sinon dangereux?

Lors du débat de l'entre-deux-tours, Emmanuel Macron a critiqué le projet de son opposante en estimant qu'en mettant bout à bout toutes les propositions du Rassemblement national, cela revenait de facto à sortir de l'Union européenne. Le souci en effet, c'est que la France n'est pas la Hongrie de Viktor Orban, seul véritable allié de Marine Le Pen parmi les gouvernements européens (et donc seul par ailleurs à appuyer son projet d'«Europe des nations»). Ici, il s'agit d'un des membres fondateurs de l'UE et son court-circuitage par un pouvoir d'extrême-droite pourrait être dévastateur pour l'Europe. Une victoire de Marine Le Pen «serait pire que le Brexit et pire que Trump», affirme au journal Le Monde un diplomate d’Europe centrale en poste à Paris.

Sur le plan juridique, Marine Le Pen aurait cela dit bien du mal à s'affranchir du droit européen quand ça lui chante. Pour rendre possible la supériorité du droit national par exemple, il faudrait une unanimité des 27. Autant dire que cela paraît très improbable, pour ne pas dire impossible. Elle devrait donc faire une déclaration unilatérale, ce qui expose la France à des sanctions dantesques. Idem pour le rétablissement des contrôles aux frontières, que ce soit pour s'opposer à l'entrée d'individus ou de marchandises. Il lui faudrait soit un accord européen, soit une rébellion qui serait inévitablement sanctionnée. Si elle fait cavalier seule, les tensions avec les pays frontaliers, dont la Belgique, seraient à coup sûr très élevés. Même si elle se contente de quelques provocations, sans aller jusqu'à cet extrême, le climat politique s'en retrouverait sûrement dégradé. En attestent les tensions créées par la Hongrie lorsque, en pleine crise migratoire syrienne, Viktor Orban a pratiqué des contrôles aux frontières qualifiées d'«injustifiées» par ses voisins

Dévastateur, le plan de Marine Le Pen a le potentiel de l'être d'un point de vue économique. Si son programme est appliqué à la lettre, «pour la Belgique, l’impact le plus grand serait lié à une remise en cause de la libre-circulation des marchandises sachant que la France est un de nos partenaires commerciaux principal avec l’Allemagne», affirme à la DH Pierre Vercauteren, politologue à l’UCLouvain. «De plus, s’il y a des contrôles aux frontières, l’impact risquerait d’être aussi dommageable que le Brexit et sa volonté de réduire la contribution financière au budget européen comme les remises en causes du système de l’UE peuvent aussi provoquer une crise au sein de l’UE, ce qui impacterait aussi la Belgique». Par ailleurs, le chacun pour soi de Marine Le Pen ferait probablement exploser les taux d'intérêt. Cela reviendrait à prendre le risque d'affaiblir les pays les plus fragiles. Si d'autres États ne leur viennent pas en secours, certains pourraient ne pas tenir. En bref, un scénario de crise grecque à grande échelle et où certains ne pourraient pas être sauvés comme l'a été la Grèce il y a dix ans. De facto, c'est donc le spectre d'une crise de l'euro XXL qui plane, du moins si l'extrême-droite française applique son programme à la lettre.

Mais avant d'en arriver là, il faudrait encore que Marine Le Pen puisse appliquer ce qu'elle propose. Or ne serait-ce que pour réduire la contribution française au budget de l'UE, cela semble compliqué. Car ce n'est pas Paris qui édicte ce qu'elle donne ou pas à Bruxelles, mais c'est le résultat d'un calcul ayant fait l'objet d'un accord européen. Encore une fois, il faudrait donc le renégocier ou s'en défaire unilatéralement. Puis de toute façon, la France s'est déjà engagée sur son budget européen jusque 2027... c'est-à-dire quand se terminerait le mandat présidentiel à venir. Rebelote pour l'attribution des marchés publics selon une «priorité nationale» ou sa volonté de «supprimer le travail détaché». Sans accord des 27 ou désobéissance fracassante, tout projet en ce sens serait retoqué par la justice. Le pouvoir d'influence de Marine Le Pen serait par contre plus concret sur les traités de libre-échange en cours de négociation, à l'exemple de ce qu'a fait la Wallonie en 2016 avec le CETA avant de l'approuver.

Pour le marché européen de l'énergie dont Marine Le Pen veut sortir, notons d'abord que le grand gagnant dans l'histoire de régulation des prix de l'énergie au niveau européen, c'est... EDF, le joyau des entreprises publiques françaises. En vendant en effet son énergie nucléaire plus chère que ce qu'il pourrait, EDF gagne beaucoup d'argent. En sortant de ce marché, l'entreprise subirait un gros coup dur, sans compter qu'elle serait privée de ses exportations à des marchés étrangers. Au-delà de cette considération, une sortie semble compliquée. De un, cela prendrait des années le temps d'en régler les détails. Puis la France ne possède pas les capacités pour produire toute son énergie (ce qui ne devrait pas s'arranger si Marine Le Pen démantèle tout l'éolien et impose un moratoire sur l'énergie solaire, comme elle le propose dans son programme). Elle a besoin d'importations et là, le marché européen a toute son utilité. Une réforme est-elle possible comme alternative? Oui, mais vous connaissez l'histoire: il faut l'accord de tous les pays. Puis un retrait brutal serait une remise en cause de la logique européenne qui sous-tend tous les autres projets de l'UE (dont certains sont en effet plus défavorables à la France, alors que d'autres lui sont très favorables). Selon l'économiste Jacques Percebois interrogé par France Info, au lieu de réfléchir à une sortie ou réforme de ce marché de l'énergie, «la solution idéale à court terme, c'est de réduire la demande aux heures de pointe, en trouvant des incitations pour moins consommer. Si on réduit la demande à ces heures-là, on n'aura plus besoin de faire appel aux centrales à gaz. Ça doit se faire au niveau européen, mais ce serait très efficace».

En bref, Marine Le Pen voudrait détricoter toute l'Union européenne, ce qui expose la France à de grandes tensions, en premier lieu avec ses voisins, à plus large échelle avec toute l'Europe. Un climat de défiance qui serait encore plus exacerbé avec une sortie de la France du commandement intégré de l'OTAN, et ce en pleine guerre d'Ukraine. Une vraie zizanie pourrait en découler. Autrement dit, pile ce que Vladimir Poutine pourrait espérer. Emmanuel Macron n'a d'ailleurs pas hésité à attaquer la candidate sur ce point, y compris en relevant sa dépendance à un emprunt russe pour financer le Rassemblement national. Enfin, tout rapprochement entre l'OTAN et la Russie semble en l'état complètement illusoire.

Puis précisons quand même pour terminer avec son programme: Marine Le Pen affirme que l'Union européenne «confisque la démocratie» et est illégitime. Or cela ne correspond pas à la réalité. Si les Européens ne choisissent pas directement les membres de la Commission européenne, ils élisent les députés européens (qui approuvent ou non la composition de la Commission). En bref, un système similaire à l'élection d'un gouvernement belge. Le Conseil européen est quant à lui composé des chefs d'État des différents pays, eux-mêmes ayant été élus.

Emmanuel Macron, l'Européen

Pour ce qui est du projet de l’actuel président français maintenant, il veut surtout deux choses en Europe: consolider l’autonomie de l'UE (sur le plan militaire, énergétique, etc.) et réformer la gestion des frontières de l’escape Schengen.

Plus concrètement, il veut un renforcement des armées européennes (avec en plus une doctrine défensive stratégique et une meilleure coordination entre pays), une accélération du développement des énergies propres en Europe (pour réduire la dépendance aux importations énergétiques, polluantes en premier lieu), une autonomie technologique de l’UE (avec des investissements communs à ses membres pour créer des «champions», un «cloud» et «une constellation de satellites») et revoir certains projets européens. Sur ce dernier point, il vise en réalité à s’adapter, entre autres, aux conséquences de la guerre en Ukraine, et ce de deux façons: une intensification du plan protéines (pour importer moins de maïs et de soja en boostant la production européenne) et une adaptation de la stratégie «farm to fork» (en abaissant ses objectifs pour éviter une éventuelle baisse de la production agricole européenne, le but actuel étant de réduire de moitié l'utilisation de pesticides et de 20 % celle d'engrais chimiques d'ici 2030).

Pour ce qui est de l’espace Shenghen, Emmanuel Macron veut créer un conseil à sa tête, un dispositif intergouvernemental d'urgence pour aider Frontex à gérer les frontières extérieures de Schenghen, ainsi qu’une «force des frontières» au niveau français. En clair, il veut renforcer les frontières européennes et nationales, sans pour autant remettre en cause l'espace Shenghen.

Enfin, sur l'enjeu brûlant de la Russie, l’actuel président n’aborde pas que peu le sujet. On peut cela dit supposer qu’il reste sur la ligne actuelle: rester dur face à Moscou avec un mélange de sanctions, d’aides (y compris militaires) à l’Ukraine, de réduction d’importations énergétiques (comme avec un projet de port méthanier flottant au Havre), le tout en soulignant le rôle de l’OTAN. Le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a déjà réclamé un embargo sur le charbon et le pétrole russe. Le gaz manque pour l'instant à l'appel.

Un programme loin d'être sans failles

Le projet d'une défense européenne plus forte évoquée par Emmanuel Macron fait figure de «serpent de mer» de la politique continentale. Comme nous l’a confié Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de l’UCLouvain, c’est plutôt le rôle de l’OTAN qui est renforcé à l’heure actuelle avec la guerre en Ukraine. Mais il ajoute que ce conflit incite à «une prise de conscience au sein de l’UE d’arrêter de négliger les budgets de la Défense». Le projet d’Emmanuel Macron s’inscrit dans ce cadre.

Pour ce qui est des énergies propres, tout dépend de ce qui est entendu par «énergies propres». Au début de l’année, le nucléaire et le gaz ont ainsi obtenu le label vert de la Commission européenne suite à la pression d’une série de pays (dont la France et l’Allemagne). Résultat: le charbon et le pétrole pourraient ne pas être forcément remplacés par le renouvelable. Si la France va dans cette direction, elle risque de s’attirer les foudres des ONG environnementalistes comme Greenpeace déjà très critiques sur le bilan du quinquennat. Elles ne manqueraient pas de faire remarquer que le gaz aboutit à un effet de serre certes moins grand mais réel, et que le problème du stockage des déchets nucléaires reste entier. Entre ces deux énergies, la guerre en Ukraine pourrait inciter à aller plus vers le nucléaire et moins vers le gaz. Cela ne fait pas l’affaire de l’Allemagne, qui dépend fortement du gaz et s'est désistée du nucléaire, mais c’est au bénéfice de la France, dont le mix énergétique est à 70% d’origine nucléaire.

L’autonomie stratégique économique de l’UE est ensuite un grand projet d’Emmanuel Macron, déjà abordée pendant la crise du Covid qui a mis en lumière la dépendance problématique à des États comme la Chine (masques, médicaments, électronique, etc.). Reste que cela suscite quelques réserves, notamment à l’Est où des pays comme la Pologne craignent que cela n’éloigne l’Europe des USA. Or le soutien des États-Unis leur paraît vital, surtout dans un climat de tension avec la Russie. Cet horizon reste donc à construire mais est sur les rails comme avec le «Chips Act» qui vise à quadrupler la production de puces électroniques en Europe, ou avec la possibilité de déroger à certaines règles de la concurrence pour subventionner des secteurs stratégiques comme la santé, l'informatique ou l'hydrogène. Précisons aussi que les USA travaillent à leur propre autonomie industrielle.

Pour ce qui est du plan protéines, Emmanuel Macron est sur la même ligne que WWF ou encore Greenpeace. Renforcer l’autonomie agricole apparaît comme un enjeu fondamental et cela va dans ce sens. Là où le président s'oppose à ces ONG, c’est en voulant abaisser les objectifs de la stratégie «farm to fork». La directrice de WWF France, Véronique Andrieux, fait ainsi valoir dans le HuffPost que pour contrer la baisse des importations russes et ukrainiennes, la priorité ne réside pas dans l'augmentation pure de la production alimentaire européenne voulue par Emmanuel Macron (avec l’utilisation accrue de pesticides et les conséquences qui en découleraient). Selon elle, il vaut mieux non seulement garder les objectifs environnementaux fixés mais aussi mieux lutter contre le gaspillage, plus financer l’agroécologie et favoriser un régime alimentaire nécessitant moins de céréales (notamment pour l’élevage). Ces solutions sont-elles jugées par Emmanuel Macron trop compliquées à mettre en œuvre dans le contexte actuel, ou vues comme insuffisantes pour contrer la hausse des prix alimentaires? En tout cas, elles ne sont pas mises en avant.

Au chapitre Schenghen, l’idée du conseil voulu par le président français a en réalité déjà été approuvée par les 27 le 3 février dernier. La volonté serait donc surtout ici d’accompagner le déploiement de ce projet par la suite. Comme le précise à RFI Pierre Berthelet, docteur en droit, il s'agit avec ce conseil d'«assurer un meilleur dialogue politique à un niveau supérieur», contrairement à la cacophonie de la crise migratoire de 2015 ou des fermetures de frontières pendant la crise sanitaire, d’où son utilité qu’il juge «positive». Est-ce que cela pourrait aussi aider à mieux harmoniser la politique migratoire européenne? La question reste en suspens. Thierry Leroy, président de l’association France terre d’asile, prévient en tout cas qu’un meilleur contrôle aux frontières extérieures de Schenghen «ne suffira pas» à régler ce problème. Il prône ainsi avant tout une meilleure répartition des flux migratoires entre États, projet qui n’est toujours pas acquis. Yves Pascouau, spécialiste des migrations, voit aussi dans le renforcement des frontières intérieures plus une réaction purement politique au problème migratoire, en réponse au populisme ambiant, et pas une solution de fond. Au lieu d'un système répressif qui cherche à réduire le plus possible les droits des migrants, il prône lui aussi des migrations ordonnées sur le modèle du pacte de Marrakech.

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