Le «sang juif» d’Hitler? Quand la Russie s’arrange avec l’Histoire

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a tenté une comparaison entre le président ukrainien Zelensky et Adolf Hitler, qui aurait également eu « du sang juif ». Des propos qui font référence à des rumeurs nées avant la Seconde Guerre mondiale, et jamais étayées par des preuves historiques tangibles.

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Sergueï Lavrov, le 27 avril@BELGAIMAGE

Les autorités russes n’ont décidément pas peur de titiller le point Godwin. Ni de s’enfoncer dans des explications consternantes pour tenter de justifier l’injustifiable. Dimanche, la chaîne d’information italienne Zona Bianca interrogeait le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

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Et soulevait ce qui pourrait bien ressembler à une contradiction : comment Vladimir Poutine peut-il prétendre «dénazifier» l’Ukraine alors même que le président élu du pays, est juif ? Réponse de Lavrov : «Et alors, même si Zelensky était juif… Le fait ne nie pas les éléments nazis en Ukraine. Je crois qu’Hitler avait aussi du sang juif. Certains des pires antisémites sont juifs».

Des propos qui ne sont évidemment pas passés inaperçu, notamment en Israël, malgré le fait que Tel-Aviv et Moscou coopèrent militairement sur certains terrains, comme en Syrie. Lundi, Yaïr Lapid, l’homologue israélien de Sergueï Lavrov, a jugé dans un tweet que les propos de ce dernier étaient «à la fois une déclaration impardonnable et scandaleuse et une terrible erreur historique. Les Juifs ne se sont pas assassinés eux-mêmes pendant l’Holocauste (…)».

«Nous avons prêté attention aux déclarations anti-historiques du ministre des Affaires étrangères (israélien) Yaïr Lapid, qui expliquent en grande partie la décision du gouvernement actuel de soutenir le régime néonazi de Kiev», a indiqué la diplomatie russe dans un communiqué, rajoutant une couche après les propos de M. Lavrov.

Dani Dayan, directeur du musée de l’Holocauste Yad Vashem, à Jérusalem, a quant à lui jugé que le ministre russe avait, avec ses déclarations, transformé «des victimes en criminels, sur la base d’une affirmation totalement fausse selon laquelle Hitler était d’origine juive».

Aloïs Hitler, un enfant «illégitime»

La théorie selon laquelle Hitler aurait des origines juives n’est pas neuve, et resurgit ainsi régulièrement. Le père d’Adolf Hitler, Aloïs, était en effet «un enfant illégitime et son géniteur était inconnu», expliquait à l’AFP l’historien autrichien Roman Sandgruber, auteur l’an dernier de la première biographie d’Aloïs, né en 1837 et mort en 1903 (Hitler avait alors 14 ans).

Comme le notait l’historien, «des spéculations selon lesquelles il pourrait avoir des origines juives ont émergé» dans les années 1920, au moment de l’ascension du fondateur du parti national-socialiste. Ces rumeurs étaient colportées par des adversaires politiques d’Hitler, et se sont renforcées par son arrivée au pouvoir en 1933. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la publication des Mémoires de Hans Frank, un dignitaire du parti nazi (surnommé le «bourreau de Pologne»), a relancé cette théorie.

Hans Frank y affirmait avoir secrètement enquêté sur les origines d’Adolf Hilter, à la demande de celui-ci. «Ce devait être vers la fin de 1930. J’ai été convoqué» par Hitler qui se disait victime de «l’odieux chantage» d’un neveu au sujet du «sang juif coulant dans ses veines», écrivait-il, selon des extraits diffusés à l’époque par le magazine allemand der Spiegel.

Hans Frank dit avoir découvert que la grand-mère paternelle du Führer, Maria Anna Schicklgruber, avait donné naissance à un garçon, Alois, alors qu’elle travaillait comme cuisinière dans une famille juive du nom de Frankenberger dans la ville autrichienne de Graz. Selon Hans Frank, le patron de Maria Anna Schicklgruber aurait versé une pension alimentaire jusqu’à ce qu'Aloïs soit âgé de 14 ans.  La grand-mère paternelle du Führer et ce patron Juif se seraient également échangés des lettres prouvant la filiation, selon le dignitaire nazi.

Blâmer les Juifs pour l'Holocauste

Mais les historiens restent sceptiques quant à cette version. Quand les faits se sont déroulés, «les Juifs n’avaient pas le droit de résider à Graz», commentait ainsi à l’AFP Roman Sandgruber, pour qui «il n’existe aucune preuve tangible» étayant la thèse d’origines juives d’Adolf Hitler. Selon le récit livré par Adolf Hitler lui-même, sa grand-mère, Maria Anna Schicklgruber, et le futur mari de celle-ci, Johann Hiedler, auraient en réalité convaincu le dénommé Frankenberger  de sa paternité pour parvenir à lui soutirer de l’argent.

«Qui était vraiment le grand-père d’Hitler? C’est une question sans réponse», résumait quant à lui Ofer Aderet, journaliste spécialiste en la matière du quotidien israélien Haaretz. Certains ont avancé que cette théorie était une «une tentative des nazis de fournir une explication pour leur défaite dans la Seconde Guerre mondiale», soulignait-t-il.

C’est ce que pointait également le journaliste américain Ron Rosenbaum dans son livre Pourquoi Hitler ? Enquête sur l’origine du mal, qui voyait dans l’hypothèse du grand-père Juif d’Hitler, une manière de «chercher un juif à accuser pour Hitler».

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