
Ce qui pourrait se passer si Poutine décédait

Depuis des mois, l'état de santé de Vladimir Poutine attire l'attention. Encore début juin, Newsweek publiait des informations inédites sur son supposé cancer, suscitant à nouveau le débat sur la fiabilité de ce genre de déclaration. Toujours selon le magazine, un rapport classifié des services de renseignement américains noterait que le président russe a été visé par une tentative d'assassinat. Fin mai, le chef des services de renseignement ukrainiens, Kyrylo Budanov, affirmait déjà que Vladimir Poutine a été la cible d'une telle attaque dans le Caucase. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre: Vladimir Poutine est toujours en vie. Mais que se passerait-il s'il venait à mourir? Même en Occident, des responsables souhaitent que ce scénario se réalise, à l'instar du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères qui déclarait début mars sur Radio 100,7 que «cela semble être la seule solution» pour arrêter la guerre en Ukraine. Mais est-il si certain que la mort de Poutine règlerait le conflit? A priori, c'est loin d'être sûr.
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Un Premier ministre bien fragile
Si le président russe décède, l'article 92 de la Constitution russe est clair. Qu'importe s'il meure, démissionne ou que sa santé lui empêche d'exercer ses fonctions, c'est le président du gouvernement (en d'autres mots le Premier ministre) qui prend temporairement les manettes. Depuis janvier 2020, cette personne est Mikhaïl Michoustine et c'est donc lui qui assurerait la relève à la tête de l'État. Il serait alors chargé d'organiser de nouvelles élections présidentielles dans un délai de trois mois au plus tard. Entretemps, il n'aurait le droit ni de dissoudre la Douma (la chambre basse du Parlement russe), ni de convoquer un référendum ou encore de changer la Constitution.
Inconnu du grand public en Occident, Michoustine jouit cela dit d'une position très fragile. De base, il n'est ni un politique, ni un membre de l'armée ou des services de renseignement. Entre 2010 et 2020, il était simplement chef du Service fédéral des impôts. Il ne jouit donc d'aucune base politique solide et son aura n'est que très limitée. Il n'est même pas certain qu'il pèse beaucoup dans la balance du pouvoir, y compris à propos de l'invasion de l'Ukraine. En réalité, s'il est à son poste, c'est probablement plus une manière pour Poutine d'avoir la main sur les affaires du gouvernement.
Comparé à Michoustine, d'autres personnalités jouissent d'ailleurs d'une position bien plus forte que la sienne. En cas de disparition du chef du Kremlin, il n'est donc pas du tout exclu que quelqu'un d'autre s'impose tôt ou tard, voire avant même l'organisation d'élections. Interrogé sur sa succession en octobre 2021, Vladimir Poutine bottait même en touche. «Je préfère ne pas répondre à de telles questions», répondait celui qui pourrait théoriquement rester au pouvoir jusqu'en 2036 suite à un récent changement constitutionnel.
Un faucon nationaliste
Les spéculations vont toutefois de bon train sur le nom de son dauphin. Celui qui revient le plus souvent, c'est Nikolaï Patrouchev, un fidèle de très longue date. Comme lui, il a travaillé au KGB durant l'ère soviétique. Il a ensuite pris sa place à la tête du nouveau service des renseignements, le FSB, de 1999 (lorsque Poutine est arrivé à la tête de l'État) à 2008. Depuis, il est secrétaire du Conseil de la sécurité, un organe qui conseille directement le président en matière de sécurité nationale.
Patrouchev a beau ne pas figurer dans le gouvernement (si ce n'est peut-être via son fils, ministre de l'Agriculture depuis 2018), sa position au sein du régime russe est centrale. Poutine accorde en effet une importance capitale à ses soutiens au sein de l'armée et des services de renseignements. Il est connu pour son nationalisme acharné et son expérience dans le domaine de l'espionnage. Déjà en 2014, selon le New York Times, il aurait été parmi les instigateurs à l'annexion de la Crimée. Aujourd'hui, il soutient encore une perspective dure de la guerre contre Kiev, n'hésitant pas à recourir à des théories du complot pour soi-disant «dénazifier» l'Ukraine.
Interrogé par la BBC, le professeur de politique russe à l'University College de Londres, Ben Noble, voit en lui le «faucon le plus belliciste» gravitant autour de Poutine, «pensant que l'Occident cherche à s'accaparer la Russie depuis des années». Une arrivée de Patrouchev au pouvoir serait donc a priori loin d'apaiser la guerre en Ukraine ainsi que les tensions avec l'Occident. Mais pour Aude Merlin, professeure à l'ULB et spécialiste de la Russie, les coulisses du Kremlin relèvent tellement du secret qu'il est difficile de savoir si Patrouchev s'imposerait en cas de décès de Vladimir Poutine. «On n'a aucune idée. C'est très opaque ce qu'il se passe», dit-elle à La Libre.
Une myriade de personnalités
Il faut dire que Patrouchev est loin d'être le seul proche de Poutine. Parmi les plus connus en Occident, on trouve l'ancien Premier ministre et président russe, Dmitri Medvedev, ainsi que Sergueï Lavrov, ambassadeur russe aux Nations-Unies de 1994 à 2004, devenu depuis ministre des Affaires étrangères. Ce dernier est le membre le plus stable du gouvernement russe, si ce n'est peut-être à une exception: Sergueï Choïgou. Celui-ci a été ministre des Situations d'urgence de 1994 à 2012, avant d'obtenir le poste de ministre de la Défense qu'il tient toujours. Il est lui aussi une des voix les plus influentes auprès de Vladimir Poutine. Bien qu'il n'ait pas de formation militaire, il instille dans l'armée l'idéologie du Kremlin.
Au-delà du cercle gouvernemental, on trouve notamment Alexandre Bortnikov, un ancien KGB. Depuis 2008, il est directeur du FSB, étant ainsi le successeur direct de Patrouchev. Il y a aussi Viktor Zolotov, directeur de la Garde nationale de Russie depuis 2016. Enfin, il y a une des rares femmes qui pèsent dans l'appareil étatique russe, une farouche partisane de la «dénazification» de l'Ukraine. Son nom: Valentina Matvienko, présidente du Conseil de la fédération depuis 2011, c'est-à-dire la Chambre haute du Parlement russe.
Si l'une de ces personnalités devait prendre la place de Poutine, la guerre en Ukraine pourrait ne pas s'apaiser, bien au contraire. Cette incertitude ambiante tend en tout cas à montrer que le régime russe est centré autour de Vladimir Poutine. En 2020, un fonctionnaire resté anonyme et interrogé par Business Insider affirmait que le président ne pouvait tout simplement pas s'éclipser. «Voyez-vous beaucoup de patrons de la mafia décider, après des décennies de vol et de meurtre, de se retirer tranquillement dans une maison de plage avec tout leur argent?», déclarait-il, faisant d'autres comparaisons du genre avec les autres grands dictateurs. Dans ce cadre où tout est fait pour que Vladimir Poutine reste au Kremlin, désigner ne serait-ce qu'un héritier présomptif équivaudrait à une invitation au coup d'État, juge un responsable occidental des services de renseignement. Selon ce dernier, c'est ce qui explique que le président doive jongler entre les différentes factions politiques et économiques, afin de garder le contrôle à coups de soumissions et de menaces. «Laisse tomber une balle et tu es mort ou en prison. Il pourrait être tentant de demander à quelqu'un de t'aider à jongler mais à qui peut-on vraiment faire confiance?», demandait-il.
Une Russie démocratique?
La Russie semble donc prise au piège de son régime autocratique. Pourtant, d'autres espèrent un scénario bien différent pour la suite. C'est le cas de Mikhaïl Kassianov, Premier ministre russe de 2000 à 2004, au tout début de l'ère Poutine, qui a depuis rejoint des partis libéraux d'opposition. Exilé depuis peu avec le contexte ukrainien (sans précision sur son lieu de refuge), il confie à l'AFP ne plus reconnaître Poutine sur le plan politique, le régime russe actuel ayant adopté un système «rappelant le KGB, reposant sur une impunité totale».
Malgré tout, il ne perd pas espoir en un avenir démocratique pour la Russie. Il estime qu'il faudrait une décennie de dur labeur pour «décommuniser» et «dépoutiniser» le pays ainsi que rétablir la confiance avec l'Occident. Mais il l'assure: si le régime de Poutine tombe, «après la tragédie à laquelle nous assistons, l'opposition s'unira. Je n'ai aucun doute à ce sujet». «Il faudra tout reconstruire de zéro. Il faudra recommencer tout un cycle de réformes économiques et sociales. Il s'agit de défis aussi immenses que difficiles, mais il faudra les relever», conclut-il.
Encore faut-il que la population russe partage le même avis. Avec sa machine de propagande, Vladimir Poutine semble ultrapopulaire. Selon un organe d'étude russe indépendant, le Centre Levada, son taux d'approbation est de 83%. Ce chiffre est-il représentatif ou est-il biaisé par le régime répressif qui n'autorise pas les voix dissonantes, en particulier sur l'Ukraine? Impossible de le savoir avec certitude. Ce qui est sûr, c'est que l'opinion publique aura un rôle, que Poutine persiste à vouloir rester au pouvoir, désigne un successeur ou décède. Il faudra aussi voir si l'opposition arrive à former une alternative assez forte, convaincante et viable pour s'imposer, alors que la démocratie russe reste encore à construire.