Avortement, armes à feu, climat: la Cour suprême est-elle devenue illégitime?

La Cour suprême américaine a forcé un virage ultraconservateur au pays de l’Oncle Sam. Focus sur un contre-pouvoir imparfait, mais nécessaire.

manifestation contre la cour supreme
© BelgaImage

En dix jours à peine, trois décisions de la Cour suprême américaine ont hérissé le poil de l’administration Biden, du camp démocrate aux États-Unis et des progressistes du monde entier. La plus symbolique n’a pas pu vous échapper: la plus haute autorité judiciaire du pays a enterré le 24 juin dernier le droit à l’avortement. “En réalité, elle a seulement décidé qu’il reviendrait désormais aux États de décider leur propre législation en la matière. Jusqu’ici, un droit minimum à l’IVG était imposé par l’arrêt Roe v. Wade de 1973”, nuance le politologue spécialiste des USA de l’ULiege, Jérôme Jamin. Dans la foulée, plusieurs États dont le Missouri et la Géorgie ont banni immédiatement les interruptions volontaires de grossesse sur leur territoire. Deux autres revirements ont été prononcés par la Cour. Premièrement, elle a affirmé clairement que les Américains avaient le droit de porter des armes hors de leur domicile. Elle a à ce titre invalidé la loi de l’État de New York qui limitait fortement les permis de port d’armes. Deuxièmement, le 30 juin, la Cour a limité les moyens fédéraux mis en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique.

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Comment une cour de justice peut-elle à ce point orienter les valeurs d’un pays comme les États-Unis? Pour l’expliquer, Jérôme Jamin nous rappelle l’utilité de la Cour suprême qu’il compare à la Cour de cassation en Belgique. “Il s’agit d’un organe de contre-pouvoir. Elle est indépendante du gouvernement et cela est bien normal dans une démocratie. De plus, certains sujets émeuvent en Europe, or l’UE fonctionne de la même manière. Prenons l’exemple de l’avortement. La position américaine s’est pour le coup européanisée. En Europe non plus, il n’existe pas de règle générale pour tous les États membres. Chacun État décide de sa politique en la matière, ce qui induit de grandes différences entre la Pologne et l’İtalie d’un côté, la Belgique, la France et les Pays-Bas de l’autre.”

Le fait de réduire un droit n’en demeure pas moins problématique. D’autant que la situation pourrait encore se répéter. En effet, la Cour suprême est composée de neuf juges nommés à vie. Ces derniers sont proposés par le président au sénat qui ne s’y oppose pratiquement jamais. Les neuf juges en exercice ont donc des tendances politiques bien connues. Ils sont soit proches des démocrates, soit des conservateurs. En l’occurrence, trois juges ont arrêté ou sont décédés durant le mandat de Trump. Il a donc dû nommer des remplaçants. Par conséquent, sur les juges, six sont conservateurs - nommés par Trump ou Bush fils et père. Seulement deux ont été nommés par Obama et un seul par Joe Biden. “Nommer des juges a vie a du sens pour assurer leur indépendance. Cela dit, une critique qu’on peut faire, est le fait qu’ils ne soient que neuf. Augmenter leur nombre permettrait de la rendre plus représentative de la société américaine”, conclut le politologue.

Contre le gouvernement Biden

L’administration Biden se désole des décisions de la Cour suprême. Pour l’avortement, le président a dénoncé une “erreur tragique” qui “met la santé et la vie de femmes en danger” et a appelé les Américains à défendre le droit à l’avortement lors des élections de mi-mandat en novembre. Pour l’arrêt sur les armes, il s’est dit “profondément déçu” et a regretté un arrêt “contraire au bon sens” qui “devrait tous nous inquiéter”. Quant au climat, le président Joe Biden a dénoncé une décision “dévastatrice” et s’est engagé à continuer “à utiliser les pouvoirs qui lui sont attribués pour protéger la santé publique et lutter contre la crise climatique, alors que nous sommes déjà très en retard dans la réalisation des objectifs de l’accord de Paris.”

Des arrêts progressistes

La Cour suprême n’a pas toujours été majoritairement conservatrice. Cela fait même 50 ans qu’elle était plutôt de tendance démocrate. Durant ce demi-siècle, certains arrêtés ont d’ailleurs été historiques comme la légalisation du mariage pour les personnes de même sexe en 2015. “Les conservateurs ont donc l’occasion de donner une orientation aux valeurs américaines”, conclut Jérôme Jamin de l’ULiege. “Les juges ne sortent évidemment pas des décisions de nulle part. Elles correspondent à une partie non négligeable de l’opinion publique”, ajoute le politologue.

Une institution illégitime?

On l’a vu lors des dernières élections présidentielles et on le constate sur tous les débats de société actuellement en cours, dont l’avortement et le port d’armes: la société américaine est particulièrement divisée. Il faut donc rappeler que si les décisions de la Cour suprême sont décriées en Europe de l’Ouest et aux USA par le camp démocrate, elles sont saluées par de nombreux États et Américains de tendance républicaine. Pour autant, de nombreuses voix considèrent que la Cour est devenue illégitime. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’est pas aujourd’hui représentative de la population puisque les juges démocrates n’ont pour l’heure aucun pouvoir. Une réforme n’est pour autant pas à l’ordre du jour.

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