Inégalités : les milliardaires doivent-ils disparaître ?

À chaque rapport d’Oxfam, la même conclusion: à l’échelle mondiale, les riches sont de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres.

Elon Musk
Elon Musk © Belga Image

Tax the rich, feed the poor, ‘til there are no rich no more” ( “Taxer les riches, nourrir les pauvres, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de riches”). La phrase ne vient pas du dernier rapport d’Oxfam, révélant que le 1 % le plus riche s’est emparé de près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses - soit 42.000 milliards de dollars - créées depuis 2020. Elle provient d’un titre du groupe américain Ten Years After, écrit en 1971. Preuve que la question de la taxation des super-riches n’est pas neuve. Surtout, il n’est pas question dans la chanson de se débarrasser de la pauvreté, mais des plus fortunés. Un postulat qui prend le contre-pied des discours habituellement entendus, centrés sur le fait que la richesse de quelques-uns devrait découler sur tous les autres. La fameuse théorie du ruissellement, régulièrement remise en question ces dernières années.

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En France, durant la campagne présidentielle de l’année passée, le président du Nouveau Parti Anticapitaliste Philippe Poutou a été l’un de ceux qui l’a crié le plus fort: s’il y a des pauvres, c’est parce qu’il y a des riches. Avec son 0,7%, il a été facile à tourner en dérision. Mais ce discours apparaît aussi dans des cercles mieux considérés. Notamment chez Oxfam, qui cette année ne s’est pas contenté de chiffres-chocs dans son rapport annuel. L’ONG s’est aussi fendue d’un argumentaire spectaculaire: “Chaque milliardaire représente un échec de politique publique”. Sous-entendu, ce sont des anomalies et “ils devraient être abolis”. Sentant peut-être le vent tourner, 200 millionnaires et milliardaires issus de treize pays ont demandé, en marge du Forum de Davos, à être plus taxés. Est-ce suffisant pour tempérer la grogne qui grandit? Et doit-on réellement se débarrasser des ultra-riches, malgré la place essentielle qu’ils occupent dans l’économie? Nous avons confronté les avis de Julien Desiderio d’Oxfam Belgique, et de Sabrina Scarnà, avocate fiscaliste, habituée à croiser des clients fortunés.

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“Les taxer pour protéger la démocratie”

Selon Julien Desiderio, chargé de plaidoyer sur les questions de justice fiscale chez Oxfam

"Il y a une quarantaine d’années, les plus riches pouvaient payer 70 % de taux d’imposition sur les tranches de revenus les plus élevées. L’idée était d’empêcher une accumulation de richesses telle qu’elle influencerait la démocratie. Mais, avec le temps, on a constaté que la diminution d’imposition sur les plus riches a été compensée par une augmentation de la pression fiscale sur la classe moyenne. Par exemple, les diminutions d’impôts sur les successions et les dividendes sont concomitantes avec l’augmentation des impôts sur la consommation. Les ultra-riches sont le symptôme d’une économie malade qui ne redistribue plus les richesses. L’ultra-richesse se fait toujours aux dépens d’autres acteurs. Chez Amazon, Jeff Bezos est milliardaire mais ses employés n’ont pas de bonnes conditions de travail.”

L’ONG rappelle qu’elle n’a rien contre le fait de bien gagner sa vie. “Mais on ne devient pas milliardaire en travaillant. La meilleure façon de devenir ultra-riche, c’est d’hériter - les 10 plus grandes fortunes en Belgique sont des héritiers. Et d’autres mécanismes entrent en jeu. Des mécanismes de captation, de monopoles. Aujourd’hui, des acteurs économiques qui détiennent des biens de consommation essentiels. Le marché n’est pas libre quand certains acteurs sont aussi puissants.” L’impôt sur la fortune revient souvent. Dans la bouche de Julien Desiderio aussi. “Taxer le patrimoine permettrait de récupérer des recettes fiscales et de ralentir la concentration du capital. De manière générale, les plus riches paient peu d’impôts sur ce dont ils tirent des revenus. En Belgique, les 10 % les plus riches possèdent 80 % des actions en circulation, et plus de 70 % du parc locatif. Or les plus-values sur action ne sont pas taxées et les revenus locatifs sont sous-taxés. En ce qui concerne les dividendes, qui sont largement payés aux plus riches, on nous dit qu’il y a un impôt de 30 % en Belgique. Mais en 2021, le ministre des Finances a annoncé que sur les 66 milliards d’euros de dividendes, l’État a reçu 2,8 milliards de recettes fiscales. On peut tourner ça dans tous les sens, ça ne fait pas 30 %. Si les ultra-riches payaient leur part, ils ne seraient pas plus malheureux, mais les pouvoirs publics pourraient lutter contre la précarité."

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“Les riches génèrent… de la richesse”

Selon Sabrina Scarnà, avocate fiscaliste chez Tetra Law.

"Ce que je n’aime pas, c’est que cela donne l’impression qu’on lutte contre des personnes qui veulent créer et qui, de ce fait, accumulent des richesses. Je ne suis pas d’accord avec ce postulat. Les ultra-riches ne font pas de l’argent sur rien. La plupart du temps, ils ont été générateurs de richesses, pour les autres aussi. Vous prenez Monsieur Arnault, la première fortune française, c’est 200.000 emplois. On peut dire que c’est indécent de posséder autant, mais je ne pense pas que ces 200.000 travailleurs directs crachent sur les ultra-riches. Je ne comprends pas très bien ce qu’on leur veut. C’est devenu un combat idéologique. Alors qu’il ne faut jamais lutter contre la compétitivité et l’esprit d’entreprendre. Sans ça, vous pourrez avoir toutes les règles sociales du monde, sans emploi, il n’y a plus rien. Je le vois parmi mes clients, dans certaines familles effectivement, la fortune est le fruit de cinq ou six générations. Mais ces gens investissent dans l’économie réelle. C’est ce qui permet à de nouveaux entrepreneurs, de nouvelles idées, de générer de l’emploi. L’entrepreneur d’aujourd’hui sera l’investisseur de demain.”

Quant à un éventuel impôt sur la fortune (ISF), Sabrina Scarnà n’est pas contre une réflexion globale. Mais refuse que l’on dise que le patrimoine n’est pas taxé. “On doit tout remettre à plat. Je vise les droits de succession, d’enregistrement, sur les transactions financières et l’impôt sur le revenu généré. On peut se demander si c’est la meilleure manière de le taxer, mais alors soyons honnête sur le constat de départ. Il faudrait trouver une façon plus juste de taxer le patrimoine. Un impôt annuel, qu’on appellerait ISF si on veut, mais alors on retire les droits de succession? En Belgique, le sentiment du contribuable, c’est que l’État veut plus mais qu’il ne sait déjà pas gérer avec ce qu’il a. On doit changer notre rapport à l’impôt. Pourquoi il est juste de le payer? C’est à l’État de montrer qu’on peut lui faire confiance. Pour le moment, c’est dramatique. Le Belge vous dira qu’il veut bien être plus taxé quand l’État viendra avec une vision, un projet et de l’équité. Et pas des trucs tous azimuts. Quand on n’a pas le sentiment d’être bien taxé, est-ce que ce n’est pas normal de tout faire pour ne pas payer un impôt?"

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