Comment un Carolo est devenu un des plus grands propagandistes du Kremlin en Afrique

Une enquête montre qu'un Belge, connu pour son passé néo-fasciste, est aujourd'hui un des relais principaux de la propagande russe en Afrique.

Affiche pro-russe au Burkina Faso
Une affiche pro-Poutine à Ouagadougou (Burkina Faso) le 20 janvier 2023, lors d’une manifestation anti-française ©BelgaImage

Au sein de la machine propagandiste russe, un personnage se fait particulièrement remarquer. Il est Belge, il a 65 ans et s'autoproclame «staliniste», bien qu'il soit en réalité d'extrême-droite. Ce jeudi, son nom est apparu dans une enquête de la BBC et de la société Logically, spécialisée dans la désinformation informatique. Cet homme, c'est Luc Michel. Il apparaît ainsi comme le responsable d'un réseau à grande échelle diffusant la propagande du Kremlin, surtout en Afrique. Un petit empire de la désinformation aux actions troublantes.

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L'Ukraine et la France dans le viseur

C'est en fouillant les nombreux faux sites d'information francophones que les chercheurs britanniques sont parvenus à retrouver la trace de ce Belge, vers qui tout convergeait. Il a ainsi bâti un réseau de propagande dénommé Russosphère, actif depuis février 2022, quelques jours seulement avant le début de la guerre en Ukraine. De là, il déverse ses messages sur les réseaux sociaux (Facebook, Youtube, Twitter, Telegram, etc.) et sur ces faux sites.

Parmi ses cibles favorites, on trouve l'Ukraine et la France. Les soldats ukrainiens sont ainsi qualifiés de "nazis" et "satanistes", en reprenant le vocabulaire de Moscou, tandis que Paris est accusée de "colonialisme". Quant au groupe paramilitaire russe Wagner, accusé d'être impliqué dans de multiples massacres et dans la sanglante bataille de Bakhmout, il est présenté en héros des Africains. Le "Z" russe, apparu au début de la guerre d'Ukraine, est lui aussi affiché un peu partout.

"Russosphère" est aujourd'hui bien utile pour le Kremlin. Plusieurs médias russes sont interdits depuis que Moscou a envahi l'Ukraine et cela permet à Moscou de contourner cet obstacle. Un des objectifs de "Russosphère" est ainsi de briser les liens entre la France et les pays africains, dans la continuité de ce que faisait déjà la Russie. Si son influence réelle est difficile à estimer avec précision, cette stratégie semble porter ses fruits. Le Mali a déjà expulsé les soldats français qui avaient pourtant aidé Bamako à se débarrasser des indépendantistes islamistes de l'Azawad. Dernièrement, après un coup d'État au Burkina Faso, les forces spéciales françaises viennent d'y être déclarées persona non grata. Au même moment, les drapeaux russes flottaient dans le pays, qu'importe que Ouagadougou doive faire face à une violence djihadiste croissante provoquant toujours plus de morts.

De néo-fasciste en Belgique à pro-Kremlin en Afrique

Logically a réussi à parler avec Luc Michel, qui affirme n'être soutenu que par de l'"argent privé", sans intervention de la Russie. Il soutient aussi la thèse selon laquelle il ne serait pas liée au groupe Wagner. Vrai ou pas ? Dans tous les cas, Logically conclut que "Russopshère" connaît "un succès significatif". "Même des bots ont pu aider au début, il s'agit maintenant d'une véritable opération d'influence organique, avec une grande partie de vrais followers venus de toute l'Afrique".

Auparavant, Luc Michel était connu pour avoir appartenu à un groupe de néo-fascistes en Belgique. Il était aussi le disciple d'un ancien nazi de la guerre qui espérait la création d'un "empire euro-soviétique allant de Vladivostok à Dublin" qui serait ennemi des États-Unis. Pour le reste, ce Carolorégien reste assez discret, même si plusieurs étapes de son parcours sont connues, comme le fait savoir Libération. En 1984, il a fondé un "Parti communautaire national-européen" qui reprenait les théories de son mentor, sans qu'il ne rencontre le succès escompté. "Humainement, c'est un mec un peu fêlé et d'une hallucinante mégalomanie, qui s'est fait des ennemis partout", raconte au journal français un ancien partisan de son mouvement.

Proche des régimes autoritaires arabes, Luc Michel part ensuite pour la Libye de Khadafi. Il fonde en 2006 un organisme peu crédible censé superviser des élections, ce qu'il fera par exemple lors du référendum contesté du rattachement de la Crimée à la Russie. Durant les années 2010, il revient en Afrique et devient notamment conseiller du président du Burundi. À une époque où ce pays est en crise, il conseille le régime de ne pas dialoguer avec l'opposition. "Je suis devenu une référence pour le public", se vantait-il alors. S'en suit un passage en RDC, où il soutient le président congolais Joseph Kabila, et en Guinée-Équatoriale, où il fait de même avec le président au pouvoir depuis 1979.

Aujourd'hui, il suit toujours les préceptes du collaborateur nazi qu'il a suivit dans sa jeunesse, tout en montrant un soutien indéfectible à Moscou. "Je pense que la Russie doit remplacer les Français dans toute l'Afrique", a-t-il déclaré à la BBC. Actuellement, ses actions sont surveillées par Paris, qui s'inquiète de son influence dans les pays sub-sahariens.

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