Le Kremlin comploterait-il contre le groupe Wagner après ses déboires à Bakhmout?

Le patron de l'organisation paramilitaire fait courir le bruit d'un complot à son encontre, en évoquant directement l'implication de Vladimir Poutine.

Evgueni Prigojine à Moscou
Le patron de Wagner, Evgueni Prigojine, le 4 juillet 2017 à Moscou ©BelgaImage

Début mars, le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, se frottait les mains. Depuis l'été 2022, ses troupes paramilitaires tentent sans relâche de conquérir Bakhmout, non loin de Donetsk, et après des mois de combat, elles semblaient faire une percée, s'accaparant même la moitié est de la ville. Même les USA s'attendaient à voir la ville tomber en quelques jours.

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

Depuis, contre toute attente, il ne s'est pas passé grand-chose. Les soldats russes n'ont au mieux avancé que de quelques rues et l'Institut pour l'Étude de la Guerre (ISW) estime désormais que l'offensive de Wagner s'essouffle. Il est encore trop tôt pour dire que si l'Ukraine arrivera à reprendre le dessus ou pas mais ce qui est sûr, c'est que les nuages s'amoncellent autour de l'organisation privée russe. Ce 16 mars, Evgueni Prigojine a même fait savoir qu'il avait eu vent par la presse d'un complot destiné à "neutraliser" Wagner. Vrai ou faux?

L'étrange histoire du complot anti-Wagner

Selon cette théorie, Vladimir Poutin et le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev, réfléchiraient à ce qu'il ne reste "plus rien" du groupe dans "un mois et demi à deux mois". Leur objectif supposé: éviter que Prigojine et ses troupes, déçues de Moscou et conscientes de leur position de force, n'en profitent pour prendre le pouvoir dans les régions russes limitrophes de l'Ukraine, "avec une éventuelle avancée vers l'intérieur des terres", ce que le chef de Wagner dément.

L'ISW affirme toutefois "n'avoir observé aucune information suggérant que ces discussions ont eu lieu". Cela "suggérerait que Prigojine a fabriqué ce complot présumé" pour renforcer sa réputation et affaiblir celle de Patrouchev, désigné comme coupable des déboires de Wagner à Bakhmout par manque de soutien de l'armée. "Cette manœuvre semble augurer la prochaine évolution de la campagne de Prigojine contre l'establishment militaire russe", estime l'ISW.

La rivalité avérée entre Prigojine et Choïgou

Quoi qu'il en soit, cet épisode illustre bien l'animosité grandissante entre Moscou et le groupe Wagner. Au cours des derniers mois, Prigojine a multiplié ses critiques envers l'armée russe et le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Début mars, il a accusé ce dernier ainsi que le chef d'état-major, Valéri Guerassimov, de "trahison" en refusant de lui donner plus de munitions. Cette semaine, il a également estimé que les Russes doivent avoir le droit de critiquer des hauts-responsables, dont le ministre de la Défense, "qui font ou peuvent faire des erreurs lors de l’opération militaire spéciale".

Cette agitation est visiblement liée à la lenteur des progrès de Wagner à Bakhmout. “Evgueni Prigojine assure depuis juillet que la chute de la ville est imminente. Il y a forcément une certaine impatience qui doit s’exprimer dans les plus hautes sphères du pouvoir à Moscou”, analyse auprès de France 24 Stephen Hall, spécialiste de la politique russe à l’université de Bath. Des difficultés qui ont “fourni des arguments au ministère de la Défense pour tenter de convaincre Vladimir Poutine de lâcher Evgueni Prigojine”. Or Sergueï Choïgou fait partie du cercle restreint autour du président et le conseille directement, contrairement au chef de Wagner.

Selon le média français, il y aurait donc bien un camp anti-Prigojine en formation à Moscou, d'où probablement la nervosité du chef du groupe paramilitaire. Ce dernier s'est d'ailleurs plaint le 9 mars que ses “communications directes avec le Kremlin avaient été coupées” par ses ennemis au ministère de la Défense. Plus largement, “Evgueni Prigojine est soupçonné d’avoir soutenu en coulisse les blogueurs ultranationalistes qui ont commencé à critiquer violemment les choix militaires de l’état-major à partir de l’été”, note Joseph Moses, spécialiste de stratégie militaire et du conflit en Ukraine pour l'International Team for the Study of Security (ITSS) à Vérone.

Prigojine pris par le temps

L'ISW estime d'autre part que l'armée russe ne serait pas attristée de voir le groupe Wagner s'épuiser complètement en tentant de conquérir Bakhmout. Cela permettrait au ministère de la Défense de reprendre le dessus, bien que pour l'instant ses troupes ne peuvent pas non plus se prévaloir de conquêtes en Ukraine.

Si en plus Wagner n'arrive pas à s'emparer de la ville, Prigojine devra vite trouver une solution pour ne pas être définitivement écarté, par exemple avec une victoire ailleurs en Ukraine. Sans cela, il devrait “céder du terrain à d’autres milices privées qui se sont multipliées ces derniers mois comme les ‘patriotes’ de Sergueï Choïgou”, souligne Joseph Moses. Autre option: son entrée en politique, qu'il évoque d'ailleurs de plus en plus. Il n'est par exemple pas impossible que Vladimir Poutine lui offre une place au gouvernement, ce qui pourrait en même temps permettre au Kremlin de mieux contrôler ce trublion.

Mais pour l'instant, Prigojine n'en est pas encore là. Son acharnement à conquérir Bakhmout reste intact et rien ne semble en l'état indiquer qu'il lâchera prise tant que cet objectif n'est pas rempli. Il doit cependant faire face à un Volodymyr Zelensky décidé à maintenir ses troupes à Bakhmout pour éviter qu'elle ne tombe. L'armée ukrainienne promet également une contre-offensive au printemps, lorsque l'amélioration des conditions météorologiques s'ajoutera à l'arrivée croissante d'armes venues d'Occident. Est-ce que celle-ci aura vraiment lieu? Cela reste à confirmer mais si c'est le cas et que Prigojine n'a toujours pas mis la main sur Bakhmout, le groupe Wagner risque de faire face à des jours difficiles.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité