Pinkwashing: ces entreprises et politiques qui font leur business sur le dos des LGBTQIA+

Des sociétés et des partis s'affichent comme pro-LGBTQIA+, tout en ne défendant pas la communauté dans les faits. La preuve avec quelques exemples.

Jerusalem Pride Parade
Des drapeaux arc-en-ciel lors de la Gay Pride de Jérusalem, le 1er juin 2023 ©BelgaImage

Juin est arrivé, le mois des fiertés a commencé et comme chaque année, plusieurs marques commerciales et personnalités se sont mises aux couleurs arc-en-ciel. Collection de vêtements "Pride", présence dans les manifestations (Paris, Rome, Rotterdam, etc.), déclarations pro-LGBTQIA+... Ce ne sont pas les signes de ralliement aux minorités sexuelles qui manquent. A priori, que du positif! Oui, sauf que cette démarche est visiblement parfois plus intéressée qu'altruiste. Vous connaissiez peut-être le "greenwashing". Voici maintenant venu le temps du "pinkwashing" ("lavage rose")! À l'instar de son équivalent écolo, il s'agit ici d'une pratique marketing qui consiste à afficher un attachement aux valeurs LGBTQIA+ dans un but purement mercantile. Car en réalité, lorsqu'il faut mener de réelles actions pour soutenir cette communauté, les abonnés absents sont beaucoup plus nombreux. Une attitude qui s'est déjà illustrée à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, autant dans le milieu industriel que politique.

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Israël: le berceau du pinkwashing

Le mot "pinkwashing" a notamment été créé après un exemple frappant de récupération politique. À la fin des années 2000, le gouvernement israélien se présentait au monde occidental comme un îlot de bienveillance au milieu d'un monde moyen-oriental hostile aux droits LGBTQIA+. Très vite, des associations ont dénoncé cette façon de faire à plusieurs titres. D'une part, cette affirmation est en partie fausse vu le conservatisme exacerbé de la société israélienne. Selon les sondages, près de la moitié des Israéliens considéraient toujours l'homosexualité comme une maladie. Mais surtout, cette démarche du gouvernement ressemblait clairement à de la propagande destinée à justifier ses actes tout en affaiblissant la position de ses adversaires arabes.

En 2010, la presse israélienne commence à relayer ce terme de "pinkwashing" qui était "communément employé dans les cercles militants". Par la suite, ce terme s'est diffusé aux USA puis dans le reste du monde.

Mercedes-Benz et BWM: pro-LGBTQIA+ en Occident, pas ailleurs

Dans les années 2010 puis encore plus au début des années 2020, plusieurs marques ont été accusées de pinkwashing selon un modèle similaire. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer celui de Mercedes-Benz, anciennement dénommé Daimler AG. Le groupe automobile allemand a en effet changé les couleurs son célèbre logo étoile à trois blanches, peint pour l'occasion aux couleurs arc-en-ciel. Problème: comme l'a fait remarqué le quotidien Die Welt, ce soutien affiché à la communauté LGBTQIA+ était visible en Occident... mais pas dans les pays plus hostiles comme au Moyen-Orient. Là-bas, la couleur argentée restait inchangée. BMW avait fait pareil, toujours en distinguant ces deux zones du monde.

Cette différence de traitement a interpellé plus d'un militant LGBTQIA+, alors que le but du mois des fiertés est notamment de défendre les droits dans les pays où ils ne sont respectés. L'initiative des sociétés automobiles paraît d'autant plus paradoxale que Daimler AG déclarait à l'époque que "nous promouvons une culture d'appréciation et de respect dans laquelle l'origine, l'âge, le sexe et l'identité de genre ou l'orientation sexuelle ne jouent aucun rôle". Selon Die Welt, ces bonnes résolutions disparaissaient dès qu'il s'agissait de les mettre en pratique.

La bienséance de Shein

Le site Good on You, qui évalue l'éthique des sociétés de mode, a de son côté pointé du doigt Shein, déjà sévèrement critiquée pour son impact écologique et humain. En 2022, pas moins de 392 produits Pride ont été répertoriés sur sa plateforme de vente, soit plus que toute autre marque de fast-fashion. Mais en parallèle, Good on You "n'a trouvé aucune trace d'un centime allant aux créatifs LGBTQIA+ ou aux organisations caritatives".

De plus, Shein ne brille pas par ses déclarations de soutien à la communauté LGBTQIA+ en Chine, son pays d'origine. Pourtant, la situation n'est pas vraiment rose là-bas. Si Pékin a légalisé l'homosexualité, elle n'a accordé pratiquement aucun droit supplémentaire (mariage, lois anti-discriminations, interdiction des thérapies de conversion, etc.). Pire: ces dernières années, la censure a invisibilisé complètement les contenus LGBTQIA+ dans les médias chinois. Le Guardian a noté que des fans de Dua Lipa avaient été visiblement éjectés de son concert à Shanghai parce qu'ils tenaient des drapeaux arc-en-ciel. Cette année, des étudiants de l'université Tsinghua ont été sanctionnés par les autorités pour ce même motif, ou plutôt pour avoir brandi "du matériel de propagande interdit" dans le langage des forces de l'ordre. Pendant ce temps-là, Shein ne dénonce pas Pékin et vend ses produits Pride en Occident.

Le bad buzz de Calvin Klein

Good on You précise malgré tout: "pratiquement aucune" marque de fast fashion ne défend véritablement les droits humains dans les pays où sont produits leurs vêtements. Celles qui se montrent plus entreprenantes existent, mais elles se montrent parfois maladroites, pour le dire au bas mot. C'est le cas de Calvin Klein qui a créé un véritable bad buzz en 2019. La marque avait alors mis en scène la mannequin Bella Hadid et l’influenceuse virtuelle Lil Miquela dans une vidéo où elles s'embrassent. Le souci, c'est que ni l'une ni l'autre ne sont reconnues comme des figures LGBTQIA+, la première étant notamment hétérosexuelle.

Pourquoi ne pas avoir tout simplement recruté une célébrité lesbienne pour réaliser cette même scène? C'est ce que beaucoup d'internautes se sont demandés, d'où une vague de critiques sur les réseaux sociaux. Ce tsunami de désapprobations s'est avéré si puissant que Calvin Klein a dû réagir: "Nous reconnaissons que mettre en scène une personne qui s'identifie en tant qu'hétérosexuelle dans un baiser avec une personne du même sexe peut être perçu comme du 'queerbaiting'. Notre entreprise est depuis longtemps engagée dans la défense des droits LGTBQIA+. Ce n'était certainement pas notre intention de mal représenter la communauté LGTBQIA+. Nous regrettons sincèrement les torts que nous avons pu causer".

Une homophobie toujours présente dans l'extrême-droite belge et française

Outre le cas d'Israël, de nombreuses personnalités politiques sont également accusées de faire du pinkwashing. Parmi elles, on trouve notamment Marine Le Pen et son parti d'extrême-droite, le Rassemblement national (RN), anciennement appelé le Front national (FN). En 1984, son père, Jean-Marie Le Pen, qualifiait l'homosexualité d'"anomalie biologique et sociale". En 2013, les députés du RN avaient voté contre la légalisation du mariage entre personnes de même sexe. Depuis, Marine Le Pen "dit à l’électorat homosexuel : 'Je sais que vous souffrez de discrimination. Et qui vous discrimine ? Des immigrés et des musulmans'", note dans Le Monde Yannick Barbe, ancien directeur de la rédaction du magazine gay Têtu. "Elle utilise les gays 'blancs de souche' pour montrer que le problème, c'est toujours les immigrés, les Noirs, les Arabes", accuse dans Slate le journaliste et écrivain Didier Lestrade, fondateur d'Act Up.

En Belgique, le Vlaams Belang est accusé du même tort, comme lorsque le député flamand du Vlaams Belang Chris Janssens a révélé en 2021 son homosexualité tout en profitant de l'occasion pour viser les immigrés "hostiles aux homosexuels". Il n'a toutefois rien dit de l'homophobie interne au pays. Pourtant, selon l'Eurobaromètre de 2019, 57% des Belges estiment que la discrimination envers les minorités sexuelles est répandue, ce qui place la Belgique à la 21e place au sein des pays de l'UE.

Est-ce que malgré tout, ces partis pourraient être devenus pro-LGBTQIA+? C'est loin d'être certain vu plusieurs incidents. En 2016, un militant FN, Guillaume Laroze, a claqué la porte de sa formation politique après le torrent d'insultes homophobes que ses collègues lui assénaient: "parasite LGBT", "déchet paradistique", "sodomite", ou encore "sale pédé, t'as pas ta place ici, il y en a marre des pédés au FN !". À l'époque, le parti avait nié en bloc et misait sur la visibilité de certains de ses membres homosexuels, comme Florian Philippot. Pourtant, Guillaume Laroze n'est pas le seul à avoir quitté le FN pour cette raison. Matthieu Chartraire, le Mister Gay 2015 du magazine Têtu, en avait fait de même.

En 2023, le dixième anniversaire de la légalisation en France du mariage homosexuel a réveillé les tensions. Alors que certains élus RN célébraient l'événement, d'autres ont revendiqué sur Twitter leur attachement à la manif pour tous. Un responsable du RN a dû rappeler les élus à l'ordre. Un député du parti a même confié à l'Express, sous couvert de l'anonymat, souhaiter toujours secrètement l'abrogation de la loi, même si sa position n'est pas partagée officiellement par son groupe.

Côté flamand, le Vlaams Belang a été ébranlé par une polémique en 2021. Le président du parti, Tom Van Grieken, avait alors désigné un scénariste, Jef Elbers, au conseil d’administration du VAF, le Fonds audiovisuel flamand, tout en le présentant comme la personne parfaite pour le poste. Problème: cet homme était surtout connu pour plusieurs phrases controversées. Il avait notamment affirme que "la transsexualité est anormale", qualifié la Gay Pride "d’exhibitionnisme dégoûtant sur des chars de merde", etc. Finalement, face à la pression, sa candidature a été retirée, bien que Tom Van Grieken continue à défendre son choix. Selon lui, les déclarations de Jef Elbers ne constituaient pas un élément "pertinent".

Le double discours des instances de football

Un autre milieu souvent accusé de pinkwashing, c'est le sport. Dernièrement, le football s'est illustré à plusieurs reprises en ce sens. Lors de la Coupe du Monde 2022, la FIFA avait assuré soutenir la communauté LGBTQIA+, notamment dans les stades, bien que la compétition ait lieu au Qatar, un pays criminalisant l'homosexualité (avec en pratique des sanctions allant jusqu'à sept ans de prison, en théorie jusqu'à la peine de mort). Plusieurs équipes européennes, dont la Belgique, avaient prévu de porter le brassard arc-en-ciel mais le premier jour du tournoi, coup de théâtre: la FIFA leur a interdit de le faire sous peine de carton jaune! De plus, plusieurs personnalités se sont vues refusées l'entrée dans les gradins par les services de sécurité parce qu'elles portaient des accessoires arc-en-ciel, à l'instar de l'ancienne capitaine de la sélection galloise Laura McAllister.

La veille, le président de l'organisation, Gianni Infantino, avait pourtant fait une grande déclaration où il disait se sentir "qatari", "arabe", "africain", "handicapé", "travailleur migrant" et "gay", bien qu'il ne corresponde à aucun de ces qualificatifs. "Aujourd’hui, il ne se sent clairement pas brassard", avait ironisé l’ancien international anglais Gary Lineker sur le plateau de la BBC. Si les Diables rouges n'ont pas osé défier la FIFA, certains footballeurs l'ont pourtant fait de façon subtile. La sélection allemande s'est par exemple couverte la bouche au moment de la photo d'avant-match, pour dénoncer la censure, et son capitaine Manuel Neuer a porté des chaussures arc-en-ciel qui ont manifestement échappé au regard de l'arbitre. Côté anglais, Harry Kane a porté un brassard non pas "One Love" comme prévu mais un autre avec écrit dessus "No discrimination".

Plus récemment, en France, un autre incident a défrayé la chronique. Lors des 13 et 14 mai, plusieurs joueurs ont refusé de suivre leurs collègues qui portaient un maillot arc-en-ciel à l'approche de la journée internationale de lutte contre l'homophobie. L'ancien footballeur Ouissem Belgacem, qui ose parler de son homosexualité depuis qu'il a quitté les terrains, a dénoncé ce comportement en notant qu'il ne s'agit pas de promouvoir l'homosexualité mais de dénoncer les violences homophobes. Dans une interview à Libération, Julien Pontes, porte-parole du collectif «Rouge Direct», voit pour sa part dans cet incident "le manque de sensibilisation de tout le milieu aux questions LGBTQIA+ et une opération ponctuelle inefficace".

Éviter le pinkwashing, est-ce possible?

La question maintenant, c'est de savoir si cette stratégie de pinkwashing est payante pour les sociétés et personnalités qui s'y adonnent. Selon Matthias Weber du Völklinger Kreis, une association de managers gays dans les affaires allemandes, il est facile de s'y brûler les ailes. "Si les entreprises font de la publicité estampillées 'Pride' mais n'ont rien à voir avec cela dans la pratique, cela peut rapidement se retourner contre eux, car les clients et la communauté le remarquent", dit-il à Die Welt.

Le site Good on You donne également une astuce pour identifier les marques probablement coupables de pinkwashing. L'idée: voir si elles indiquent ou pas des engagements qu'elles prendraient très concrètement pour soutenir la communauté LGBTQIA+. "Ces marques défendent-elles les droits des travailleurs queer et trans dans leurs chaînes d'approvisionnement? Ont-elles mis en place des politiques pour soutenir leurs employés LGBTQIA+ non seulement au siège social, mais aussi dans leurs usines et celles de leurs fournisseurs? Font-elles pression sur les politiciens des pays dans lesquels elles opèrent pour faire des lois anti-discrimination une priorité législative? Elles vous le diraient sûrement si elles le faisaient".

Plusieurs marques sont ainsi connues pour être plus entreprenantes en la matière. C'est le cas de Michael Kors, qui a créé des produits "Pride" dont les bénéfices étaient entièrement reversés à des associations LGBTQIA+. Chez Cos, une collection Pride 2023 vient d'être créée, dont tous les profits seront reversés à des associations LGBTQIA+. Idem pour les montres Skagen (liées à la marque Fossil), et ce jusqu'au 30 juin, date de fin du mois des fiertés.

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