Barrage détruit, soldats qui s'entretuent, etc.: les Russes commencent-ils à paniquer en Ukraine?

Alors que la contre-offensive ukrainienne semble avoir démarré, plusieurs indices montrent une tension croissante dans les rangs russes.

Un soldat russe dans la banlieue de Donetsk, à Yasinovataya le 1er juin 2023 ©BelgaImage

C'est sans aucun doute l'un des moments forts de la guerre en Ukraine: ce mardi 6 juin, l'énorme barrage de Kakhovka a été détruit, relâchant ainsi l'eau contenue dans un lac artificiel de près de 240 km de long et par endroits 23 km de large. Toute la zone en aval a été inondée, que ce soit sur la rive droite contrôlée par l'Ukraine (ou se situe la ville de Kherson) ou sur la rive gauche contrôlée par les Russes (avec la localité de Nova Kakhovka). Kiev et Moscou s'accusent mutuellement de la catastrophe, mais les experts en ingénierie interrogés par le New York Times penchent clairement pour la thèse du sabotage russe.

En parallèle, à l'est de l'Ukraine, des combats ont eu lieu... entre soldats russes, ou plus précisément entre l'armée de Moscou et le groupe Wagner. Le chef de l'organisation paramilitaire, Evgueni Prigojine, a par ailleurs affirmé ce lundi que les troupes de l'état-major russe "s’enfuient de Bakhmout", une ville symbolique où les combats se concentrent depuis la fin 2022.

Faut-il voir dans ces derniers développements une forme de panique côté russe, alors que la perspective d'une contre-offensive ukrainienne se fait plus concrète? Qu'en est-il pour l'instant sur le terrain? On fait le point.

Détruire un barrage pour mieux se replier?

Si la thèse du sabotage russe au barrage de Kakhovka se confirme, cela pourrait être révélateur de ce qui se trame sur le front. Depuis la prise de Kherson par Kiev, le fleuve Dniepr sert de ligne de démarcation entre les deux camps. La contre-offensive ukrainienne de 2023 aurait pu se faire là-bas, en faisant de cette zone un nouvel axe de reconquête. En cas de succès, cela permettrait la reprise du sud du pays, voire de menacer la Crimée, annexée par Moscou en 2014. Évidemment, avec un Dniepr gonflé à bloc, c'est plus compliqué de passer, du moins dans un premier temps. Le pic des inondations devrait être ainsi atteint ce 8 juin et la décrue pourrait progressivement rouvrir la voie.

Mais ce qui intrigue surtout, c'est ce qui s'est passé cette semaine sur la rive gauche contrôlée par la Russie. L'agence de presse AP note que les troupes russes ont fui Oleshky peu avant la destruction du barrage, bien que cette information doive être vérifiée de façon indépendante. L'Institute for the Sudy of War (ISW) note aussi que les installations militaires les plus touchées sont celles russes installée au bord du fleuve. Aujourd'hui, elles sont totalement inondées. Mais selon l'ISW, ce serait un moindre mal par rapport à un enjeu encore plus grand: couvrir une possible retraite russes dans cette région.

Ce mouvement de troupes reste à confirmer mais un autre élément attire l'attention depuis plusieurs mois. Comme l'a noté la BBC sur base d'images satellites, la Russie a construit une longue série de fortifications tout le long de la ligne de front... mais de façon bien moins marquée sur le bas-Dniepr, précisément dans la zone aujourd'hui inondée. La télévision publique britannique note au contraire la formation d'un nombre important de positions fortifiées à la frontière de la Crimée et du côté de Melitopol, c'est-à-dire à l'intérieur du territoire contrôlé aujourd'hui par Moscou. Il serait donc possible pour les forces russes de se replier sur ces positions, quitte à laisser à plus ou moins court terme le contrôle du sud à Kiev. Bref, ce serait un sacrifice jugé utile.

Bakhmout russe... du moins pour l'instant

Au même moment, du côté de Bakhmout, la situation est contrastée. D'une part, selon l'ISW, Moscou contrôle bel et bien la totalité de la ville dans ses frontières administratives. Ce n'est par contre pas le cas de sa banlieue ouest. Depuis la prise de Bakhmout, le groupe Wagner a décidé de se retirer pour laisser l'armée officielle prendre le relai. Dès lors, une stabilisation du front semblait s'installer, mais cela pourrait être très précaire. Kiev semble reprendre l'offensive et ce lundi, Evgueni Prigojine a affirmé que le village de Barkhivka, situé au nord de Bakhmout, était déjà repassé côté ukrainien. "Nos troupes s’enfuient de Bakhmout, c’est une honte!", s'exclame-t-il.

Plus surprenant encore: le même jour, Prigojine assurait que ses mercenaires "ont été attaqués par des tirs en provenance des positions du ministère de la Défense" russe lors de leur retraite de Bakhmout. Pour appuyer son propos, il a même diffusé la vidéo de l'interrogatoire d'un "lieutenant-colonel" de l'armée russe, fait prisonnier et avouant avoir été "guidé par une animosité personnelle" envers Wagner. La véracité de ce récit est difficile à vérifier mais quoi qu'il en soit, il est clair que les troupes russes se montrent aujourd'hui plus divisées que jamais.

Le sentiment que tout le front se met en branle

Entre Kherson et Bakhmout aussi, il y a du grabuge du côté de l'oblast de Zaporijjia. Si la ligne de front reste extraordinairement stable de ce côté-là, de nombreuses sources russes citées par l'ISW notent que l'Ukraine a lancé "des barrages d'artillerie massifs" dans la zone, le tout avec un nombre important de véhicules blindés, créant ainsi la panique côté russe.

Est-ce que la vraie contre-offensive ukrainienne se préparerait là? Difficile à dire. En soi, cela pourrait constituer un pari gagnant en cas de victoire. Si elle atteint la mer Noire dans cette région, Kiev romprait la continuité des territoires occupés par les Russes, d'où de gros problèmes logistiques pour la Russie qui compte beaucoup sur le recours aux lignes de chemin de fer.

Mais l'armée ukrainienne prend un malin plaisir à entretenir le flou sur le plan de sa contre-offensive. Est-ce qu'elle attaquera de préférence du côté de Kherson, de l'oblast de Zaporijjia, de Bakhmout ou encore de l'oblast de Louhansk, tout au nord-est du pays? Impossible d'y voir clair pour l'instant. L'incursion de soldats russes pro-Kiev du côté de Belgorod, en Russie, épaissit encore le brouillard. Les analystes sont d'accord pour dire que cela représente le cœur de la stratégie ukrainienne: donner l'impression que la contre-offensive peut avoir lieu partout, afin de repérer les points faibles.

La contre-offensive aurait ainsi déjà commencé, mais serait encore dans une phase préliminaire. L'enjeu pour le Kremlin est maintenant de se montrer que ses positions sont solides, ou du moins de faire croire que la situation est sous contrôle. Au moindre signe de faiblesse, l'Ukraine ne manquerait pas de rater le coche. Encore faut-il que Kiev réussisse ensuite à l'étape supérieure, en réalisant de véritables percées. Quand est-ce que cela pourrait avoir lieu? C'est la grande question.

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