
Qu'est-ce que "Doppelgänger", l'opération de désinformation russe qui ébranle l'Europe?

Fake news, discours de haine... Comment l'UE va encadrer la jungle numériquePeut-être qu'en surfant sur les réseaux sociaux, vous avez récemment pu être surpris par un article du Monde écrivant qu'un "ministre français soutenait les meurtres de soldats russes en Ukraine". S'ensuivent d'autres médias importants qui critiquent l'Occident et Kiev sur un ton étonnement très virulent, alors que la Russie apparaît sous un jour favorable: Le Figaro et Le Parisien en France, Der Spiegel, Die Welt et Bild en Allemagne, etc. Tout semble authentique, et ce dans les moindres détails. Et pourtant, 100% de ce que vous voyez est faux. Cette opération de désinformation, surnommée "Doppelgänger" ("sosie" ou "double maléfique" en allemand), a même touché des sites officiels, comme celui du Quai d'Orsay (le ministère des Affaires étrangères à Paris). En guise de riposte, la France dénonce aujourd'hui "la guerre hybride" qui porte selon elle le sceau de Moscou. Une mécanique en tout cas bien rôdée qui sévit sur la toile depuis plus d'un an.
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Une stratégie finement élaborée
Déjà en 2022, des organisations comme EU DisinfoLab et Meta avaient déjà repéré les débuts de l'opération, la maison mère de Facebook ayant même démantelé une partie du réseau en visant directement la Russie. Meta croyait avoir asséné le coup de grâce, mais il n'en était rien. Aujourd'hui, Doppelgänger en serait dans sa "seconde phase", à en croire une source de l'AFP. Pour appuyer la thèse de l'origine russe, Paris a mobilisé son organisme de protection contre les ingérences numériques étrangères, Viginum. Résultat: la campagne semble être menée par des individus russophones et plusieurs sociétés russes. Pour la France, il s'agit d'"une nouvelle illustration de la stratégie hybride que la Russie met en œuvre pour saper les conditions d’un débat démocratique apaisé et donc porter atteinte à nos institutions démocratiques".
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Comme le précise la porte-parole du Quai d'Orsay, Anne-Claire Legendre, les responsables de cette manœuvre de désinformation ont tout simplement créé des sites miroirs, d'où cette illusion quasi parfaite reprenant tout l'aspect graphique des sites concernés. Les internautes ont ainsi pu croire à de faux articles supposément écrits par de grands médias occidentaux. Seul le nom de domaine pouvait leur révéler la véritable nature de ce qu'ils avaient sous leurs yeux (par exemple, "lemonde.fr" aurait pu apparaître sous le nom "lemonde.ltd"). Il était d'autant plus facile de tomber dans le panneau que les liens hypertextes renvoyaient au vrai journal. C'est ce qu'on appelle le "typosquattage".
💻 Il s'agit de l'opération Doppelgänger (dans certains folklores européens, un Doppelgänger est le double maléfique d'une personne), déjà documentée en 2022 notamment par l'organisation européenne EU @DisinfoEU et le géant américain @Meta #AFP pic.twitter.com/nwykuqPYKN
— Agence France-Presse (@afpfr) June 13, 2023
Parmi les thèmes récurrents, on trouve la personnalité du président Volodymyr Zelensky, l'impact supposé contreproductif des sanctions pour les économies occidentales, le prétendu barbarisme de l'armée ukrainienne sur le champ de bataille, les tensions entre Kiev et l'Église orthodoxe, ou encore des soi-disant "escroqueries" commises par des réfugiés ukrainiens, etc. Doppelgänger peut également faire croire aux lecteurs que les autorités de plusieurs pays occidentaux ont pris des décisions très impopulaires, comme "l'introduction d'une taxe de sécurité" en France. Des micro-trottoir sont également réalisés, dans le but de faire croire que les Occidentaux soutiendraient Moscou.
Un réseau qui ne cesse de s'étendre
Pour l'instant, l'impact réel de Doppelgänger pourrait être faible, mais les malfaiteurs ne semblent pas vouloir s'arrêter là, en développant toujours plus leur capacité de nuisance. Même des médias israéliens sont victimes désormais, signe qu'ils visent toujours plus loin. Ils viennent également de créer une ribambelle de sites pro-russes entièrement à leur service, comme Reliable Recent News (RRN) (originalement appelé "Rrussianews"), ainsi qu'une fausse ONG de défense de la vie privée, "Facts Matter". En parallèle, Doppelgänger a contribué à soutenir les propos de plusieurs personnalités populistes sur Twitter, dont l'ancien vice-président du Front national en France, Florian Philippot.
Ont-ils un but précis, comme une désinformation profonde et durable de telle ou telle partie de la population? Mystère. Il se pourrait tout autant que cela serve à appuyer la propagande du Kremlin au sein même de la Russie, afin de "prouver" à la population que les médias occidentaux seraient eux aussi critiques sur la politique menée par leurs pays respectifs.