Emeutes après la mort de Nahel à Nanterre : une France aveugle, l’autre déchaînée

Après les très graves violences consécutives à la mort de Nahel, un mineur abattu par un policier, on a pu observer la perte des repères dans l’Hexagone. Des deux côtés de la fracture sociale.

rassemblement après la mort de Nahel
Lors du rassemblement en mémoire de Nahel M. à Lyon, le 30 juin, des tensions éclatent entre les manifestants et les forces de l’ordre. © BelgaImage

D'abord, le mensonge. La ­première explication faisait état d’un acte de légitime défense. Des sources poli­cières anonymes rapportaient que Nahel M. avait été abattu après qu’il eut lancé la Mercedes AMG jaune, louée et qu’il conduisait sans permis, contre un policier. Avant qu’une vidéo filmée par un témoin ne rétablisse la vérité, accablante. Et qu’à ce déni de réalité ne s’ajoute l’outrage à une population stigmatisée pour son soi-disant ensauvagement. Un officiel de la présidence Macron rejetait l’idée qu’il y avait deux France de diffé­rentes conditions bénéficiant de traitements différenciés. “C’est l’acte de violence insupportable d’un homme, pas celui de l’institution policière. La police d’aujourd’hui est très mixée et diverse, c’est le reflet de la France” a, en substance, distillé la ­communication de l’exécutif français. Niant ainsi une réalité maintes fois établie.

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En 2017, une enquête réalisée par ­Jacques Toubon, le défenseur des droits avait montré que les jeunes hommes perçus comme étant d’origine africaine ou arabe étaient 20 fois plus susceptibles d’être contrôlés, en comparaison au reste de la population française. L’ONU vient d’ailleurs d’enjoindre la France à s’attaquer sérieusement aux “profonds pro­blèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre”. Le chercheur français Sebastian Roché (CNRS) rappelait qu’en Allemagne, il y avait eu un tir mortel en dix ans pour refus d’obtempérer, contre 16 en France depuis un an et demi. Et que la police française était, ces vingt dernières années, celle qui avait tué le plus de citoyens en Europe. La marmite remplie pendant des dizaines d’années de racisme, de vio­lences policières, de frustrations sociales et soupoudrée de déni et d’une certaine arrogance de l’exécutif a explosé. Brûlant commissariats, mairies, écoles et autres infrastructures publiques. Incendiant voitures, autobus et concessionnaires. S’attaquant aux représentants de l’autorité et à leur famille. Abritant aussi les méfaits d’une population réellement ensauvagée - parfois blanche - privilégiant le gain facile de pillages sous le prétexte de la colère. “Tu viens avec moi, on pille Louis Vuitton?” Le correspondant du quotidien Le Monde notait qu’à ­Marseille, les arguments de drague s’imprégnaient de “l’air du temps”.

 

Pour un pan de la population, dévaster et piller un commerce de luxe, un bar- tabac, un grand magasin, une boutique de téléphonie est considéré comme une aubaine immanquable. Ou comme un concours. Il faudrait faire “aussi bien” qu’en Île-de-France. On se lance des “défis” ou des “battles” d’une ville ou d’une région à l’autre sur TikTok ou Snapchat. Strasbourg meilleure que Saint-Étienne? La notion du “bien commun” n’est plus, ici, une règle morale. Pour certains, c’est une échelle du ­nombre de partages ou de vues que fait la vidéo de leurs exploits. Mais cette notion est également dévoyée parmi ceux qui devraient l’incarner au premier chef.

Lourd bilan

En cinq nuits et autant de journées de vio­lences, les victimes directes d’incendies, de violences, de dégradations ou de vols se comptent en milliers: 5.000 véhicules incendiés, 10.000 feux de poubelles, près de 1.000 bâtiments brûlés, dégradés ou pillés, 250 attaques de commissariats ou de gendarmeries, plus de 700 blessés parmi les policiers. Des émeutiers s’en sont également pris à des élus comme à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) où le maire a été directement visé: une voiture a été projetée sur sa maison, puis incendiée, obligeant son épouse et ses deux ­jeunes enfants à fuir. Ce bilan temporaire de cinq jours et nuits aurait dépassé celui des émeutes de 2005, qui avaient duré trois semaines.

La Belgique éternue

Deux véhicules ont été incendiés à Bruxelles, faisant écho aux émeutes qui ont eu lieu en France suite au décès du jeune Nahel (17 ans). Ces événements ont été accompagnés d’un fort déploiement policier et suivis par des tensions entre les forces de l’ordre et plusieurs dizaines de jeunes durant tout le week-end dans la capitale, principalement dans le quartier Anneessens. Des échauffourées qui ont mené à l’arrestation administrative de plus d’une centaine de personnes dont une majorité de mineurs d’âge. Des appels à manifester avaient également été lancés à Liège. La police y a arrêté administrativement une trentaine de personnes.

Guerre de cagnottes

Deux cagnottes ont été ouvertes à la suite de la mort du jeune Nahel en France. L’une en soutien à sa famille, l’autre pour le policier mis en garde à vue. Plus de 10.000 personnes ont effectué un don sur la plateforme Leetchi pour plus de 200.000 euros, une somme destinée à la maman de l’adolescent. Mais la ­deuxième cagnotte ouverte “en soutien à la famille du policier de Nanterre” a rassemblé près de 50.000 dons totalisant plus d'un million d'euros. Cette dernière cagnotte est organisée par Jean Messiha, un Égyptien de naissance naturalisé français à 20 ans, ayant adhéré au Front National en 2016 et actuel soutien d’Éric Zemmour.

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