
Abaisser l'âge minimal pour le permis de conduire: bonne ou mauvaise idée?

Fin juin, la Première ministre française Élisabeth Borne a confirmé ce qui était jusque-là une rumeur: oui, la France va bel et bien faire passer l'âge requis pour passer le permis de conduire de 18 à 17 ans. L'Hexagone rejoindra ainsi les quelques États, notamment anglo-saxons et germaniques, qui ont fait de même. En Belgique, la nouvelle a provoqué une réaction du ministre de la Mobilité Georges Gilkinet: non, le gouvernement fédéral, qui est compétent en la matière, ne prévoit pas de suivre ce mouvement. On peut dès lors se demander ce qui sous-tend cette différence entre des pays qui sont pourtant proches. Pour le savoir, nous avons posé la question à l'Institut de sécurité routière Vias, afin de démêler les arguments de chacun.
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La crainte d'un nombre accru d'accidents
Pour le porte-parole de l'institut, Benoît Godard, permettre chez nous à des jeunes de 17 ans de passer le permis de conduire représenterait un non-sens, surtout vu le contexte. "Tout d'abord, il n'y a pas de demande de la part des jeunes, qui passent au contraire leur permis de plus en plus tard", remarque-t-il. "Ensuite, en termes de risques, certaines personnes n'ont pas les capacités nécessaires d'anticiper les dangers et ce encore à 18 ans. Si on abaisse cet âge limite à 17 ans, cela sera pire encore, vu que les jeunes sont trois fois plus impliqués dans les accidents".
Cet argument fait écho à celui de l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) qui affirme qu'en France, un conducteur novice (c'est-à-dire moins de trois ans, ou deux en cas de conduite accompagnée) a quatre fois plus de risques d’être impliqué dans un accident mortel. Dans l'Hexagone, la tranche d'âge où le nombre de victimes d'accidents de la route est le plus élevé par million d'habitants, c'est celle des 18-24 ans. Plusieurs études de psychologues tendent également à confirmer ces craintes, en insistant sur les comportements problématiques de la jeunesse.
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Encadrer la conduite des mineurs, un bon compromis?
Grégoire Zimmermann, professeur à l'Institut de psychologie de l'Université de Lausanne et spécialiste du sujet, se montre plus mesuré. Il rappelle dans un article de 2017 que les conduites à risque peuvent en effet représenter chez certains adolescents des "expérimentations normatives typiques de la construction identitaire". Il précise néanmoins que ces comportements risqués sont "au cœur même du développement humain" et que "la question ne serait donc pas tant de savoir comment prévenir les conduites à risque à l’adolescence, que de se questionner sur les manières d’accompagner et de promouvoir des environnements stimulants et soutenants qui permettraient à chaque adolescent de donner un sens à sa vie et d’actualiser son potentiel".
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Dans cette perspective, plusieurs pays permettent aux mineurs de conduire mais avec des restrictions. Cela leur permet de satisfaire ceux qui auraient envie d'être au volant tout en ayant des restrictions. En Italie, en Suisse et aux Pays-Bas, la conduite peut par exemple se faire avant 18 ans mais toujours avec un accompagnateur. En Suède, il est même possible que des jeunes de 15 ans conduisent une voiture à condition de suivre des règles strictes et drastiques (comme le fait de ne pas dépasser les 30 km/h). Pour ce qui est de la Belgique, il est possible de passer son permis théorique à 17 ans, dans l'attente du permis pratique à 18 ans.
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Quand l'isolement des jeunes ruraux français entre en ligne de compte
La différence avec la France, c'est que Paris prévoit de passer l'âge limite tout simplement de 18 à 17 ans, a priori sans restriction supplémentaire. Pour Benoît Godard, cette décision est avant tout politique. "Tout le monde sait qu'il y a eu beaucoup de discussions suite à la réforme des retraites et que le gouvernement français essaye de mettre en place différents plans pour noyer le poisson et pour qu'on parle d'autre chose", juge-t-il.
Il concède toutefois que certains jeunes Français habitent dans des régions très reculées et que cela peut représenter un incitant pour les autorités à abaisser l'âge minimal du permis de conduire. La France est en effet le plus grand pays de l'Union européenne et certaines zones ont une densité bien plus faible qu'en Belgique par exemple. C'est l'un des principaux arguments cité par Élisabeth Borne lorsqu'elle a été interrogée sur le sujet par le média Brut. Elle explique ainsi que le permis à 17 ans serait "un vrai plus" pour les jeunes en apprentissage en milieu rural, afin qu'ils puissent faire facilement le chemin entre le centre de formation et l'entreprise.
Malgré tout, cela ne représente pas un argument suffisant selon le porte-parole de l'institut Vias: "Rappelons que les jeunes sont quand même moins isolés aujourd'hui avec les réseaux sociaux, puis que l'on les incite plus généralement à choisir un autre mode de transport que la voiture, comme le vélo électrique".
Comparer les pays entre eux: un exercice difficile
Reste que si Élisabeth Borne applique comme prévu cet abaissement de l'âge légal en janvier 2024, la France ne serait pas le seul pays européen à permettre à des jeunes de 17 ans de conduire sans restrictions. C'est également une réalité au Royaume-Uni, en Irlande ou encore en Autriche.
Benoît Godard note cependant que le contexte est différent dans ces pays-là comparé à la Belgique. "Le Royaume-Uni est beaucoup plus avancé que nous en termes de sécurité routière, et ce à tous les niveaux. Idem pour l'Autriche. Le nombre de tués par habitant est nettement moindre qu'en Belgique et l'abus d'alcool au volant est un problème également moins présent dans ces pays. Au Royaume-Uni, il est inconcevable de conduire sous l'influence de l'alcool". Le porte-parole rappelle également que ces États ont également tous le permis à point, y compris la France. En Belgique, cette disposition n'existe pas, ce que l'institut Vias dénonce, en jugeant que cela représenterait un bon moyen de lutter contre les infractions au code de la route.
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Mais au-delà de ces considérations, Benoît Godard ne se montre pas favorable à explorer davantage l'hypothèse d'un passage à 17 ans. "Ce n'est pas parce que ces pays l'ont fait qu'on doit suivre le mouvement. Ce qui se passe à l'étranger n'est pas systématiquement un bon exemple", déclare-t-il. En tout cas, en Belgique, "il n'a jamais été question de cela et pour l'instant, cela n'est pas du tout sur la table de discussion".