
Un bruit de fond de l'univers entendu pour la première fois: mais ça change quoi?
“Imaginez que vous êtes à une fête, où tout le monde est en train de parler. Avant on entendait les cris aigus, plutôt ponctuels. Aujourd’hui on entend le brouhaha.” Ce fameux brouhaha, dont parle Yaël Nazé, astrophysicienne au FNRS et à l’ULiège, le monde l’a découvert la semaine dernière, quand plusieurs consortiums internationaux d’astronomes ont diffusé le fruit de leur travail. Depuis plus de trente ans, ils guettaient les signaux des ondes gravitationnelles, prédites par Albert Einstein en 1916. En 2015, ils sablaient une première fois le champagne. “Ce ne sont pas exactement les mêmes. C’était aussi des fusions de trous noirs ou d’objets très compacts, mais de quelques dizaines de fois la masse du soleil. Dans les dernières découvertes, on est à plusieurs millions de fois la masse du soleil.”
Le son et l’image
Cette fois, ces fusions de trous noirs énormes viennent de toutes les directions et produisent ce que l’on peut poétiquement considérer comme le murmure de l’univers. “Il faut imaginer notre univers, l’espace-temps, comme un tissu qui peut vibrer.” Pause définition. D’abord, l’univers. “Quand on parle de l’univers, on parle de ce qui constitue le monde en général. L’ensemble des galaxies, des étoiles... Tous les trucs connus et inconnus dans lesquels nous évoluons.” Maintenant, l’espace-temps. “Ah, ça va être un peu plus compliqué. Vous avez l’habitude des dimensions d’espace. La profondeur, la largeur, la hauteur, qui permettent de définir un système à trois coordonnées. Pendant longtemps, le temps a été considéré comme une coordonnée différente. Il y a un peu plus d’un siècle, on s’est rendu compte que le temps faisait intrinsèquement partie des coordonnées de l’univers. On ne peut pas le traiter séparément.” Vous, lecteurs et lectrices, vous prenez place au sein de ces quatre coordonnées. Et selon l’endroit où l’on se trouve, le temps peut s’écouler de différentes manières. Ceux qui ont vu Interstellar visualiseront mieux.
Tout cela précisé, revenons à nos ondes gravitationnelles. Pour comprendre comment les astronomes ont réussi à déceler les perturbations dans l’espace-temps, il faut un peu s’accrocher. Concrètement, ils se sont basés sur un outil inédit: les pulsars de la Voie lactée. Ces étoiles, d’une à deux fois la masse du soleil, tournent sur elles-mêmes à plus de 700 tours par seconde. Ce qui produit un rayonnement magnétique, que les ondes radio basses fréquences peuvent déceler. Chaque tour renvoie un bip régulier. Mais parfois, cette régularité est brisée. D’infimes dérèglements, “inférieurs à un millionième de seconde sur plus de 20 ans”, comme le précisait Antoine Petiteau, du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), à l’AFP. Reliées, ces perturbations prouvent la marque des ondes gravitationnelles. Il aura fallu la mise en commun des plus grands télescopes du monde et une collaboration internationale pour que les chercheurs puissent enfin entendre le brouhaha qu’ils cherchaient depuis plus d’un quart de siècle. Alors, finalement, tout ça, pourquoi c’est important? “On fait de l’astronomie depuis des millénaires. Jusqu’ici, on regardait l’univers en utilisant la lumière. Aujourd’hui, on a cette astronomie des ondes gravitationnelles. Ça nous donne des informations différentes et des vues complémentaires sur l’univers. C’est un peu comme dans un concert, d’un côté vous avez le son, de l’autre l’image.”
À quoi sert le son de l’univers?
“Je vais faire un peu de provoc et vous répondre qu’on s’en fout, rigole Yaël Nazé. Ce n’est pas ça qui mettra de la nourriture dans nos assiettes. Mais ce qui distingue l’humain, c’est sa capacité à faire des choses qui ne sont pas extraordinairement utiles tout le temps. L’art, la science, la philo... en font partie. Et comprendre l’univers, c’est comprendre d’où on vient, comment tout cela s’est agencé et fonctionne.” Toutes ces recherches demandent aussi un développement instrumental complexe, qui sera ensuite pérennisé et réutilisé. “Une fois que vous l’avez fait, vous arrivez à faire beaucoup d’autres choses sur Terre. Ça permet d’aller aux limites de la technologie actuelle et de développer des choses qu’on n’aurait jamais développées autrement.”
Ces retombées technologiques rappellent celles issues de la conquête spatiale. De quoi se demander si la concurrence internationale qui régit l’espace se retrouve dans la quête de compréhension de l’espace-temps? “Sur le plan scientifique, il y a surtout énormément de collaboration. Ici, la découverte vient d’un projet américain mais il rassemble pas mal d’universités.” Des chercheurs européens, nord- américains, indiens, australiens et chinois se sont en effet réunis au sein du consortium International Pulsar Timing Array. “Il y a une compétition parce qu’on veut être le premier à faire la découverte, mais historiquement les scientifiques ont toujours travaillé au-delà des frontières. Seuls, ils n’y arriveraient pas.”
Un milliard, sur vingt ans
Cependant, il ne faut pas idéaliser les rapports entre les États, surtout à l’heure actuelle. Selon Yaël Nazé, les relations avec la Chine ne sont pas toujours évidentes, et les projets communs avec la Russie ont évidemment fortement diminué avec l’invasion de l’Ukraine. En attendant, ces coopérations permettent avant tout de réduire les coûts. “Les missions représentent des sommes très élevées, donc on collabore pour diminuer ces coûts. Cela dit, il faut les relativiser. D’accord, un projet peut coûter un milliard, mais si vous l’étalez sur vingt ans et que vous voyez qu’il a fait travailler énormément d’ouvriers et d’ingénieurs, ce n’est plus la même chose.”
Plus l’astronomie et l’astrophysique (qui sont en réalité des synonymes) avancent, plus les défis deviennent imposants. Dans le domaine des ondes gravitationnelles, l’objectif est de passer encore une nouvelle étape. Et la Belgique y prend part. “Elle est impliquée dans pas mal de projets. Notamment celui d’un observatoire spatial, de l’Agence spatiale européenne. On saura aussi d’ici un an où le télescope terrestre Einstein va se poser. Cela pourrait être dans la zone des trois frontières, dans le triangle entre Aix, Maastricht et Liège. Ce sera un énorme projet et l’enjeu est important. Avec les projets terrestres actuels, on détecte des ondes gravitationnelles une fois toutes les semaines en moyenne. Là on serait à des centaines par jour. Les échelles seraient complètement différentes.”