JMJ: les objectifs de l'Église qui se cachent derrière ce "festival catholique"

Alors que s'ouvrent les JMJ 2023 de Lisbonne, retour sur les buts véritables poursuivis par le Vatican en organisant cet événement.

Des catholiques francophones rassemblés à Lisbonne lors de l’ouverture des JMJ, le 1er août 2023 ©BelgaImage

Ce 1er août, les jeunes catholiques du monde entier affluent vers la capitale portugaise, où est inaugurée ce mardi la 17e édition des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Demain, le pape François atterrira à Lisbonne pour saluer une foule qui pourrait rassembler près d'un million de personnes d'ici dimanche, dernier jour des festivités. Un événement populaire donc au sein de la communauté catholique, mais qui ne se résume pas une fête. Car pour l'Église, depuis sa création il y a un peu moins de 40 ans, son organisation est surtout destinée à poursuivre des objectifs très concrets et beaucoup plus terre à terre.

Des buts religieux et géopolitiques

Généralement, c'est le pape Jean-Paul II qui est présenté comme le créateur des JMJ, dont la première édition a eu lieu au Vatican en 1984. En réalité, ce n'est pas tout à fait juste. "Il est très motivé dans le cadre de cette initiative mais le schéma qui est proposé, ce n'est pas lui qui l'a construit. C'est le président du Conseil pontifical pour les laïcs (CPL) [le cardinal argentin Edoardo Pironio, ndlr] qui dîne avec lui et qui le lui soumet. Ce schéma est accepté très rapidement, mais ce n'est pas Jean-Paul II qui règle les détails et qui construit la 'maquette' du grand rassemblement", explique à RCF l'historien Charles Mercier, auteur d'une étude sur les JMJ.

En créant cet événement, l'Église vise essentiellement deux finalités, dont la première est destinée à entretenir la foi catholique chez les jeunes. "L’expérience du grand rassemblement doit permettre aux participants de vivre une expérience spirituelle forte à même de les ancrer dans le catholicisme, alors que leur environnement familial et social (en Occident tout du moins) est de plus en plus déchristianisé et que les organisations de jeunesse issues de l’Action catholique, semblent avoir abandonné toute perspective surnaturelle, pour se consacrer à des objectifs exclusivement temporels", note le laboratoire de recherche historique EHNE, géré par la Sorbonne et l'université de Nantes.

"C'est un mouvement de fonds qui commence dès les années 1930, sous le pontificat de Pie XI", confirme Charles Mercier. "Dans un contexte de sécularisation, où la foi se transmet de moins en moins automatiquement d'une génération à l'autre, les jeunes constituent une cible prioritaire de l'évangélisation. C'est le moment de la vie où se font des choix déterminants et l'Église n'a de cesse de proposer des dispositifs pour essayer de rejoindre les jeunes dans leur foi".

Mais au-delà de cela, le contexte de l'époque aide aussi à la naissance du mouvement, précise-t-il. Car contrairement à la génération 68, contestataire et de plus en plus en rupture avec le Vatican, la génération X grandit dans la crise qui ont succédé à la période des Trente Glorieuses. Les modèles familiaux se recomposent, voire apparaissent instables pour certains, et l'institution catholique apparaît comme étant un facteur de stabilité dans ce monde en changement. Les contestations sont moins vives et le pape arrive à mieux rassembler autour de sa personne, d'où la possibilité de grands rassemblements.

Le deuxième objectif des JMJ est plutôt d'ordre géopolitique. "Lorsque Jean-Paul II prononce pour la première fois l’expression 'Journée mondiale de la jeunesse' en avril 1985, il l’associe à des objectifs de transformation, par les nouvelles générations, du système des relations internationales, alors marqué par la Guerre froide. Après l’éclatement du bloc communiste, les JMJ seront orientées vers 'l’humanisation de la mondialisation', avec le souci de faire bénéficier les jeunes des pays du Sud et de l’Est de l’ouverture des frontières, et de contrebalancer l’hégémonie culturelle nord-américaine", affirme l'EHNE.

Un succès mitigé

Si le succès des premières éditions était incertain, la sauce a finit par prendre, Jean-Paul II s'investissant pleinement pour que les JMJ soient un succès. Il faut dire que pour lui, cela représente un moyen de mener la "nouvelle évangélisation" qu'il appelle de ses vœux. L'heure n'est plus aux "prêtres ouvriers", repliés sur eux-mêmes pour expérimenter leur foi. Ce modèle hérité du passé n'étant plus populaire chez les jeunes, il faut changer. Place maintenant à des moments de religiosité collective, à l'instar des évangéliques qui ont bâti leur popularité d'une façon similaire. Des pratiques plus traditionnelles (comme la messe et les catéchèses) s'articulent alors avec l'expérience de la foule. "On peut par exemple relever l’importance de l’émotion et de la fête, la mise en jeu du corps ou l’intégration des codes de la culture jeune d’un point de vue musical".

Preuve que le succès est au rendez-vous: certaines éditions attirent un nombre impressionnant de personnes, avec jusqu’à 4 millions de personnes rassemblées à Manille en 1995. "La condensation spatiale de ces « rescapés » de la transmission religieuse, remplis d’énergie par leur rencontre, a un effet de ralliement à l’événement par ondes concentriques, d’abord auprès des catholiques non pratiquants qui restent éthiquement et culturellement attachés au christianisme, ensuite auprès d’individus non socialisés dans le catholicisme, mais qui sont marqués par le caractère positif de cette rencontre qui transforme momentanément leur ville et répond à certaines des angoisses de la modernité", fait savoir l'EHNE.

Néanmoins, est-ce que les JMJ ont réussi à répondre aux attentes de l'Église, à savoir notamment une renaissance du catholicisme chez les jeunes? C'est beaucoup moins certain. "Les JMJ n’ont inversé la courbe de la sécularisation dans aucun des pays qui les ont accueillies", ajoute Charles Mercier auprès de Libération, qui distingue une différence entre l'impact à court et moyen terme. "Durant les semaines qui suivent les JMJ, on observe un regain des pratiques religieuses et des demandes de baptêmes dans les villes hôtes. Elles consolident la foi de plus de 90% des participants, selon les enquêtes disponibles". Toutefois, "sur le moyen terme, ces indicateurs continuent cependant à baisser au profit de croyances spirituelles non régulées, ce qui semble réfuter l’hypothèse selon laquelle les “jmjistes” constitueraient l’avant-garde d’un mouvement plus large de retour à la foi chrétienne", conclut l'EHNE.

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