Une "guerre des parasols" et "des serviettes" éclate sur les plages méditerranéennes

De l'Italie à l'Espagne en passant par la Grèce, la gestion de plages envahies par les touristes crée une tension croissante, voire des mouvements de citoyens en colère.

Plage à Rimini
Une plage remplie de parasols à Rimini (Émilie-Romagne, Italie) le 13 juillet 2022 ©BelgaImage

Se poser sur le sable est-il en train de devenir un luxe dans le Sud? C'est la question qui déchaîne les passions sur les côtes méditerranéennes. Alors que la chaleur accable la région, les touristes prennent d'assaut le littoral, à tel point que cela amène à toutes sortes de dérives. Plages entièrement occupées dès l'aube en Espagne, privatisées à l'extrême en Grèce, voire véritable manne financière en Italie: le sujet devient explosif pour les habitants de ces régions. En réaction, des mouvements de contestation ont pris forme. L'État réagit parfois, et d'autres fois pas du tout, alors que le secteur représente un énorme enjeu économique.

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Le fléau des "professionnels des plus belles vues" en Espagne

En Espagne, un petit rituel s'est mis en place, notamment du côté de la très populaire Benidorm. Avant même que le soleil ne se lève, des familles viennent y mettre leurs parasols et leurs chaises longues le long de l'eau. Pour elles, il s'agit d'être certain de pouvoir se prélasser sur la plage toute la journée. Mais pour ceux qui arriveraient ne serait-ce qu'un peu plus tard, c'est la douche froide. Il ne reste tout simplement plus de place! La média espagnol Nius a trouvé un nouveau surnom pour ces lève-tôt des sables: les "professionnels des plus belles vues".

À Benidorm, où ce phénomène se produit dès 5h30 du matin, la commune a décidé de réagir en interdisant cette pratique. Le problème, c'est qu'à cette heure-là, la police est généralement occupée à gérer la vibrante vie nocturne de la station balnéaire. Difficile donc de faire régner l'ordre en même temps en bord de mer.

En conséquence, les touristes continuent de se livrer à une véritable "guerre des parasols", comme le déclare El País. Une guerre qui s'étend désormais "sur l’ensemble du littoral méditerranéen espagnol", précise le quotidien. Certaines municipalités se montrent déterminées à lutter contre ces abus, avec des amendes allant jusqu'à 750 euros, mais ce n'est pas le cas partout. L'enjeu est aujourd'hui d'autant plus sensible que de nombreux Espagnols prennent la direction de la mer au mois d'août, où ils retrouvent les touristes venus du monde entier. Une surpopulation côtière qui promet d'être difficile à gérer d'ici la fin des grandes vacances.

Le "mouvement des serviettes" fait des vagues en Grèce

En Grèce, la situation est encore plus tendue. Ici, la privatisation des plages est devenue endémique, à tel point qu'il est parfois devenu difficile se trouver un endroit où se poser sans devoir payer. Des commerçants et restaurateurs prennent également d'assaut les lieux et s'étendent bien au-delà des limites autorisées. Les exemples de constructions et occupations illégales ne manquent pas, dans ce pays dont un quart du PIB dépend du tourisme.

Cet été, le ras-le-bol des habitants a donné naissance à un collectif organisé. Les médias locaux parlent désormais d'un "mouvement des serviettes" mobilisé pour la gratuité des plages. Celui-ci a pris naissance dans quelques îles des Cyclades et tend maintenant à s'étendre à tout l'archipel. Une partie du mouvement, connu sous le nom de réseau "Parasol", a notamment tenu des conférences de presse pour lister les nombreuses irrégularités à Rhodes. En théorie, seulement 30% des plages peuvent faire l'objet d'une exploitation privée, mais la réalité semble bien au-delà de ce chiffre.

Face à cette grogne, le gouvernement conservateur se montre réceptif. Il assure que près d'un millier de contrôles ont été menés depuis le 21 juillet, d'où 336 irrégularités repérées. "Nous n’épargnerons personne quant au respect de la légalité des plages. Certains en ont douté. La rapidité et les résultats des contrôles les font mentir", se réjouit le ministre de l’Économie Kostis Hatzidakis. Pour autant, le "mouvement des serviettes" reste mobilisé. “Les plages appartiennent à toutes et à tous ! C’est ce que disent la Constitution et la loi. Mais ce sont, de plus, d’importants écosystèmes, qui sont détruits par la présence et l’action humaine”, déclare ainsi le “mouvement des citoyens de Paros pour des plages libres” dans le média local Cyclades24.gr.

Le laissez-faire du gouvernement italien

Cette tension n'épargne pas non plus l'Italie. Selon l'association environnementale Legambiente, 42,8% des côtes sableuses sont occupées par des établissements balnéaires, voire presque 70% dans les régions d'Émilie-Romagne et de Campanie. Dans certaines localités de Ligurie, de Toscane ou encore du Frioul, l'accès à presque la totalité du littoral est payant. Un constat qui n'étonne pas l'association, puisque la législation est souvent très laxiste. Dans cinq régions, il n'existe aucun quota minimum pour garantir la présence de plages gratuites. Rares sont celles à imposer au contraire un pourcentage élevé de "plages libres", à l'instar des 60% requis en Sardaigne et dans les Pouilles.

À Naples, la situation est particulièrement frappante. Sur ses 27 kilomètres de côte, seuls 200 mètres sont gratuits, notent Les Échos. Une portion ridiculement petite qui est non seulement surpeuplée mais aussi sale et quasiment pas nettoyée, précise France Info qui s'est rendue sur place. "Pour un transat, tu ne t’en sors pas à moins de 20 euros. Avec ces prix, la plage privée, c’est impossible", confie une femme qui s'est résolue à se rendre sur cette plage publique. Le quotidien "Il Mattino" ne peut que constater que dans la troisième ville d'Italie, une "guerre des chaises longues" fait rage.

Ailleurs, le phénomène prend des formes tout aussi choquantes. "En Sicile, beaucoup d'établissements sont liés à la mafia locale qui d'ailleurs pousse les élus locaux à construire sur le littoral", ajoute Les Échos. Non loin de Rome, le front de mer a été rebaptisé le "front de mur", note la télévision française qui a interrogé un plagiste sur ses revenus. Celui-ci ne paye que 3,70 euros du m2 par an pour exploiter les lieux et pour répondre aux critiques, il dit avoir "beaucoup d’autres dépenses" à gérer.

Une défense qui paraît bien maigre, surtout depuis qu'un sulfureux homme d'affaires, Flavio Briatore, a révélé ce que lui rapportait sa plage de Forte dei Marmi, une station située dans une partie de la côte toscane presque entièrement privatisée, au nord de Pise. Selon plusieurs titres de presse italiens, il gagne des millions d'euros et ne paye un loyer que de 17.000 euros pour près de 50.000 mètres carrés de sable chaud.

Ici aussi donc, la colère monte. Mais contrairement à l'Espagne et la Grèce, le gouvernement d'extrême-droite de Giorgia Meloni ne semble pas décidé de réagir. L'Union européenne demande depuis longtemps à Rome de respecter des règles de bonne gestion de plages et en théorie, les concessions doivent faire l'objet d'une sélection transparente d'ici le 1er janvier 2024. Une ouverture à la concurrence destinée à mettre un terme au règne des plagistes qui occupent le littoral, parfois de génération en génération. Mais l'affaire fait l'objet d'un bras de fer entre Bruxelles et Rome et le sujet promet de rester brûlant dans les mois à venir.

Et en France?

Dans l'Hexagone, il n'existe pas de "plage privée" dans le sens juridique du terme, l'État français garantissant "l’accès libre et gratuit du public" depuis 1858. Une "loi littoral" de 1986 et un décret de 2006 ont autorisé l'existence de concessions pour une durée de 12 ans maximum et limité ces exploitation à 20% des côtes. Autrement dit, 80% des plages doivent rester publiques.

Les règles sont donc plus strictes mais cela n'a pas empêché l'émergence d'un "squattage des plages", note Midi Libre. Le problème a déjà été l'objet d'une question au Parlement en 2019 où une députée s'inquiétait de la dimension sécuritaire du phénomène. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Christophe Castaner, a alors répondu qu'aucune "disposition législative ou réglementaire ne permet au maire d'interdire à des personnes de déposer une serviette ou d'autres objets sur le sable afin d'y réserver un emplacement".

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