
Oui, les "chasses aux sorcières" existent toujours aujourd'hui, pour de vrai!

Il y a près de 400 ans, les procès pour sorcellerie se multipliaient à travers l'Europe. En 1616 par exemple, les autorités de Spa ont décidé d'exécuter une dizaine de femmes pour ce motif. Cette "inquisition des sorcières" continuera encore longtemps en Europe. Encore au milieu du XIXe siècle, une "sorcière" a été jetée dans un four à Camalès, dans le département français des Hautes-Pyrénées. Aujourd'hui, l'heure est à la réhabilitation. La Suisse l'a fait en 2008 avec sa dernière "sorcière", Anna Göldin, tuée en 1782. En Belgique, la ville de Lier s'est excusée en 2021 d'avoir mis au bûcher une jeune fille en 1590 et en Écosse, des associations se battent pour faire reconnaître près de 2.500 victimes. Une façon aussi de mettre en garde sur une menace actuelle, celle des fake news.
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Ce qui est moins connu, c'est qu'encore aujourd'hui, il existe bel et bien des "chasses aux sorcières". Certes, ce n'est plus le cas en Europe mais ailleurs dans le monde, c'est toujours une réalité. Des croyances anachroniques qui cachent souvent des idées bien moins avouables.
L'horreur en Afrique
La région du monde où ces accusations de sorcellerie sont les plus fréquentes, c'est l'Afrique subsaharienne. C'est cette réalité que dénonçait notamment le film "I am not a Witch", sorti en 2017. Ces actes sont notamment recensés au Ghana, où les "sorcières" sont ostracisées de leurs communautés, soi-disant parce qu'elles auraient causé des malheurs à des personnes de leurs entourages. Selon le média Brut, dans près de 70% des cas, ces affaires se produisent après la mort de leurs maris, et ces veuves finissent ensuite dans des camps. L'Unicef déplore également des cas visant des femmes et des enfants au Libéria et en Tanzanie. Idem en Centrafrique, selon un rapport d'Avocats Sans Frontières (ASF). Au Nigeria, les exemples ne sont pas rares. Encore fin 2022, une vingtaine de femmes accusées de sorcellerie ont été tuées par Boko Haram.
Comme l'explique au journal du CNRS l’anthropologue Andrea Ceriana Mayneri, ces accusations qui semblent d'un autre âge ne sont "pas portées au hasard" et représentent "un mécanisme d’explication des événements". "Quand un malheur survient – la perte d’un travail, d’un enfant, ou une maladie – la cause est souvent identifiée dans l’activité néfaste d’un proche. Et cette accusation est toujours précédée de soupçons, dans un cercle restreint, la famille, le quartier, le village. Cela peut être un enfant, une femme, une personne âgée ; souvent, quelqu’un en position de faiblesse dans la communauté familiale. Et on l’accuse".
Le Courrier international note que dans ce cadre, l'exclusion des "sorcières" peut servir de "puissant mécanisme de défense de l’ordre patriarcal". Au Nigeria, le journal canadien La Presse ajoute que la croyance en des "enfants sorciers" est entretenue par les églises évangéliques qui y voient un moyen "de fidéliser les parents à leur paroisse, de faire un peu d'argent et de gagner de l'influence dans leur communauté". Puisque les juges chargés de poursuivre ces méfaits adhèrent souvent eux aussi à ces superstitions, rien n'est fait pour les en empêcher. Le même phénomène a été attesté au Congo par TV5 Monde, avec là aussi les églises chrétiennes à la manœuvre.
Le chercheur du CNRS explique que parfois, les albinos sont automatiquement identifiés à des sorciers. Ailleurs, des communautés croient que les prétendus pouvoirs des "sorcières" viendraient de leurs ventres. De là découlent des autopsies à la recherche d'une mystérieuse poche abdominale, "et parfois, malheureusement, sur des personnes qui ne sont pas mortes".
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Certaines accusations se font à l'échelle d'une famille ou d'un quartier, avec ensuite des lapidations, des "épreuves du feu" où une personne est bloquée dans un pneu enflammé, etc. "Il s’agit d’un mouvement collectif et la manière de tuer doit être spectaculaire, pour annihiler non seulement le corps de la personne, mais le pouvoir qu’elle abrite. À ce moment-là, il se peut que la police intervienne, mais c’est très compliqué". D'autres font appels à des devins pour confirmer des soupçons de sorcellerie. Chez les chrétiens, notamment pentecôtistes, le pasteur peut donner le même type de diagnostic. Enfin, dans certains cas, c'est l'État qui agit contre les "sorcières". Des procès pour sorcellerie ont par exemple été recensés en Centrafrique et selon l'ASF, il s'agit là d'un outil des autorités pour préserver l'ordre public, tout en instrumentalisant cela à leur avantage, dans un contexte de déficiences étatiques et de troubles.
Les sorcières aussi poursuivies de part et d'autre de l'Asie
Il n'y a pas qu'en Afrique subsaharienne que l'on trouve des "chasses aux sorcières". En 2011, l'Arabie saoudite a par exemple décapité une femme de 60 ans, Amina bint Abdul Halim bin Salem Nasser, pour "pratique de la sorcellerie". Une exécution vivement dénoncée par Amnesty International qui parle d'une décision "profondément choquante".
En Inde, ces chasses sont également présentes. Entre 2000 et 2014, près de 2.300, surtout des femmes, ont été tuées pour ce motif, la plupart du temps dans des régions reculées et pauvres. Selon le média indien Article 14, l'État du Jharkhand est particulièrement concerné et il s'agit souvent là-bas d'une manière de déshériter des femmes et de s'accaparer leurs terres. Dans d'autres cas, ce sont des femmes de la communauté dalit (les fameux "Intouchables") qui sont visées. "Au fond, il s'agit d'une conspiration du patriarcat brahmanique pour contrôler les ressources et maintenir la hiérarchie des castes en frappant là où ça fait le plus mal", note une étude, qui ajoute que ce type d'accusation peut également viser des femmes remettant en cause les normes patriarcales.
Au Népal voisin, ce n'est pas beaucoup mieux et là aussi, les dalits sont touchés. "Les superstitions sont profondément enracinées dans notre société, et la croyance en la sorcellerie en représente l'une des pires formes", a déclaré Sarwa Dev Prasad Ojha, ministre des femmes et de la protection sociale. En Indonésie, des centaines de personnes ont été tuées de la même façon après la chute du régime de Soeharto en 1998 et si ces violences ont baissé depuis, elles n'ont pas disparu.
Enfin, un pays également connu pour ses femmes accusées de sorcellerie, c'est la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Radio-Canada affirmait en 2020 que ce type de violences, qui aboutit parfois à la mort, serait en hausse dans l'archipel. Un constat confirmé à la même époque par l'agence AFP qui évoque des viols et des lynchages. Selon les intervenants interrogés par USA Today, la cause de ces accusations, c'est la jalousie née suite à la croissance économique rapide du pays, avec l'exploitation des ressources en gaz et en minerais. Encore une fois, il s'agit in fine de s'emparer des richesses des personnes visées, en l'occurrence des familles aisées. Le South China Morning Post précise qu'il y a également une volonté de réaffirmer la place du patriarcat, comme dans les exemples précédents. Enfin, le Time ajoute que l'arrivée des réseaux sociaux en Papouasie-Nouvelle-Guinée n'est sûrement pas étrangère à la flambée des violences. Et "l'Occident n'est que trop conscient de la façon dont un torrent de fausses nouvelles conduit à des arguments, à une politique identitaire haineuse et à la polarisation", fait remarquer le magazine.