
À quoi ressemble la percée de la contre-offensive ukrainienne sur une carte?
Après des semaines d'affrontement, une nouvelle poussée d'optimisme se fait sentir à Kiev. En cause: l'annonce hier de la prise de Robotyne, au sud du pays. Cette victoire est présentée comme significative par le pouvoir ukrainien qui avait bien besoin d'un petit coup de pouce au moral, le front étant pratiquement gelé depuis l'automne 2022. Pourtant, il ne s'agit a priori que d'un petit village, perdu au milieu des champs de la steppe pontique. Mais en le replaçant sur une carte, cette conquête apparaît plus stratégique qu'il n'y paraît.
Objectif: désorganiser le camp russe
Robotyne se trouve à peu près à mi-chemin entre la région du Donbass (à l'est de l'Ukraine), qui constitue la cible principale de la Russie, et le lac artificiel de Kakhovka (dont le barrage a été détruit en juin dernier, d'où la baisse du niveau de l'eau qui fragilise l'énorme centrale nucléaire de Zaporijjia). Il s'agit donc d'une sorte d'entre-deux, un ventre creux constitué de plaines qui constitue en temps normal le grenier à blé du pays.
Mais si cette zone est aujourd'hui si importante, c'est parce que l'Ukraine prévoit de mener une opération qui pourrait lourdement handicaper l'armée russe. Son objectif: atteindre la mer d'Azov, située au sud-est, et ainsi couper en deux les territoires ukrainiens contrôlés par le Kremlin. De cette manière, Moscou ne pourrait plus assurer une continuité géographique entre ses troupes positionnées près de la Crimée et du Donbass. Puisque les soldats russes dépendent beaucoup des voies ferroviaires et routières pour se déplacer et s'approvisionner, cela constituerait de toute évidence un tournant dans la guerre.
Robotyne, une étape pas si anecdotique
Le Kremlin le sait parfaitement et c'est pour cela qu'il a installé une ligne de défense particulièrement résistante sur toute cette partie de la ligne de front, entre le Donbass et le lac de Kakhovka. Robotyne se trouve à cet endroit très précis. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a fallu du temps pour que les troupes ukrainiennes y arrivent, après avoir traversé des tranchées et des champs de mines qui font penser à une bataille de Verdun version XXIe siècle.
Si on représente cette avancée sur la carte de l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW), cela prend la forme d'une zone bleue qui arrive aujourd'hui jusqu'à Robotyne. Certes, cela ne représente que quelques kilomètres, et si on dézoome pour prendre la carte de l'Ukraine tout entière, cette prise ressemblerait presque à une anecdote. Mais ce que montre la carte aussi, c'est que l'ancienne ligne de défense russe (représentée par l'ISW par des petits triangles) se situe désormais derrière les troupes ukrainiennes.
Vers un "effet domino"?
Cette conquête pourrait donc préfigurer l'arrivée d'une percée, mais c'est encore loin d'être certain. Kiev doit maintenant traverser les autres lignes de défense, situées plus loin, dont certaines s'annoncent toujours difficiles à franchir. Ils doivent notamment franchir le gros de la ligne Sourovikine, qui constitue le cœur de la défense russe.
Un des premiers buts à atteindre, ce serait d'avancer d'une dizaine de kilomètres supplémentaire, comme l'explique dans un article Jan Kallberg, professeur adjoint au département des sciences mathématiques de l’Académie militaire des Etats-Unis et chercheur au Centre d’analyse des politiques européennes. Cela permettrait à Kiev de positionner ses Himars et ses lance-roquettes multiples M270 dans la région afin de pouvoir toucher les troupes russes qui circuleraient au bord de la mer d'Azov, sur l'autoroute M14. Autrement dit, tout convoi russe passant entre le Donbass et la Crimée serait à la merci des armes ukrainiennes, situées 80-90 km plus loin.
"Une fois que ce sera fait (…), il y aura un effet domino", prédit Jan Kallberg. "Toutes les routes et voies ferrées est-ouest seront à portée et, à ce stade, les entreprises privées russes [auxquelles l’armée fait appel depuis plusieurs mois] ne seront plus d’accord pour risquer la vie de leurs chauffeurs et leurs camions à 150 000 dollars pour un paiement de 700 dollars de fret à transporter de Marioupol (à l'est, ndlr) à l’oblast de Kherson (à l'ouest, ndlr)".
À la croisée des possibles
Si l'Ukraine arrive à confirmer sa percée, elle devrait ensuite se diriger vers la ville de Tokmak, une plaque tournante ferroviaire, puis de Melitopol. Tout peut alors s'enchaîner très vite, comme l'a montré la réussite de sa contre-offensive fin 2022 dans le nord-est. La prise de Berdiansk, située sur la mer d'Azov, constituerait la confirmation de cette victoire.
En l'état, ce scénario reste à confirmer, et d'autres sont possibles. La Russie pourrait toujours plus renforcer ses défenses pour éviter que cela ne se produise. Il faut également voir ce que le Kremlin pourrait faire à d'autres endroits du front. Kiev a par exemple annoncé ce dimanche que Moscou avait rassemblé près de 100.000 soldats russes dans le secteur de Koupiansk-Lyman, au nord-est. Si ça se confirme, cela tendrait à montrer que la Russie voudrait reprendre les territoires du Donbass qu'elle détenait entre juin et octobre 2022, avant l'avancée ukrainienne.