

Menacé de nouveau par la justice française, le polémiste d'extrême-droite Éric Zemmour est reparti en croisade. Ce jeudi, il était invité sur Europe 1 afin de réagir à l'arrêt de la Cour de cassation ordonnant la tenue d'un nouveau procès à son encontre pour "contestation de crime contre l’humanité". En cause: une déclaration de l'ancien candidat à la présidentielle affirmant que Philippe Pétain avait "sauvé" les juifs français pendant la guerre 40-45. Sur la chaîne radio détenue par le sulfureux Vincent Bolloré, il explique que selon lui, ce ne serait pas à la justice de trancher cette "querelle historique", tout en se montrant certain du bien-fondé de ses propos. "Je défie tous les historiens, là-dessus, de me donner le véritable démenti face à moi", a-t-il déclaré. Depuis, plusieurs d'entre eux ont répondu, et force est de constater qu'ils ne vont pas du tout dans son sens (et c'est un euphémisme).
Parmi ceux qui ont répondu, on trouve Matthieu Boisdron, docteur en histoire contemporaine à la Sorbonne. Sur X (ex-Twitter), il écrit: "Parce qu’un document d’archive vaut mieux que tous les longs discours, la loi 'portant statut des juifs' du 3 octobre 1940 annotée de la main même de Pétain qui aggrave son caractère discriminatoire initial", tout en mettant une copie de ce texte.
Dans celui-ci, le régime de Vichy retire aux juifs toute une série de droits fondamentaux. Une longue liste répertorie par exemple les postes auxquels ils ne sont plus admis dans l'administration, l'armée, les secteurs culturel et médiatique, les professions libérales, etc., ce qui les prive de facto d'une bonne partie des ressources des personnes visées. Cette loi est d'ailleurs couplée à une autre, publiée le 4 octobre 1940, permettant l'internement des "ressortissants étrangers de race juive" dans des "camps spéciaux". Encore quelques jours plus tard, le 7 octobre 1940, la nationalité française sera retirée aux juifs installés en Algérie.
Parce qu’un document d’archive vaut mieux que tous les longs discours, la « loi portant statut des juifs » du 3 oct. 1940 annotée de la main même de #Pétain qui aggrave son caractère discriminatoire initial. https://t.co/pnYvbh4hAZ pic.twitter.com/7r5CnuMPaI
— Matthieu Boisdron (@Mtth_Boisdron) September 7, 2023
D'autres historiens ont préféré une autre tactique pour répondre au polémiste. Puisqu'il est difficile de résumer de longues explications en quelques lignes sur X, ils ont redirigé le public vers des livres écrits par des chercheurs sur le sujet. Guillaume Pollack, docteur en histoire contemporaine et enseignant à la Sorbonne, et Olivier Varlan, professeur agrégé et docteur en histoire contemporaine, ont notamment cité les ouvrages de l’historien Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS et spécialiste sur les politiques antisémites du régime de Vichy. Dans "La falsification de L’Histoire" (sorti en 2022), ce dernier avait notamment démenti les nombreux arrangements d'Éric Zemmour avec l'histoire. Avec "L’État contre les Juifs", il expose également l'ampleur de la politique antisémite du maréchal Pétain.
Laurent Joly a déjà relevé le défi en écrivant tout un livre sur la "falsification de l'Histoire" proposée par Zemmour : https://t.co/Dn738M29F0 pic.twitter.com/IGD7Spulor
— Olivier Varlan (@VarlanOlivier) September 7, 2023
À noter que Laurent Joly a également participé en février 2022 à la publication de l'essai "Zemmour contre l’histoire" par un collectif de quinze historiens mobilisés pour contredire les thèses du polémiste, en pleine campagne présidentielle. Pour l'occasion, l'historienne Manon Bril, animatrice de la chaîne Youtube "C'est une autre histoire", avait donné la parole à ces chercheurs dans l'une de ses vidéos, dont Laurent Joly pour le chapitre sur le régime de Vichy.
Celui-ci rappelle ainsi qu'en 1942, entre juillet et novembre, près de 36.000 juifs installés en France (et pour une partie nés en France) sont déportés, ce à quoi il faut ajouter les 32.000 juifs ayant subi le même sort par la suite, quand toute la France sera sous administration directe du Reich. Sur 74.150 déportés, 24.000 seront français (dont plus de 7.000 enfants). Quant aux juifs ayant échappé à la mort, environ trois quarts d'entre eux doivent leur survie avant tout à l'aide de la population et aux fonctionnaires opposés à la collaboration.
Malgré ces démentis, Éric Zemmour ne semble manifestement pas prêter attention à l'analyse de ces historiens. Cette semaine, son attention a été accaparée par un autre sujet: la participation de son parti d'extrême-droite, Reconquête, aux élections européennes. Il a notamment décidé que Marion Maréchal, la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, serait la tête de liste pour faire face aux autres formations politiques, dont le Rassemblement national mené par sa tante, Marine Le Pen.