Un honnête homme

Le choix des mots est souvent important, dans la vie. Au sein des grandes entreprises, on ne dit plus "salaire" et "bonus" pour les pactoles que s’octroient leurs dirigeants. On dit "rémunération fixe" et "rémunération variable".

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C’est plus élégant. Par exemple, Pierre Mariani, le patron envoyé fin 2008 par son ami Sarko à la tête de Dexia, n’a pas touché un "salaire" et un "bonus" cumulés de 2 millions par an, mais des "rémunérations fixes et variables" de 2 millions d’euros. Ça passe tout de suite mieux. Comme ses "frais de séjour" à 545 € la nuit dans la suite d’un hôtel cinq étoiles bruxellois (pendant trois ans!).

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De même, pour les menues dringuelles accordées aux membres des conseils d’administration, on parle de "compensations". Parce que "jetons de présence", c’est un peu scolaire: tu viens avec ta mallette, tu fais ton intéressé et tu reçois des bons points (qui valent chacun quelques milliers d’euros). Tandis que "compensations", c’est plus classe: ça fait récompense octroyée en échange du sacrifice de ta personne.

Jean-Luc Dehaene s’est énormément sacrifié, ces dernières années. Quand il s’agit de "compenser", le brillant homme sait d’ailleurs tout faire. C’est normal, puisqu’il fut notre Premier ministre, de 1992 à 1999.

De bien belles années: celles de l’affaire Dutroux ou du scandale de la dioxine. Fort de ces riches expériences, Bibendum s’est donc transformé en "compensateur" d’à peu près tout ce qu’on veut, offrant son sacrifice aux conseils d’administration de cinq sociétés cotées en Bourse: il compensait en chipoteries bancaires (Dexia: 88.000 €/an), il compense toujours en spéculoos (Lotus: 22.000 €/an), en Jupiler (AB Inbev: 84.000 €/an), en médicaments (ThromboGenics: 28.000 €/an) et en métaux précieux (Umicore: 40.000 €/an).

Tous ces talents de "compensateur" réunis en un seul cerveau, ça force l’admiration. Donc total: 262.000 "euros-compensations" par an pour ces à-côtés d’administrateur de grandes sociétés.

Oui, parce que "compensateur" n’est pas son principal job, à Jean-Luc. Depuis 2004, son vrai métier, c’est député européen. Et là aussi, son talent force le respect. Privilégiant la qualité à la quantité, notre ex-Premier peut se permettre d’être le moins présent des 751 eurodéputés.

Et quand il lui arrive de pousser la porte du Parlement de l’UE, il n’a pas besoin de participer aux débats pour briller: jamais une proposition, jamais une intervention. En séance plénière, Jean-Luc développe un autre de ses talents: il dort (pour un salaire annuel de 134.000 €). Evidemment, l’homme n’est pas infaillible.

Comme les petits pépins arrivent à tout le monde, même aux plus doués, Dexia est sur sa caisse (dont coût: 7 milliards pour le contribuable belge). Mais Jean-Luc Dehaene est un honnête homme. D’abord, il a (été?) démissionné de son passe-temps de président du conseil d'administration. Ensuite, de son plein gré (?), il a remboursé ses "compensations" perçues en 2011 (en conservant celles de 2009 et 2010, quand même).

N’empêche que sans ces 88.000 euros de Dexia, ça ne lui fera plus que 174.000 "euros-compensations" + 134.000 euros de sieste europarlementaire, donc 308.000 patates par an. Soit un terrible manque à gagner de 22 %! On ne le nommerait au conseil d’administration d’ArcelorMittal, pour compenser?
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