
Vaccin obligatoire en avion: beaucoup de bruit pour rien?

Ce lundi, une petite bombe lâchée en Australie a eu des répercussions mondiales. Lors d’une émission télévisée, le PDG de la compagnie aérienne Qantas, Alan Joyce, a fait une annonce choc: «Pour les voyageurs internationaux, nous leur demanderons d'avoir été vaccinés pour pouvoir monter à bord». Et d’ajouter: «Après avoir parlé avec mes collègues des autres compagnies aériennes du monde entier, je pense que ce sera une chose courante». Il n’en fallait pas plus pour que tout le secteur soit amené à réagir. Mais à l’heure actuelle, peu sont ceux qui soutiennent directement l’avis d’Alan Joyce. L’heure est même plutôt au compromis.
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#BREAKING: QANTAS CEO confirms that proof that you've been vaccinated for COVID-19 will be compulsory for international air travel onboard his aircraft. #9ACA pic.twitter.com/dhk3Hsnxn9
— A Current Affair (@ACurrentAffair9) November 23, 2020
Une levée de boucliers contre l’obligation du vaccin
Si le camp des pro-vaccins n’est pas constitué que de Qantas, ils sont pour l’instant peu nombreux. À vrai dire, il n’y en a qu’une autre compagnie qui pourrait suivre le mouvement, à savoir AirAsia, qui précise en plus à CNN Travel que cette option était encore à «examiner». Mais à côté de cela, les réactions sont dans le meilleur des cas mesurées, si pas hostiles. Mardi, le porte-parole de Brussels Airlines insiste pour dire que l’obligation du vaccin n’est pas à l’ordre du jour. Chez Lufthansa, Brussels Airlines, TUI fly et Japan Airlines, pareil. Chez de nombreuses compagnies low-cost, le ton est encore plus clair. EasyJet a déjà assuré au Financial Times qu’il n’avait aucun projet qui irait dans le sens de Qantas. Il en est de même pour Ryanair qui s’est confié à Euronews sur le sujet: «aucun certificat de vaccination ne sera exigé pour les vols court-courriers dans l'UE». D’autres sont enfin plus prudents. Air France dit ainsi attendre les recommandations gouvernementales françaises et Korean Air la poursuite du développement d’un vaccin.
En tout cas, s’il n’y a de consensus sur le sujet, cela pourrait poser un problème selon Bart Jourquin, professeur à l’UCLouvain et spécialiste des transports. «Pour moi, la difficulté, c’est que s’il y a des compagnies aériennes qui imposent le vaccin et d’autres pas, les secondes pourraient avoir un avantage concurrentiel vu que la contrainte pour prendre l’avion sera moins importante, même si le risque de contamination sera plus élevé. Si en revanche la politique des aéroports est de l’imposer pour tous les vols, la mesure me semble saine. Quoi qu’il arrive, ce qui est important, c’est que les passagers soient vraiment au courant des mesures avant de se rendre à l’aéroport, par exemple par mail».
Un «passeport de santé» pour mettre tout le monde d’accord
Face au risque de cacophonie, le pape de l’aviation, l'Association du transport aérien international (Iata), semble pour l’instant privilégier d’autres options. Elle part du constat que le chemin sera encore long avant d’atteindre à une vaccination à grande échelle, un luxe dont le secteur dit ne pouvoir se permettre, vu la crise qui le menace. L’heure est donc plutôt aux «tests systématiques pour rouvrir en toute sécurité les frontières sans mesures de quarantaine», comme l’affirme son directeur général, le Français Alexandre de Juniac.
Ces tests seraient ensuite un élément essentiel d’un projet plus vaste sur lequel travaille l’Iata: la mise en place d’un «passeport de santé». Ce serait une sorte de laissez-passer international pour attester d’un test négatif ou, éventuellement, d’un vaccin. Cela nécessiterait une coopération inédite entre pays, labos et secteur aérien mais cela permettrait de faire redécoller les avions pour de bon. L’Iata espère son lancement pour le premier trimestre 2021. En attendant, c’est un protocole de tests européen uniforme qui devrait être mis en place, comme l’annoncent trois alliances mondiales de compagnies aériennes: Oneworld, Star Alliance et SkyTeam.
Et les États dans tout ça?
Pour finir, il ne faudrait pas oublier un acteur pourtant essentiel dans l’adoption éventuelle d’un vaccin obligatoire dans le transport aérien: les États. Ce sont par exemple eux qui décident d’imposer ou de recommander le vaccin contre la fièvre jaune pour aller dans tel ou tel pays. Ils vont donc vraisemblablement devoir se positionner sur celui pour la Covid-19. Or même le secrétaire australien à la Santé, Greg Hunt, a assuré à l’AFP qu’aucune décision définitive n’était prise à ce propos. Loin de soutenir directement le patron de Qantas, il laisse même entendre que l’entrée en Australie pourrait soit se faire par une vaccination, soit avec une quarantaine stricte de deux semaines. Plus proche de nous, le Parisien a demandé aux autorités françaises quelle était leur position, sans recevoir de réponse. Emmanuel Macron a néanmoins donné un signal lors de son allocution de ce mardi soir. «Je ne rendrai pas la vaccination obligatoire», a-t-il dit, suivant ainsi la ligne déjà édictée en Belgique.
«Il ne faut pas non plus oublier qu’en Europe, la grande majorité des aéroports appartiennent soit aux États, soit aux régions», précise Bart Jourquin. «Donc de toute manière, l’aéroport ne pourra pas prendre la décision d’imposer le vaccin sans passer par son conseil d’administration, lui-même contrôlé par les autorités étatiques. Et de toute façon, pour éviter la cacophonie, il va falloir au minimum une concertation au niveau européen entre les ministres des transports pour que les mesures soient coordonnées. Mais aujourd’hui, on n’en est pas là, c’est trop tôt».