
Origine du Covid-19: les soupçons passent du pangolin au vison

Avec la crise sanitaire, le pangolin a acquis une notoriété folle. Lui qui était si peu connu était tout à coup soupçonné d’être l’animal qui avait permis au coronavirus de passer de la chauve-souris à l’homme. C’était la théorie la plus fréquemment discutée pour expliquer l’origine de la pandémie. Mais ces derniers temps, de nouveaux indices pointent plutôt vers le vison. Une thèse qui pourrait combler les défauts de la théorie précédente, même s’il reste quelques obstacles avant de pouvoir confirmer ou infirmer.
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Le pangolin, une fausse piste?
Avec le pangolin, le lien de cause à effet semblait pourtant attrayant. À l’origine, comme pour d’autres maladies, l’animal responsable de l’apparition du Covid-19 est de toute évidence la chauve-souris. Le génome du Covid-19 présent chez l’homme est d’ailleurs à 96% identique à celui d’une espèce de ce mammifère volant. Le problème, c’est que ce n’est pas assez pour qu’une chauve-souris ait directement transmis le virus aux humains.
Et c’est là que le pauvre pangolin débarque. Prisé en Chine pour ses écailles, utilisées dans la médecine traditionnelle, et dont la viande est consommée, il a rapidement été pointé du doigt comme étant le chaînon manquant. Les autorités chinoises ont d’ailleurs promu cette hypothèse au niveau politique puisqu’elles ont en profité pour en interdire son utilisation dans la pharmacopée. Sauf que depuis, les études scientifiques se sont multipliées pour mettre en doute cette piste. La correspondance entre le génome du Covid-19 chez l’insectivore et l’homme tombe ainsi à environ 90%. Autrement dit, pas assez. Pour le Sras en 2002-2004 par exemple, la civette a pu être déterminée comme la source de l’épidémie car ce chiffre était monté à 99,5%.
Les visons actifs dans la dynamique de l’épidémie
Il faut donc chercher ailleurs et c’est maintenant au tour du vison d’entrer sur scène. Ces derniers mois, les scientifiques ont remarqué la haute transmissibilité de Covid-19 chez cet animal élevé en masse dans des fermes pour sa fourrure. Le Danemark, premier exportateur mondial de visons, a même dû se résigner à tuer ses 17 millions de bêtes pour éviter une mutation du virus, à contre-cœur et après avoir longuement traîné la patte.
Mais c’est dans les fermes des Pays-Bas qu’une étude a été réalisée sur le mustélidé pour étudier son rôle dans la pandémie. Publiée dans Science, elle vient de confirmer le haut risque que représentent ces concentrations de visons. Les auteurs ont ainsi détecté chez ces animaux, sur base d’échantillons d’avril, à la fois le variant D614G, aujourd’hui omniprésent de par le monde, et le même variant présent à Wuhan au début de la pandémie. D’autre part, ils ont remarqué que 68% des employés de ces élevages avaient contracté la maladie.
La première vague liée aux visons italiens?
Ces données interpellent les scientifiques qui ont pu voir les foyers de coronavirus se multiplier dans les fermes à vison dans toute l’Europe. «Ce qui est intrigant c'est à quel point la maladie semble passer de l'homme au vison et réciproquement, comme si le chemin était déjà tracé», déclare au Parisien Alexandre Hassanin, zoologue au Muséum national d'histoire naturelle.
Le média Reporterre a également pointé fin décembre un autre indice qui pointerait le rôle des visons dans l’épidémie en Italie. C’est de toute évidence là-bas qu’a émergé le variant D614G et en février 2020, la grande majorité des cas italiens de coronavirus se trouvaient dans un espace très restreint de quelques dizaines de kilomètres, entre les villes de Lodi, Bergame et Crémone, en Lombardie. Or dans cet espace se trouvent trois des dix élevages de visons italiens, dont le plus gros. Certes, l’Italie n’est pas du tout le premier producteur de peau au monde, mais un des éleveurs aurait très bien pu importer le virus via ses contacts avec les fermes de vison chinoises. De là aurait pu naître le variant D614G qui s’est depuis imposé dans le monde entier.
La thèse est néanmoins accueillie avec scepticisme par Jean-Luc Angot, inspecteur général de santé publique vétérinaire au ministère français de l’Agriculture. «Ces conclusions me semblent hâtives et les données scientifiques trop peu nombreuses. Certes, une région comme la Lombardie, en Italie, compte plusieurs élevages de visons et a été très impactée par le Covid-19. Mais dans cette zone, il y a également de nombreux échanges avec la Chine», dit-il à Libération.
Les fermes chinoises au centre de l’attention
Si les preuves manquent pour confirmer l’hypothèse en Italie, il est néanmoins légitime de se demander si le fameux chaînon manquant de la pandémie ne serait pas tout simplement le vison (et non le pangolin). Or il s’avère que la Chine est devenue ces dernières années le premier pays producteur de peaux de visons. Selon l’organisation de lutte pour le bien-être animal Humane Society International, en 2018, plus d’un tiers de la production mondiale vient de l’Empire du Milieu. Ensuite, la viande de vison est consommée et il s’avère que celle-ci était vendue sur le marché de Wuhan, généralement considéré comme épicentre de l’épidémie.
Le moyen de transmission du virus de la chauve-souris au vison puis à l’homme serait également facile à expliquer. Les chauve-souris nichent dans les toits des fermes de visons et leurs déjections peuvent ensuite tomber sur les visons qui peuvent alors être contaminés. Puis ces mustélidés éternuent, ce qui facilite le passage à l’homme. C’est d’ailleurs comme cela que des éleveurs européens ont pu être contaminés.
Une enquête difficile à aboutir
Mais pour confirmer cette hypothèse, il faudrait encore que les scientifiques puissent aller sur le terrain. Or jusqu’à il y a peu, la Chine a toujours refusé de donner son feu vert. Après des pressions de la communauté internationale, Pékin a finalement cédé mais la question est très sensible. Les enquêteurs de l’OMS arriveront donc ce jeudi en Chine mais sous étroite surveillance du gouvernement. Ils ne resteront en plus qu’un temps réduit, trois semaines. Est-ce qu’ils vont pouvoir étudier le cas des visons? La question se pose. Les scientifiques voudraient aussi se pencher sur le cas des chiens viverrins, également élevés dans des fermes. Mais en l’état, les chercheurs ne sont pas optimistes sur leurs chances de trouver des éléments intéressants, un an après le début de la pandémie.
En tout cas, pendant ce temps-là, Pékin tente par tous les moyens de faire porter la responsabilité de l’émergence du Covid-19 sur d’autres pays. Et en parallèle, les autorités chinoises ont épargné les fermes de visons d’une bonne partie des nouvelles mesures de contrôle sanitaire. Selon Reuters, l’Empire du Milieu pourrait même profiter des abattages de masse en Europe pour développer sa propre industrie. Une industrie qui pèse déjà là-bas près de 50 milliards de dollars par an, alors que les prix sont en forte hausse.