
Fermer ou pas les écoles: l’éternel conflit entre pédiatres et épidémiologistes

Une fois de plus, le débat sur les écoles a fait rage hier. Cette fois, le coup d’envoi est donné dans le Laatste Nieuws. Igor Fierens, un pédiatre belge qui travaille à Londres, est d’avis que la menace du variant britannique est telle que laisser les écoles ouvertes est un non-sens. «Pour être honnête, je ne comprends pas vraiment pourquoi la Belgique n’a pas encore fermé les écoles maintenant que cette variante a également fait surface parmi vous. Les enfants sont plus facilement infectés», met-il en garde. Mais parmi tous ses collègues pédiatres, Igor Fierens est un peu seul. Exemple dans la Libre où Philippe Lannoo et Marc Hainaut ont riposté en précisant qu’une fermeture totale des écoles doit être «l'une des dernières mesures à prendre» et que «les enfants ne sont pas plus sensibles au variant britannique que les adultes». Face à ce combat incessant, qui se poursuit depuis des mois, il est légitime de se demander qui croire, et surtout ce qu’il faut vraiment faire.
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La confrontation des «deux écoles»
Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, chacun brandit des études contradictoires. Dans la revue «The Lancet», une comparaison des mesures sanitaires prises dans 131 pays concluait fin octobre que la fermeture des écoles serait l’une des décisions les plus efficaces contre l’épidémie, même si elle ne suffirait pas à elle seule. D’autres études, surtout brandies par des pédiatres, font par contre valoir que les jeunes enfants transmettraient moins le coronavirus, même si la limite d’âge de cet effet fait débat (jusqu’à 10, 12 ou 14 ans). «On est bien d’accord: il y a bien deux écoles au sein des experts, avec d’une part ceux qui mettent tous les enfants dans le même panier et ceux qui font une différence en fonction de l’âge. Le consensus des pédiatres belges, c’est qu’il y a une différence», constate Yves Van Laethem, virologue et porte-parole interfédéral sur le Covid.
Pour l’épidémiologiste Yves Coppieters, le poids de l’avis des pédiatres est clair en Belgique : «Chez nous, la task-force pédiatrique a pris la décision de ne pas donner à ce sujet un niveau de gravité trop important. Je pense que si on peut avoir l’impression qu’en Belgique, l’avis des experts sur les écoles est différent par rapport à d'autres pays, c’est lié à la façon de communiquer et de "défendre" le secteur», dit-il. «Mais il faut préciser que contrairement aux pédiatres, les épidémiologistes sont convaincus que l’école contribue fortement à la circulation du virus et la fermeture des écoles est tout à fait envisageable. La Belgique n'a pas fait le choix de fermer les établissements scolaires mais il ne faut pas oublier que les chiffres de l’épidémie sont assez sous contrôle pour que l’on se le permette».
L’Europe en ordre dispersé sur la question
D’autres pays n’ont, par contre, pas pris ce risque et ont fermé toutes les écoles, même celles du primaire. Sans surprise, ce type de décision a été pris au Royaume-Uni et en Irlande, où la vague de Covid-19 est très forte à cause du variant britannique. Mais certains pays moins touchés (bien qu’avec des chiffres épidémiologiques variables) ont aussi fait de même. C’est le cas aux Pays-Bas (fermeture jusqu’au moins le 25 janvier), en Autriche et au Danemark (jusqu’au 7 février). En Allemagne, la question des écoles, fermées depuis mi-décembre, a déchaîné les passions au niveau politique mais Angela Merkel a finalement imposé la prolongation de cette mesure jusque mi-février. En Pologne et en Grèce, les établissements scolaires viennent de rouvrir après deux mois d'éducation à distance. En francophonie en revanche (France, Belgique, Luxembourg, Suisse), il n’y a plus eu de fermeture totale depuis la première vague mais parfois un allongement des vacances.
Est-ce que la Belgique finira par rejoindre le camp des «confineurs»? Cela dépendra de l’évolution de l’épidémie. Pour l’instant, il est seulement question de débattre de l’obligation des masques pour les 10-12 ans. Pour le moment, cette classe d'âge en est dispensée. Même le plan d’action des experts du GEMS remis au comité de concertation ne prévoit une fermeture du primaire que dans l’hypothèse où la contagion serait hors-de-contrôle.
D’autres données pour trancher
Un dernier élément pourrait s’ajouter au débat et rebattre les cartes: de nouvelles études scientifiques. Il y a quelques jours, l’UCLouvain, l’ULB et l’ULiège se sont par exemple coalisées pour tester huit écoles de Belgique francophone toutes les semaines pendant six semaines. Une recherche inédite dans le pays pour déterminer si les écoles primaires jouent ou pas un rôle de moteur dans l’épidémie, surtout avec l’arrivée des variants.
Cette étude va aussi permettre d’éclairer une zone d’ombre sur le niveau de contagion au sein des moins 10 ans. «De façon globale, on ne teste les jeunes enfants que s’ils sont vraiment malades. Il y a donc clairement un sous-testing dans cette classe d’âge. Et il est certain que s’ils sont positifs, ils sont aussi vecteurs», note Yves Van Laethem. Il faudra plusieurs semaines voire des mois pour que les premiers résultats tombent.
Ouvrir: un mal pour un bien?
En attendant, le combat continue sur cette question. Comme dit plus haut, le consensus des pédiatres relativise cette importance des écoles dans l’épidémie. Toutefois, pour Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l'Institut de santé de l’Université de Genève, elles représentent, notamment via la cantine, un «haut-lieu de contamination» pour les virus respiratoires hivernaux. Il insiste aussi pour rappeler que les vacances scolaires sont très efficaces contre l’épidémie. D’après Yves Coppieters, les vacances de Noël ont d’ailleurs «contribué clairement au fait qu’il n’y a pas eu de reprise» en Belgique en janvier, malgré les contaminations des fêtes, même si cela n’a pas non plus permis une chute des chiffres.
Il n’y a qu’un point sur lequel tout le monde est d’accord: le coût social d’une fermeture des écoles pour les enfants. Le confinement augmente le taux de décrochage scolaire, tout comme les inégalités, sans oublier l’impact psychologique général. Un élément que n’oublie pas de rappeler Antoine Flahault, malgré ses inquiétudes sur l’épidémie. «Je suis tout à fait conscient que la fermeture des écoles a un impact social, éducatif. L'école est un droit fondamental de l'enfant. Donc je ne suis pas pour la fermeture des écoles. Je pense qu'il y a un jeu à somme égal que l'on peut faire aujourd'hui en troquant des vacances estivales, qui sont les grandes vacances et qui seront cette année peut-être plus courtes, au profit de vacances hivernales plus longues, qui permettront de soulager cette épidémie en ne mettant pas les enfants dans les écoles trop longtemps cet hiver», conclut-il lors d’une interview à Euronews.