Les mesures anti-covid sont-elles légales ?

Les trois ordres d'avocats belges tirent la sonnette d'alarme et s'insurgent contre une sorte de coup d'Etat législatif sur fond de situation d'urgence.

Belga

Il y a d'abord eu les représentants du monde académique, ensuite ceux de la société civile, cette fois-ci, ce sont les trois ordres d'avocats du pays (représentants quelque 18.500 professionnels dans les trois communautés) qui tirent la sonnette d'alarme dans une lettre ouverte publiée par Le Soir mercredi.

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« Dans un Etat de droit démocratique, ces restrictions temporaires doivent être décidées par le Parlement (…) Et donc pas uniquement dans les couloirs du ministère de l’Intérieur, aussi sages et savants soient leurs concepteurs, et aussi bonnes soient leurs intentions ».

Arrêtés ministériels, quel est le problème ?

Depuis près d'un an, l'Etat fait des lois en recourant aux arrêtés ministériels. C'est-à-dire des normes législatives qui sont prises directement par le gouvernement sans passer par le Parlement. Les arrêtés ministériels ont donc moins de valeur qu'une loi. Ils sont aussi moins démocratiques. D'habitude, les arrêtés ministériels viennent d'ailleurs plutôt parfaire une loi que s'y substituer.

Dans le cas Covid, le gouvernement se base sur une loi de 2007 pour faire ses arrêtés ministériels. Or, cette loi avait été adoptée pour une catastrophe industrielle, et non une crise aussi longue que la pandémie qui nous occupe depuis bientôt un an. Le problème n'est donc pas tant la légalité des mesures anti-Covid que le fait que la loi sur laquelle les arrêtés ministériels se basent n'est pas adaptée à la situation actuelle. D'autant que tous ces arrêtés sont pris dans l'urgence – normalement, on laisse trois mois au Conseil d'Etat pour valider une loi, mais depuis un an, celui-ci doit se prononcer dans les deux semaines et sous pression du politique.

En clair, la base juridique sur laquelle s'appuie les arrêtés ministériels n'est pas claire. L'urgence s'est installée dans le long terme et est devenue la norme. Bref, le problème qui se pose est celui du fonctionnement de notre démocratie depuis un an. Est-ce digne d'un Etat de droit ? Est-ce bien démocratique ?

Insécurité juridique

Concrètement, selon les auteurs de la lettre, l'absence de base juridique claire pour autoriser ces mesures anti-Covid pose plusieurs problèmes. Le premier est une application particulièrement disparate des sanctions. Une loi établit clairement le cadre dans lequel on applique une sanction. Ce n'est pas le cas d'un arrêté royal qui est donc sujet à des interprétations différente de la part des juges de police. « Pour les mêmes faits, tel juge inflige de lourdes amendes voire des peines de prison ; tel autre prononce l'acquittement, au motif que les règles et les sanctions sont dépourvues de base légale. Or, dans un Etat de droit, personne ne peut se voir infliger une peine si la loi n'incrimine pas les faits et si elle n'y attache pas une peine. A défaut d'une telle loi, le juge ne peut qu'acquitter le prévenu. C'est aussi simple que cela ».

Le deuxième est la qualité même de ces arrêtés ministériels qui s'ajoutent aux précédents, les contredisant parfois, au point d'avoir créé, sous couvert de l'urgence covid, une véritable usine à gaz juridique. Les auteurs de la lettre appellent ainsi les gouvernements du pays à un sursaut démocratique. « En démocratie, l'ordre social repose sur des règles et des procédures définies notamment par la Constitution et les traités européens ou internationaux ». Bref, tout cela crée une insécurité juridique et démocratique.

Belga

Réponse (timide) du gouvernement

La réponse du Premier n'a pas tardé. Dans une lettre (lui aussi), Alexander De Croo a annoncé des mesures pour préserver l'exercice démocratique. Il annonce ainsi la tenue d'un grand débat autour de la loi pandémie actuellement préparée par la ministre de l'Intérieur Annelies Verlinden. Une loi qui aura pour but d'encadrer les interventions des autorités publiques dans la crise actuelle, mais aussi dans les futures possibles pandémies.

Pour autant, le Premier n'entend pas arrêter l'utilisation d'arrêtés ministériels, tout simplement parce que l'urgence est toujours là, le virus n'est pas parti. Il promet néanmoins de communiquer les textes aux députés avant leur publication.

En somme, la grande annonce du Premier pour rétablir le pouvoir du Parlement n'est en réalité que le B.A.ba des prises de décisions dans une démocratie parlementaire en temps « normal »... Le Parlement aura l'occasion de s'exprimer sur des mesures liberticides prises par le gouvernement. De nombreux députés sont ainsi plus que dubitatifs quant à cette réponse de l'exécutif.

Seule innovation, la possible association de représentants de la société civile à ces discussions. Ce n'est pas M. De Croo qui l'a annoncé, mais c'est une idée qui circule parmi les parlementaires et les partis... Or, la crise du Covid a démontré une chose parmi d'autres, c'est le besoin de renouvellement de l'exercice démocratique. Pour éviter les théories du complot et la méfiance des citoyens, celui-ci nécessite plus de participation de la part de la société civile et des citoyens. Mais cela, le Premier n'en a pas dit mot.

 

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