
Le succès d’un nouveau confinement est-il garanti?

Ce mercredi, le comité de concertation a tranché: un renforcement des mesures sanitaires a été décidé. L'exécutif a ainsi en bonne partie rallié l'avis de nombreux experts qui réclamaient depuis plusieurs jours un confinement dur et court à la fois, à savoir pour 3-4 semaines. Le virologue Marc Van Ranst a lancé le premier l’idée, suivi ensuite par d’autres de ses collègues: Emmanuel André, Marius Gilbert, Erika Vlieghe, etc. Pourtant, tout le monde n'était pas d’accord. Certains épidémiologistes craignaient qu’un tel lockdown n’atteigne qu’en partie son objectif en raison du relâchement de la population vis-à-vis des règles sanitaires. Un point qui fait l’objet d’un grand débat.
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La nécessité d’agir
Du côté des partisans d’un confinement dur, on rappelle avant tout les chiffres de l’épidémie, et il y a de quoi faire peur. Tous les voyants sont au rouge ce mercredi 24 mars 2021. Par rapport à la semaine passée, les contaminations ont bondi de 40%, les hospitalisations de 28% et le taux de reproduction du virus monte à 1,17, contre 1,14 la veille (au-dessus de 1, l’épidémie s’accélère). Il y a actuellement 2.402 personnes hospitalisées à cause du Covid-19 dont 601 aux soins intensifs Seule note positive : l’augmentation des décès reste très limitée (+3,5% d’augmentation et 25,3 décès en moyenne sur une semaine), visiblement grâce aux vaccins. «Les chiffres sont comparables à ceux de début octobre, avant la deuxième vague», a prévenu ce mardi Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral Covid-19. Sur ce point, tout le monde est d’accord.
Pour une majorité d’experts, ce signal d’alerte ne peut vouloir dire qu’une chose: il est temps de confiner, et chaque jour compte. Après 3-4 semaines de lockdown, la stratégie de vaccination aura progressé et cela permettrait de déconfiner progressivement d’ici le début de l’été, un peu comme en 2020. Reste à savoir de quel lockdown on parle exactement. Dans le rapport du commissaire corona, il est surtout question d’opter pour la fermeture des commerces non essentiels et des écoles, le port du masque dans les lieux publics dès 10 ans, et le renforcement des contrôles du télétravail. Le groupe d’experts du GEMS propose de son côté un plan B plus dur encore, avec un couvre-feu étendu de 20 h à 5 h du matin et des lieux de loisirs fermés. Enfin, certains ont proposé l’option de l’interdiction des déplacements non-essentiels, mais cela fait plus débat car cela aurait vraisemblablement un effet négatif sur la motivation de la population à suivre les règles.
Une certaine opposition à un confinement strict et national
Finalement, le comité de concertation a opté pour un lockdown assez fermes mais pas au point de limiter les déplacements dans le pays. Il faut dire que cette question de l’adhésion des Belges a justement amené quelques experts à être carrément sceptiques sur les chances de réussite d’un nouveau confinement. C’est le cas d’Yves Coppieters qui craint que la contradiction avec le plan de déconfinement présenté en février par l’exécutif ne provoque une désaffection du public. «Le problème c'est de faire des allers-retours, les gens vont s'essouffler. Lorsqu'on décide d'une réouverture il faut l'assumer», déclare-t-il à La Libre. Selon lui, un nouveau lockdown serait donc d’être difficilement accepté. Même s’il reconnaît qu’une telle mesure serait bénéfique pour les courbes épidémiques, il redoute qu’après les trois semaines imparties, le relâchement ne soit si brutal que cela provoque un effet de yo-yo. Il préconise donc des mesures certes fortes (meilleurs contrôles dans les écoles et au télétravail notamment) mais pas un confinement strict.
Yves Coppieters est rejoint en ce sens par Herman Goossens, microbiologiste à l’Université d’Anvers (UA), avec une nuance. Il ne s’oppose pas de façon aussi radicale à un lockdown mais selon lui, il faut que cela soit régionalisé. «Un certain nombre de régions du pays s'en sortent mieux ou assez bien. Un lockdown sévère et complet pour tout le pays serait démotivant», explique-t-il à Het Laatste Nieuws. Finalement, le confinement choisi ce mercredi par le gouvernement sera à la fois assez sévère et national.
La motivation en baisse par rapport aux autres vagues
Contrairement aux autres confinements, l’adhésion de la population est donc cette fois un point crucial pour les experts. Yves Van Laethem résume ainsi la situation en reconnaissant la justesse des préoccupations des deux camps: «Le principe que défend Van Ranst n’est pas faux, reste à savoir ce qui est supportable pour la population».
Or ce mercredi matin, la Taskforce Corona et Psychologie a envoyé un mauvais signal. D’après son dernier rapport, les Belges sont beaucoup moins motivés à suivre les règles que lors des vagues précédentes. «Le soutien motivationnel est maintenant plus bas qu'en novembre et beaucoup plus bas qu'en mars de l'année dernière», analysent-ils. «Après un an de crise liée au COVID, la population n'accepte plus n'importe quelle restriction. Avec les experts, les citoyens ont développé une attitude critique quant aux mesures qui sont efficaces et celles qui n'ont qu'une valeur ajoutée limitée sur le plan virologique mais un grand impact psychologique».
Confiner pour... motiver?
Pour autant, est-ce que cela veut dire qu’un confinement est voué à l’échec, l’adhésion faisant défaut? C’est loin d’être sûr. Un renoncement du déconfinement «saperait la motivation», confirme le psychologue de la santé Omer Van den Bergh, l’un des membres de cette Taskforce. «Mais les chiffres croissants du Covid-19 encourageront également les gens à s'en tenir davantage aux mesures. Les deux effets peuvent s'annuler, mais cela maintiendra la motivation à un niveau bas».
Dans tous les cas, il insiste sur un point: le plus important pour motiver la population, c’est de donner des perspectives. Ici, tous les experts sont d’accord. C’est justement pour cela que de façon étonnante, le lockdown pourrait… revitaliser l’adhésion des Belges aux mesures. C’est l’avis du psychologue Maarten Vansteenkiste, également membre de la Taskforce Corona et Psychologie. Selon lui, un confinement «a l'avantage de la clarté», comme il l’explique à De Morgen. «Certaines personnes, aujourd’hui très convaincues des mesures, demandent simplement des règles plus strictes, selon notre enquête. Autrement dit: encore un effort collectif et puis on sort de l'impasse», analyse-t-il. D’après lui, toute la problématique de la réussite ou de l’échec du confinement tient dans le timing de l’adoption d’un confinement. «Si vous agissez trop tard, la situation sanitaire deviendra incontrôlable. Si vous le faites trop rapidement, vous risquez de perdre la population. C'est un équilibre délicat».
En l’état actuel de la situation, Maarten Vansteenkiste estime qu’il est temps de passer à des mesures strictes. «Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, cela ne va pas nécessairement démotiver la population. Les chiffres qui augmentent sans cesse, ça crée de l’angoisse. Et des mesures claires pour freiner cette augmentation aideront à calmer les craintes. Plus on traîne, plus la santé mentale se détériore», dit-il à Het Laatste Nieuws. Il remarque d’ailleurs que depuis quelques jours, la motivation remonte, probablement en lien avec la dégradation de la situation épidémiologique. 39% des Belges sont désormais «pleinement convaincus» par les mesures sanitaires. En février, cela tournait aux alentours de 25-35%. Mais Maarten Vansteenkiste prévient: si lockdown il y a, il serait dangereux d’établir aujourd’hui des dates de déconfinement car ne pas les respecter à l’avenir signerait le coup de grâce pour l’adhésion des Belges aux mesures.