
Jusqu’à quel point le déconfinement belge est risqué?

Ce 11 mai, le comité de concertation (Codeco) a acté une sorte de grand bond en avant dans la stratégie de déconfinement. Le 9 juin prochain, le plan intérieur entrera en application avec de nombreux relâchements sanitaires, dans l’horeca, le sport, la culture, etc. Puis au cours de l’été, d’autres assouplissements entreront en vigueur, comme avec les festivals. En somme, un programme très audacieux pour un retour assez rapide à une vie plus normale.
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En amont du Codeco, le GEMS (Groupe d'experts pour la stratégie de gestion du Covid-19) avait toutefois mis en garde le gouvernement: un déconfinement trop rapide pourrait faire repartir l’épidémie. Un avis plus ou moins balayé de la main par l’exécutif. Une partie des experts se montrent inquiets et rappellent les arguments invitant à la prudence. Mais même au sein de la communauté scientifique, d’autres sont loin de partager cette réserve.
Une situation en soins intensifs pas si inquiétante
Parmi ceux particulièrement optimistes, on trouve Yves Coppieters. Interrogé hier sur le plateau de la RTBF, l’épidémiologiste de l’ULB a très bien accueilli le plan de déconfinement. Il se montre confiant quant à la suite et n’estime pas que les assouplissements à venir soient exagérés, bien au contraire. Il juge même que cela aurait pu aller plus loin avec une reprise de la culture avant le 9 juin pour les activités «à moindre risque».
À ses côtés se trouvait Nathan Clumeck, professeur en maladies infectieuses au CHU Saint-Pierre. Lui aussi se montre peu inquiet, et ce notamment pour une raison: la situation en soins intensifs est loin d’être aussi alarmante que lors des deux premières vagues. «Les patients sont des gens plus jeunes qui résistent mieux et qui ont une survie liée à un séjour plus long dans ces soins intensifs», explique-t-il. «Ce que nous voyons actuellement, c’est que les soins intensifs sont en train de se vider de personnes qui sont là depuis 3-4 semaines, voire plus. Et ce que l’on voit, c’est que ça se vide d’un côté mais ça ne se remplit pas de l’autre parce qu’on est en train d’épuiser le réservoir des gens qui sont potentiellement à risque d’arriver aux soins intensifs», grâce à la vaccination.
Nathan Clumeck rappelle aussi que s’il y a une légère augmentation du nombre de cas de Covid-19, ce n’est pas forcément un mauvais signe. La grande majorité d’entre eux sont des jeunes qui risquent très rarement de finir à l’hôpital et en même temps, cela leur donne potentiellement une immunité naturelle pendant quelques mois. Bilan: si des personnes devaient encore arriver en soins intensifs, ce seraient surtout celles fragiles qui auraient refusé le vaccin, c’est-à-dire une part de plus en plus limitée de la population. Pour toutes ces raisons, Nathan Clumeck juge que le risque d’une quatrième vague est «potentiel» pas «sérieux», «même s’il faut être responsable, notamment à propos de la vaccination».
Une vaccination pas assez avancée et des variants trop menaçants?
Cet avis tranche avec celui de l'infectiologue Erika Vlieghe, la présidente du GEMS. Cette dernière juge qu’il faut être au contraire très prudent. Dans la nuit de lundi à mardi, elle a envoyé un courrier au gouvernement pour plaider la cause d’un déconfinement léger, comme le révèle La Libre, et elle ne manque pas d’arguments. Elle rappelle que la situation épidémiologique est encore préoccupante, avec des chiffres plus élevés qu’après les deux premières vagues.
Puis il y a le fait que seulement un Belge sur dix est entièrement vacciné. «Une grande partie de la population n'est toujours pas ou pas suffisamment protégée», dit-elle. «Des assouplissements successifs trop rapides couplés à un moindre respect des mesures peuvent donc donner lieu à des hausses de contaminations, comme cela a été montré dans plusieurs pays qui souffraient encore d’une forte vague d’infections pendant leur campagne de vaccination, par exemple. Israël, Chili...».
Mais ce qui l’inquiète peut-être encore plus, ce sont les variants. «Il est essentiel d'éviter une propagation de nouveaux variants à grande échelle en Belgique avant la fin de la campagne de vaccination. Par conséquent, nous considérons qu'il est risqué d'organiser des événements de masse à fort caractère international trop tôt», plaidait-elle avant-hier. Ce mardi, le gouvernement a pourtant édicté le retour des festivals dès le mois d’août, ouvrant la porte à la tenue du Pukkelpop et de Tomorrowland.
La balance des risques
D’autres experts se placent entre ces camps. Le virologue flamand Marc Van Ranst se dit par exemple optimiste tout en se montrant un peu angoissé vis-à-vis des variants. Une position partagée par Marius Gilbert. Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral pour le Covid-19, est lui aussi dans cet entre-deux. «Les assouplissements pour l'Horeca, la culture, l’événementiel... sont adaptés», dit-il à La Libre avant de tempérer sa position. «Par contre, concernant la possibilité de recevoir chez soi quatre personnes différentes tous les jours, je pense que c'est un assouplissement audacieux. Cela me semble beaucoup et trop rapide».
Yves Van Laethem se dit dès lors surpris, surtout vis-à-vis du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, connu pour sa prudence habituelle vis-à-vis du déconfinement. «Je ne m'attendais pas à ce qu'il accepte de lâcher autant la bride», confie le porte-parole interfédéral. En parallèle, le ministre s’exprimait sur RTL info a ce même propos. Il reconnaît notamment que le déconfinement tel qu’adopté ce mardi «entraine son lot de risques», assurant d’ailleurs qu’il n’a pas manqué d’en parler durant le Codeco. Il reste notamment très attentif au niveau des hospitalisations. «Même si je suis optimiste, il faut tenir compte de ce facteur et être capable d'assurer une trajectoire qui va dans la bonne direction», conclut-il.