
Quelles mesures anti-Covid sont efficaces? La science fait le point

Ce samedi 27 novembre, la Belgique a de nouveau serré la vis avec des mesures sanitaires supplémentaires. Le but: contrer la vague de contaminations qui atteint de nouveaux sommets, casser la hausse des hospitalisations et garder les décès à des niveaux faibles permis par les vaccins. Mais comme pour chaque nouvelle vague, la question se pose de l’efficacité de ces restrictions sur l’épidémie. Cela tombe bien, le British Medical Journal (BMJ) vient de publier ce mois-ci une vaste méta-analyse évaluant près de 70 études parues sur le sujet. C’est l’une des premières synthèses du genre. Le résultat de près d’un an et demi de crise et tout ça pour dire... qu’il reste encore beaucoup d’inconnues, même si quelques certitudes semblent quand même se dégager. En croisant cette synthèse avec d’autres études connexes, on fait ici le point sur l’efficacité des gestes barrières, des mesures visant les écoles, les lieux de travail, l’horeca et les commerces, et enfin les pass sanitaires.
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Les gestes barrières, et après?
Globalement, ce que l’on peut dire, c’est que les gestes barrières sont clairement efficaces. Le port du masque permet de réduire le taux d'incidence du Covid-19 de 53%. Idem avec le lavage des mains, -53%. La distanciation sociale est utile mais avec une chute moins marquée de l'incidence, -25%. Autrement dit, il ne serait pas étonnant que l’épidémie reprenne plus fortement et rapidement dans les pays ayant abandonné ces mesures de précaution, comparé à ceux qui ne l’ont pas fait.
Mais pour le reste, est-ce qu’infliger telle ou telle restriction à tel ou tel secteur est efficace ou pas? Malheureusement, il s’avère souvent difficile de répondre clairement à cette question. «À cause de l’hétérogénéité des études», cette méta-analyse ne permet pas de tirer des conclusions définitives sur plusieurs mesures comme la fermeture des frontières, des écoles et des lieux de travail. Elle donne seulement de premières indications.
Le problème, c’est qu’il s’avère très compliqué d'isoler l’impact d’une seule mesure. Pour cela, il faudrait idéalement étudier la propagation du coronavirus dans deux villes similaires en tous points hormis la mesure en question. Mais évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire. Cela amène à des conclusions parfois différentes d'une étude à une autre.
Un cas d’école
Un exemple l’illustre bien: celui des établissements scolaires. Une étude du Lancet et une autre parue dans Nature Scientific Reports ont conclu qu'il serait très efficace de fermer les écoles pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. C'était également l'avis des chercheurs des université d'Oxford et de Cambridge qui ont estimé l'efficacité des mesures durant la première vague de Covid-19. Mais en mars 2021, ces mêmes scientifiques britanniques ont fait de même avec la deuxième vague et cette fois-ci, la fermeture des écoles a représenté la décision la moins efficace. Pourquoi un tel écart entre les deux vagues? Les chercheurs jugent que l'application stricte des gestes barrières à l'école (masque, distance sociale, testing, aération, etc.) à la fin de l’année 2020 a visiblement permis de renverser la tendance.
Le respect de ces gestes barrières permettrait-il de sauver définitivement les écoles? Ce n’est pas si simple car ces études ont un défaut majeur. Depuis leurs réalisations, le très virulent variant Delta s’est invité dans l’équation et se répand particulièrement bien chez les jeunes (comparé aux anciennes versions du virus). Est-ce que respecter ces mesures de précaution à l’école serait toujours suffisant dans ce contexte? Impossible de répondre clairement à cette question dans l’état actuel des connaissances scientifiques.
La méta-analyse du British Medical Journal conclut sur une note mitigée. «De nombreux résultats d’études sur l’efficacité d’écoles ont montré que le risque de transmission dans l’environnement éducatif dépend souvent fortement de l’incidence du Covid-19 dans la société. Les fermetures d’écoles sont associées avec le plus de succès au contrôle du Covid-19 lorsque d’autres stratégies d’atténuation sont en place».
Un télétravail organisé?
Un autre exemple de cette incertitude latente concerne les lieux de travail. Pour les études du Lancet et de Nature Scientific Reports, imposer le télétravail est efficace pour lutter contre l’épidémie. Mais est-il nécessaire de vider totalement les bureaux?
Une étude française publiée en août dernier s'est penchée sur la question. Menée entre autres par le CNRS, le but était de savoir si pour organiser au mieux le présentiel sur le lieu de travail, il était plus efficace d’opter pour une stratégie d'alternance (tout le monde va au bureau en même temps et passe au télétravail le reste du temps) ou pour une stratégie de rotation (les travailleurs sont divisés en deux groupes qui se rendent au bureau à des moments différents). La conclusion est la suivante: la rotation est la meilleure option pour limiter l’exposition au coronavirus, surtout si elle se fait sur une base hebdomadaire et non quotidienne. Les chercheurs ont obtenu le même résultat dans les écoles adoptant cette stratégie.
Suffirait-il donc d’imposer ce télétravail rotatif pour contrer le Covid-19? Pas forcément car l’étude française précise que cette tactique ne marche que si l’étendue de l’épidémie reste limitée. Si le taux de reproduction du virus atteint le chiffre élevé de 1,7 (autrement dit, une personne infectée contamine en moyenne 1,7 personne), «aucune de ces stratégies, hormis le distanciel à temps plein, ne suffit à empêcher l'émergence d'un foyer épidémique». Si ce même indicateur se situe en-dessous de 1,38, imposer la rotation ou même l'alternance redevient vraiment utile. À titre d’information, ce taux de reproduction est actuellement en Belgique de 1,11.
La méta-analyse du British Medical Journal n’ose pas rendre un avis aussi détaillé sur le télétravail mais s’inscrit plus ou moins dans la même lignée. Selon elle, fermer totalement les entreprises est une mesure efficace mais cela «dépend d’une mise en œuvre précoce, lorsque les taux d’incidence du Covid-19 sont encore faibles».
Et les restaurants et les commerces alors?
En guise de bilan, la méta-analyse conclut en affirmant qu’un «lockdown total montre un effet protecteur en réduisant l’incidence de la transmission du Covid-19 et de la mortalité» mais qu’au vu de leurs coûts sociaux et économiques, «les fermetures partielles pourraient être une alternative, car l’efficacité associée peut être élevée, surtout lorsque ces mesures sont mises en œuvre au début d’une épidémie».
Précision importante: l’étude du British Medical Journal ne parle pas d’un secteur pourtant touché de plein fouet par les mesures sanitaires: les commerces et les restaurants. Pour savoir ce qu’il en est ici, il faut se reporter aux études des chercheurs d'Oxford et de Cambridge. Que ce soit lors de la première ou de la deuxième vague de coronavirus, leur conclusion était la même. L'efficacité des restrictions dans ce secteur dépend du nombre et du type d’établissements fermés. Le plus probant, ce serait de se concentrer sur les discothèques, les restaurants et les bars, ainsi que les métiers de contact. Un constat logique vu que les lieux où se produisent le plus de contaminations sont les bars et les boîtes de nuit (au même titre que les soirées privées), comme le précise une étude de l’Institut Pasteur publiée cette semaine. Il est par contre moins utile de confiner les établissements de loisir. Enfin, fermer tous les commerces, les restaurants et les bars en même temps représente la mesure la plus efficace contre l’épidémie, devant l'interdiction des rassemblements.
Au vu de ces éléments, la fermeture des discothèques et l’interdiction des réceptions privées (hormis pour les mariages, les funérailles et les locations de gîtes) édictées par le dernier Codeco peut faire sens (même si pour rappel, ces études ne donnent que des indices sur ce qu’il vaut mieux faire, pas des certitudes). Idem pour la décision de fermer les bars à 23h puisque le gros de leur chiffre d’affaires se fait après 22-23h. Ce sont ainsi les trois lieux épinglés par l’Institut Pasteur qui sont visés. Par contre, pourquoi imposer la même restriction horaire aux restaurants ou encore aux night shops? Ces derniers ne sont pourtant pas du tout pointés du doigt par la fondation française (pour les restaurants, il y a encore un doute vu que l’étude a eu lieu en été, lorsque les clients étaient souvent en terrasse). Est-ce plutôt pour éviter une concurrence déloyale vis-à-vis des bars? Le Codeco ne l’a pas précisé.
Renforcer les gestes barrières, oui, mais attention aux pièges
Le mieux évidemment, c’est de trouver des alternatives à ces fermetures. En ce sens, les autorités comptent de plus en plus dans l'application stricte de mesures de précaution comme un port du masque élargi. Cela se voit avec le CST+ belge où le masque s’ajoute à une preuve de vaccination, de guérison ou de test négatif. Améliorer la ventilation est également une bonne idée puisque le Covid-19 se transmet surtout par les aérosols et les gouttelettes expulsées lors de la respiration. Pas étonnant d’ailleurs que l’épidémie se manifeste surtout en hiver, lorsque l’on se replie dans des intérieurs souvent mal aérés.
#COVID19 | Des microgouttelettes invisibles à l'œil nu restent en suspension dans l'air et peuvent transmettre le virus.
💨N'oubliez pas : aérer est aussi un #gestebarrière ! pic.twitter.com/aMzbDweYOO
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@Sante_Gouv) October 14, 2021
Mais attention: il y a des pièges. Comme le note le New York Times, plusieurs études ont par exemple remarqué que les plexiglas peuvent être de faux amis. Certes, ils permettent de bloquer l’infection via les gouttelettes mais pas les aérosols qui peuvent persister plusieurs minutes en suspension et contourner cette protection, sans oublier une propagation facilitée pour les autres personnes situées du «mauvais» côté du plexiglas (comme les clients d’un magasin). Pire: les plexiglas empêchent le bon renouvellement de l’air, ce qui peut être vraiment problématique quand ils sont nombreux (à l’instar de certaines écoles nord-américaines). D'après les experts interrogés par le quotidien américain, pour être réellement efficaces, le placement de ces plexiglas doit soit se faire avec l'aide d'un spécialiste étudiant la circulation de l'air dans un lieu donné, soit isoler totalement la personne protégée (à l'instar des chauffeurs de bus, des caissiers des banques, etc.).
Autre mauvaise idée: accorder trop d’importance au nettoyage des surfaces tout en oubliant le problème des aérosols. Un rapport du Centre américain de contrôle des maladies (CDC) publié en avril 2021 note en effet que le risque d'être contaminé au Covid-19 par contact avec des surfaces n'est que de 1 sur 10.000. Autrement dit, pour chaque contact avec une surface contaminée, il n’y a une «chance» sur 10.000 d'attraper la maladie. Ce risque est si faible que Tara Kahan, chimiste de l'atsmophère et professeur à l'Univeristé de la Saskatchewan, se demande «si les avantages [du nettoyage pour lutter contre le coronavirus] l'emportaient sur les risques». Elle explique en effet à Radio Canada que l'exposition à long terme aux produits d'entretien (il n'est pas question ici de gel hydroalcoolique) peut causer des ennuis de santé comme une plus haute incidence de maladies respiratoires. Or justement, depuis le début de la crise sanitaire, la mauvaise utilisation de ces produits a augmenté, comme l'attestent les centres antipoison.
La question des pass sanitaires
Comment conclure sans parler de la clé de voûte des mesures sanitaires depuis l’été, les pass sanitaires? Mais jusqu’ici, les études manquent pour juger de leur impact, probablement à cause de leur apparition plus ou moins récente. S’il est déjà difficile de comparer les mesures sanitaires entre elles, il est ici carrément impossible de savoir si un CST est par exemple plus efficace que la fermeture de tel ou tel secteur par exemple.
À première vue, puisque les personnes vaccinées ou guéries du Covid-19 bénéficient de leurs anticorps, la possibilité qu’elles attrapent la maladie et la transmettent est amoindrie. Le coronavirus devrait donc moins facilement circuler là où un pass sanitaire est requis. Mais ça, c’est en théorie. Le premier problème, c’est que les études ont montré que l’efficacité du vaccin contre les infections baisse fortement avec le temps. Et avec le variant Delta, c’est encore pire. Certes, ils restent utiles pour éviter les formes graves (d’où le faible nombre de décès dans les pays très vaccinés) mais dans le cadre des pass sanitaires, cela peut créer un faux sentiment de sécurité. En baissant la garde, les détenteurs d’un CST pourraient participer à la propagation de l’épidémie sans s’en rendre compte.
Mais évidemment, en l’absence d’étude, difficile de savoir ce qu’il en est réellement. Les bons côtés du CST l’emportent-ils sur les mauvais? C’est la grande question. On peut cependant noter qu’avec le CST+ (où le port du masque reste obligatoire), le gouvernement belge compte justement limiter les effets pervers de cette mesure. Globalement, on peut dire que ces pass représentent un outil de lutte contre le Covid-19, mais pas la panacée.
A new version with colour & division inspiration from @uq_news and strict mouse design oversight by @kat_arden (ver3.0).
It reorganises slices into personal & shared responsibilities (think of this in terms of all the slices rather than any single layer being most important) pic.twitter.com/nNwLWZTWOL— ɪᴀɴ ᴍ. ᴍᴀᴄᴋᴀʏ, ᴘʜᴅ 🦠🤧🧬🥼🦟🧻🧙♂️ (@MackayIM) October 24, 2020
Enfin, les pass sanitaires ont un intérêt tout autre: inciter à la vaccination et donc éviter de probables hospitalisations et décès. Dans certains pays, cela a marché, avec une hausse significative du taux de vaccination après l’imposition d’un pass. C’est le cas en France, en Italie ou encore en Suisse. Dans d’autres, ce succès est beaucoup plus mitigé voire inexistant, comme en Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi cette différence? Peut-être par manque d'intérêt, ou par conviction de ne pas se faire vacciner. «Il est difficile de comparer les populations», a déclaré à ce sujet Niko Speybroeck, épidémiologiste à l’UCLouvain. En Belgique, sur les trois derniers mois, le nombre de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin n’a grimpé que d’environ 3% pour atteindre aujourd’hui 76,6%.