On leur a fermé les soins intensifs à cause du Covid-19

Cancers détectés trop tard, maladies mentales laissées pour compte, opérations reportées plusieurs fois: les hospitalisations liées au Covid malmènent la santé générale de la population.

un patient covid en soins intensifs
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Tous les soins non urgents ont à nouveau été reportés de deux semaines pour faire face à la nouvelle vague épidémique. Parmi eux figurent les activités faisant appel aux soins intensifs mais qu’il est possible de reporter, ainsi que les hospitalisations classiques et les activités de jour en chirurgie ne faisant pas appel aux soins intensifs. Selon Marcel Van der Auwera, du Comité Hospital & Transport Surge Capacity, le système des soins de santé se trouve désormais sur une pente glissante. Pour le ministre de la Santé, c’est un sujet d’attention de tous les instants. Plusieurs fois par jour, il est tenu informé de l’évolution dans les soins intensifs de tous les hôpitaux. “La moitié des lits aux soins intensifs sont réservés au Covid, donc des opérations lourdes au cerveau ou au cœur, nécessitant des soins intensifs, doivent être reportées. En cas d’accident de la route, s’il n’y a pas de place, l’hôpital le plus proche doit transférer vers un autre. Ces transferts ont lieu tous les jours pour le moment. Il ne faudrait pas que ça s’aggrave. Il faut que le nombre de cas Covid dans les hôpitaux diminuent pour que les hôpitaux puissent retravailler normalement”, explique la porte-parole de Frank Vandenbroucke (Vooruit). Les transferts en urgence de patients sont des bricolages souvent peu confortables pour les patients qui les subissent. Quant aux reports de soins, il n’existe pas de statistiques officielles mais chaque vague a obligé les hôpitaux à se tourner vers cette solution.

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On est cependant loin aujourd’hui de la fermeture de tous les soins observée dans un premier temps au début de la pandémie. “Avec le temps, on a développé une vision réaliste à une semaine, mais c’est un travail difficile. L’expérience acquise est de ne jamais remplir toute l’unité de soins intensifs. Je garde toujours quelques places”, explique Manfredi Ventura, directeur du Grand Hôpital de Charleroi. Les reports de soins mettent tout de même mal à l’aise. “Du point de vue du patient qui s’est préparé à une intervention, c’est toujours urgent. En reportant, on réduit sa qualité de vie. On a dû fermer notre laboratoire du sommeil. On n’opère plus les patients obèses par chirurgie bariatrique parce qu’on a besoin des soins intensifs. Ils peuvent développer un diabète entre-temps. Des gens, par peur d’aller à l’hôpital, ont retardé leur dépistage. On a été confrontés à des cas de cancers du sein dans un état avancé. Des gens sont restés avec un infarctus chez eux. On est sur la corde raide.” Cependant, Manfredi Ventura insiste sur le fait que la qualité des soins n’a pas été dégradée.

une membre du personnel aux soins intensifs

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Un triple pontage n’est pas du confort

Impossible de faire mieux pour les patients non-Covid. “L’absentéisme est plus important qu’en 2019. Le personnel n’en voit pas la fin. Les soins sont très lourds pour les cas Covid qu’on doit intuber et durent quatre ou cinq semaines sans qu’on sache si on va sauver la personne. Les soins intensifs tournent à plein régime depuis un an et demi. Le personnel n’en peut plus, les patients Covid sont souvent obèses et non vaccinés. Cela commence à déranger le personnel qui est fatigué”, témoigne le directeur carolo. “Il faut 25 % de personnel en plus pour s’occuper des patients Covid qui nécessitent plus de soins. Or il manque 120 infirmières sur toute la province. Nous sommes en difficulté. On a dû reporter toutes les interventions chirurgicales non urgentes mais nécessitant une hospitalisation comme les prothèses de hanche, de genou, les opérations de la prostate ou la chirurgie plastique. Ces reports ne sont pas médicalement dangereux”, ajoute Pascal Pierre, directeur général aux affaires médicales du réseau Vivalia dans la province de Luxembourg. Et d’ajouter que “lors de la première vague, il y a eu des ratés. Toute la médecine ne peut pas se faire en téléconsultation”.

En fait, il y a pire. Les Directions médicales du Centre hospitalier régional Sambre & Meuse, du CHU UCL Namur et de la Clinique Saint-Luc Bouge lancent ainsi un véritable cri d’alarme. “Dans le contexte actuel de cette quatrième vague où de très nombreux patients Covid nécessitant des soins intensifs sont des patients ayant fait le choix d’être non vaccinés, la priorisation absolue qui semble être donnée aux patients Covid au détriment d’autres patients graves doit faire l’objet d’un réel débat éthique avec toutes les parties concernées.” Les interventions lourdes nécessitant des soins intensifs sont aujourd’hui, et à nouveau, toutes annulées. “Ces interventions ne relèvent jamais d’une médecine “de confort” mais ont toujours un caractère vital. Reporter un triple pontage coronaire met la vie du patient concerné en danger en l’exposant au risque d’infarctus. Reporter une exérèse chirurgicale lourde d’une tumeur non métastasiée expose le patient au risque de dissémination”, dénoncent les directions namuroises qui fustigent le fait qu’aucune des circulaires n’a précisé ce qu’étaient les “soins urgents et nécessaires”, faisant porter la responsabilité éthique et juridique sur les médecins chefs, les directions générales et directions des départements infirmiers.

Un choc à long terme

Les enquêtes menées par Sciensano rapportent que lors du premier confinement, 90 % des rendez-vous de revalidation ont été annulés et 25 % des rendez-vous chez le médecin généraliste. Au second confinement, ces reports s’élevaient encore à 30 % pour revalidation et 4 % pour le médecin généraliste. Le report de soins n’est pas un phénomène neuf. Solidaris le quantifie année après année. Près d’un Wallon ou Bruxellois sur deux a annulé un rendez-vous médical en 2021, chez un dentiste, un spécialiste ou un psychologue, notamment. Généralement pour des raisons financières ou par peur de se présenter devant le personnel médical, un phénomène que la crise du Covid a accentué en véhiculant beaucoup de messages anxiogènes à l’idée de franchir la porte d’un hôpital ou même celle de son généraliste.

une patiente aux soins intensifs

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Les reports de soins ont entraîné des baisses de qualité de vie de patients, et sans doute aussi des morts même si aucun chiffre ne le certifie. “Tout l’excès de mortalité en 2020 par rapport aux moyennes habituelles est lié directement ou indirectement au Covid. Les effets de stress et d’isolement peuvent par exemple avoir conduit à des suicides. Il est cependant difficile dans les chiffres de déterminer les conséquences mortelles ou non des reports de soins”, explique Sandy Tubeuf, économiste de la santé de l’UCLouvain. “Je pense cependant que les conséquences qu’on voit aujourd’hui ne sont que la pointe d’un iceberg. On parle peu par exemple des essais cliniques pour trouver de nouveaux traitements qui se sont arrêtés à cause de la surcharge. Sur le long terme, on peut avoir un choc”, s’alarme l’experte.

Renforcer la première ligne

Jean Macq, professeur de santé publique à l’UCLouvain jette un regard sévère sur la situation. “Aujourd’hui, on n’a pas le choix sinon de reporter des soins. Mais on peut éviter ça dans le futur alors qu’il est fort probable que le Covid a aggravé l’état général de santé de la population. À l’avenir, cette situation continuera avec une population vieillissante et donc de plus en plus de maladies chroniques. Avec cette crise, on a développé une vision tubulaire. On regarde tout à travers le prisme du Covid. On focalise donc sur les soins intensifs et la surcharge des hôpitaux. On oublie les autres problèmes de santé qui sont beaucoup plus importants que le Covid sur le long terme.” Cette crise aiguë survient sur un problème chronique, mais le phénomène doit être pensé globalement et sur le long terme. “Il faut sortir d’une vision myope de quelques mois. On peut désormais penser qu’on va devoir vivre avec cette situation sanitaire plusieurs années.” Il faut travailler sur la première ligne de soins et pas seulement sur les hôpitaux, suggère Jean Macq, qui propose de développer le travail du médecin généraliste mais aussi celui des pharmaciens, des kinés, des psychologues et même des dentistes dans une certaine mesure. Certes. Mais est-ce cela qui sauvera un patient d’un infarctus aujourd’hui?

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