Maisons de repos: comment repenser le modèle

À l’heure du papy-boom, bien vieillir devient un enjeu essentiel. Mais on est encore très loin du Danemark qui a fermé ses maisons de repos pour faire de ses aînés les plus heureux de la planète.

maison de repos
La taille des structures importe. Trop grandes, elles nuisent aux relations. © Getty Images

Par les temps qui courent, on n’est plus certain de grand-chose, si ce n’est du tsunami que représente le vieillissement. Or, c’est du chacun pour soi. C’est une privatisation larvée sans approche en termes de qualité de vie”, dénonce Jean Hermesse, l’ancien patron des mutualités chrétiennes qui a fait du papy-boom un de ses grands sujets de préoccupation. En 2030, les plus de 85 ans seront 368.000. En 2050, ils seront 750.000 et coûteront 22 milliards de dépenses pour leurs pensions et soins de santé, soit 5 % du PIB supplémentaires. “Il faut dire la vérité. Il faudra un effort de solidarité et un pacte entre générations”, plaide Jean Hermesse. Car les très âgés sont plus souvent dépendants. Mais ils ne cherchent pas qu’à subsister. Ils veulent aussi une qualité de vie. “Sauf qu’on arrive à une privatisation du secteur. On va devoir se battre pour avoir une place en maison de repos dont le coût sera plus élevé que la pension. Et si on continue à promouvoir le modèle des maisons de repos, les projections ­montrent qu’il faudrait construire une maison de repos de 90 lits toutes les deux semaines jusqu’en 2050. Et trouver du personnel. Là on est complètement dans le lac.” Avec cinq équivalents temps plein infirmiers et cinq équivalents temps plein aides-soignants pour trente résidents, on manque déjà de bras, dénonce Jean Macq, expert en santé publique à l’UCLouvain.

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Les maisons de repos sont massivement encore conçues sur le modèle des hôpitaux alors qu’elles devraient être des lieux de vie. “En plus, ces der­nières années, on a beaucoup fusionné des plus petites structures, ce qui ne favorise pas le sentiment de vivre chez soi”, souligne Jean Macq. L’architecture, la décoration, la possibilité de personnaliser les lieux sont importantes pour se sentir bien. Ikea avec son slogan “Si bien chez soi” a compris cela bien mieux que les maisons de repos. Les besoins des âgés vont bien plus loin encore. Sans s’en rendre compte, le personnel parle trop souvent devant les personnes comme si elles n’existaient pas, en invoquant souvent un manque de temps. “Or, quand on parle aux personnes, on évite des problèmes qui prendront encore plus de temps par la suite”, souligne Stéphane Adam, responsable de l’Unité de psychologie de la sénescence à l’ULiège.

C’est essentiel aussi de se sentir utile à tout âge. Or, avec les aînés on est tout le temps dans des activités de soins, d’occupation, des ateliers artificiels. On est dans le “que pouvons-nous vous apporter?” alors qu’on devrait être dans le “que pouvez-vous m’apprendre?”. “Si vous partez d’eux, les gens participent beaucoup plus.” Les aînés ont besoin d’exister en tant que personnes. S’ils ont le sentiment que le personnel les connaît, c’est un gage de ­qualité de vie. Se connaître, c’est surtout échanger dans les deux sens. “Ce qui est important, c’est de parler de soi, de ce qu’on vit et pas seulement ­questionner la personne âgée sur elle-même. Les freins à cette dimension relationnelle, c’est entre autres la taille des structures. S’il y a 150 résidents et 100 ­professionnels, ça tue les relations. Personne ne ­connaît personne. Avec des unités de vie de 15 résidents, on forme une petite famille, ce qui permet de s’adapter à chacun”, poursuit Stéphane Adam.

Le droit de se lever à l’heure qu’on veut

Vieillir heureux, c’est garder un certain contrôle de sa vie. Un veuf voulait ainsi conserver un rituel qu’il avait avec sa femme, boire un petit porto tous les soirs. Un souhait qui a été regardé de travers dans sa maison de repos où beaucoup est jugé sous l’angle médical: pas trop de sel, pas trop de café, pas d’alcool… Le plaisir reste une notion essentielle jusqu’à la fin de la vie. Et cette notion est très personnelle. Mais en maison de repos, on a tendance à traiter tout le monde sur le même pied. “C’est pourtant important de ­proposer un accompagnement individualisé par rapport à ses propres aspirations. Par exemple, chacun se lève le matin à une heure qui lui est propre. Ce n’est pas à la personne à s’adapter au système mais au système à s’adapter. Continuer à pouvoir faire des choix jusqu’à la fin, c’est primordial.

vieillir heureux

En 2030, la Belgique comptera 368.000 personnes âgées de 85 ans ou plus. © BelgaImage

C’est ce qui est développé dans le modèle Tubbe, importé de Suède et promu à travers des expériences pilotes de plus en plus nombreuses dans des maisons de repos dans notre pays. Les per­sonnes peuvent choisir leurs activités, ce qu’elles mangent, comment elles vivent. Une étude menée aux États-Unis a montré que les résidents qui ne peuvent plus faire aucun choix s’éteignent au bout de trois semaines et un an et demi plus tard, 30 % d’entre eux décèdent alors que s’ils ont leur mot à dire, il n’y a que 15 % de décès après le même laps de temps. Pour que de réels changements s’opèrent, le personnel des maisons de repos devrait être formé. À l’heure actuelle, 4 % à peine des formations portent sur les personnes âgées et elles se concentrent sur des savoirs et des techniques. Pas du tout, par exemple, sur la ­communication empathique. Autre paradoxe: alors que les personnes âgées sont plus heureuses que le reste de la population, elles reçoivent plus d’anxiolytiques et d’antidépresseurs. Pour ­Stéphane Adam, c’est lié au contexte de l’âgisme et du fait qu’on a tendance à trop associer le vieillissement à la tristesse et la dépression. “Le médecin n’a que des médicaments dans sa boîte à outils. S’il s’intéressait plus à la personne, il pourrait plutôt prescrire de s’inscrire à une chorale, un club ou toute autre activité sociale”, signale Jean ­Hermesse. En attendant, ces médicaments ­coûtent cher à la sécurité sociale et génèrent des effets secondaires, notamment en raccourcissant la vie. Une étude menée en 2020 aux États-Unis montre que 15,4 % du budget de la santé est lié à l’âgisme, c’est-à-dire à des préjugés sur l’âge. “Il faut privilégier les approches non médicamenteuses. Or on médicalise énormément le vieillissement. Dans les maisons de repos on engage peu de psycho­logues, par exemple.”

En fait, la majorité des personnes (90 %) pré­fèrent vivre chez elles, en restant en lien avec leur famille. On s’inquiète souvent de leur solitude dans ce cas. En réalité, le bonheur augmente avec l’âge de même que le sentiment de lien. “La taille du réseau social diminue avec le temps, mais sa qualité augmente. Par contre, en maison de repos, 63 % des personnes se sentent modérément seules et 35 % ont même un sentiment sévère de solitude”, rapporte Stéphane Adam. Le problème est que transformer son habitation pour y rester a un coût élevé. Parfois, ce n’est même pas possible. Il n’y a pas de solution miracle pour tous les aînés. Il s’agit de concevoir une panoplie de possibilités. “Ce qui caractérise le vieillissement, c’est l’hétérogénéité. Chacun vieillit différemment. À 60 ans, on peut sembler en avoir 80, et inversement”, ­souligne Stéphane Adam.

Bricolages et dames de compagnie

Le Danemark, depuis longtemps, a fermé ses maisons de repos pour les remplacer par des ­petites unités conviviales ou des soins à domicile. Des bénévoles s’activent. Une permanence télépho­nique fonctionne de jour comme de nuit. Une ­politique sportive réservée au troisième âge est proposée ainsi que des ateliers pour les stimuler intellectuellement. Tous les services sont gratuits et personnalisés pour les plus de 75 ans vivant à domicile. Ils sont financés par un impôt local sur le revenu. Les aînés danois sont considérés comme les plus heureux de la planète. Et chez nous? Un marché de dames de compagnie fleurit. Elles ­viennent essentiellement des pays de l’Est et ­viennent à demeure. Quand elles sont déclarées, leur présence coûte entre 2.200 et 2.400 euros et au noir, entre 1.200 et 1.300 euros par mois. D’autres aînés vont s’établir à l’étranger, par ­exemple en Thaïlande où le ­montant de leur ­pension leur permet de vivre confortablement. Quelques habitats groupés intergénérationnels se sont implantés ainsi que des habitats “kangourou” où la personne âgée dédie à de plus jeunes une partie de son habitation. Ce sont aussi des solutions.

Chaque commune devrait avoir une politique des aînés car il s’agit aussi de créer des rues partagées où chacun a sa voie et des parcs publics qui invitent à bouger et à se rencontrer. Il faut créer de l’entraide et de la solidarité pour que le ­médecin ne soit pas la seule personne qu’on peut appeler quand, par exemple, il faut rallumer le convecteur à gaz. Jean Hermesse note encore au passage une astuce belgo-belge qui complique une politique bien conçue: les soins à domicile sont remboursés par le fédéral tandis que les soins résidentiels le sont par les régions. Tout ça n’aide pas à avancer. Donner des années à la vie, notre société y est parvenue. Mais pour ­donner de la vie aux années, il y a encore du ­chemin à faire.

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