L'effet Einstein: comment des scientifiques isolés propagent des fake news

Une étude de Nature, relayée par Emmanuel André, pointe l'influence énorme des scientifiques qui propagent des fake news.

Statues de Didier Raoult
Petites statues du controversé médecin Didier Raoult, à Marseille le 20 novembre 2021 @BelgaImage

Avez-vous déjà entendu parler de l'«effet Einstein»? Peut-être pas et c'est justement pour cela que le virologue Emmanuel André a pris la parole ce mardi sur Twitter. Dans une série de messages, il met en garde contre l'accointance entre certains scientifiques et des mouvements de désinformation. Une alliance fortuite qui peut berner facilement le public, d'où le phénomène surnommé d'après le célèbre physicien du XXe siècle. La semaine dernière, une étude a d'ailleurs été publiée sur le sujet dans la prestigieuse revue Nature. L'occasion de faire le point sur cet effet auquel tout le monde est susceptible d'être soumis.

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Quand des scientifiques se fourvoient dans les fake news

Dans ses tweets, Emmanuel André tâche de résumer le contenu de ce nouvel article. «Il n'aura échappé à personne que les mouvements qui promeuvent la désinformation utilisent souvent comme figure de proue des personnes qu'elles présentent comme de 'brillants scientifiques'. La raison est simple: les populations donnent plus de crédit à des théories (mêmes erronées) quant elles sont portées par des personnes présentées comme scientifiques que quand elles sont soutenues par des 'gourous'. C'est l'effet 'Einstein'», explique-t-il.

«Il y a une certaine forme de 'win-win' entre ces mouvements de désinformation et ces scientifiques isolés: les propagateurs de fake news redorent artificiellement l'image de ces 'scientifiques' en échange d'un service de 'porte drapeau' de leurs théories. C'est de cette manière que certains 'scientifiques' déchus de toute crédibilité auprès de leurs pairs ont été remis à la lumière par les mouvements complotistes. Et c'est ainsi qu'on a vu au fil du temps défiler un médecin affirmant que les masques allaient nous étouffer dans notre CO2, une généticienne hurler que les vaccins nous rendraient stériles ou un microbiologiste druidique empêtré vendre les mérites d'un traitement ubuesque», précise le virologue belge, en faisant possiblement référence à Didier Raoult ou encore à Alexandra Henrion-Caude.

«Ces porte-drapeaux de théories bancales ont connu cette douce illusion d'une reconnaissance tant espérée. Ils sont devenus les dieux éphémères de réseaux sociaux en recherche d'explications faciles, mais ils n'ont été que les poupées de mouvements irrationnels et transitoires», ajoute-il. «Mais être scientifique, c'est surtout savoir que l'on apprend tous les jours et reconnaître l'abyssale distance qui existe entre ce que l'on sait et ce qu'on ne sait pas encore. Et avancer prudemment en acceptant que l'on va inévitablement devoir corriger et s'adapter».

Des non-sens jugés crédibles quand affirmés par un scientifique

Dans le cadre de l'article de Nature, les auteurs de l'étude ont créé de toutes pièces des déclarations pseudo-scientifiques à l'aide d'un algorithme, le New Age Bullshit Generator. Ils ont ensuite présenté ces assertions à 10.195 individus venus de 24 pays différents et de niveaux de religiosité variés pour voir s'ils y croyaient ou pas. Une même phrase pouvait être attribuée à un scientifique dans certains cas, et à d'autres moments à un gourou spirituel (non identifié à une religion spécifique).

Résultat: qu'importe l'origine et l'attachement religieux de la personne, «le charabia d'un scientifique était considéré comme plus crédible que le même charabia d'un gourou spirituel». Le premier était cru par 76% des participants, là où le deuxième ne recueillait «que» 55%. Le gourou était plus populaire auprès des personnes très religieuses, mais toujours moins que le scientifique. «D'un point de vue évolutif, la déférence envers les autorités crédibles telles que les enseignants, les médecins et les scientifiques est une stratégie adaptative qui permet un apprentissage culturel et une transmission des connaissances efficaces. En effet, si la source est considérée comme un expert de confiance, les gens sont prêts à croire les affirmations de cette source sans les comprendre pleinement», expliquent les chercheurs.

Il n'empêche, le gourou est quand même cru par un bon nombre de personnes. Un constat que les auteurs de l'étude ont analysé en détail et qui a été théorisé sous le nom d'«effet gourou». Il s'avère ici que lorsqu'une déclaration devient incompréhensible, certains chefs spirituels arrivent à faire croire n'importe quoi. «En l'absence de moyens d'évaluer rationnellement une affirmation et d'informations de source fiables, les gens en déduisent probablement la crédibilité sur la base de croyances sur le groupe auquel appartient la source. Dans ce processus, les similitudes entre une vision du monde et celle du groupe de la source peut servir d'indicateur pour être une source bienveillante et fiable».

Les chercheurs voient les effets Einstein et gourou se concrétiser de multiples façons dans la réalité. Ils citent par exemple les publicités pour des produits cosmétiques qui se disent «cliniquement prouvées» et «recommandées par les dermatologues» alors qu'il n'en est rien, ou l'industrie du tabac qui tente de recourir à la science pour appuyer ses ventes. Les auteurs invitent notamment à se pencher sur la question de savoir si une meilleure éducation scientifique pourrait aider à lutter contre ces phénomènes, même s'ils précisent que «ceux qui croient en la science sont sujets aux effets Einstein».

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