
Le Covid a-t-il ruiné notre système immunitaire?

Un jeudi soir d’entraînement dans un club de foot du Brabant wallon. Une épidémie de grippe a dévasté l’équipe, et les joueurs cherchent le patient zéro. Au fil des discussions, beaucoup se rendent compte que depuis quelques mois, ils enchaînent les soucis de santé, importants ou non. Rhume, gastro, pneumonie... À chaque fois, les tests négatifs au Covid leur ont confirmé que d’autres maladies recommençaient à tourner. Pour ces immunologistes du dimanche, la raison est simple: la pandémie et ses gestes barrières ont ruiné notre immunité. Et maintenant, on chope tout ce qu’on croise.
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La théorie est tentante et nous avons décidé de la confronter aux connaissances d’une vraie immunologiste. Sophie Lucas en est une, professeure et présidente de l’Institut de Duve à l’UCLouvain. Mise face à cette prétendue perte d’efficacité de notre système immunitaire après deux ans quasi sous cloche, elle ne tarde pas à réduire en cendres les impressions des footeux apprentis médecins. “C’est vraiment une impression”, sourit-elle d’emblée. Et pourtant, on l’entend dans sa voix, elle aussi est malade. “Je n’avais plus fait d’infection respiratoire depuis deux ans et demi, probablement parce que j’avais modifié mon comportement. J’ai eu la chance de ne pas avoir le Covid et je n’ai rien eu d’autre. Mais là, j’ai chopé un rhume et c’est vrai que je vis cela de manière beaucoup plus intense qu’avant, quand j’en faisais un tous les trois-quatre mois. Mais en fait, maintenant qu’on recommence à voir des gens et à enlever les masques, cela repart comme avant, ni plus, ni moins.”
Malgré le rhume de notre experte, les hypothèses d’une baisse de notre immunité ne résistent donc pas à la réalité. “Sur le plan immunologique, il n’y a pas de raison de penser que le fait de ne pas avoir été exposé à des virus a diminué notre résistance face à eux. D’autant qu’on parle d’une catégorie de virus assez restreinte, ceux qui se propagent par voie aérienne, dont on s’est protégé durant deux ans. On est toujours resté exposé à ceux qui se transmettent par l’alimentation par exemple. En résumé, il n’y a pas de raison fondamentale de voir son immunité s’affaiblir parce qu’on diminue, de manière extrêmement relative d’ailleurs, son exposition pendant quelque temps à ces virus respiratoires.” Le fait d’avoir eu le Covid peut-il cependant avoir un impact? “Non. Dans la littérature et parmi le personnel soignant, il n’y a aucun signal d’alerte qui pourrait faire penser qu’avoir fait un Covid augmenterait les risques d’une infection par une autre maladie.” Bref, même si on pouvait en avoir l’impression, on ne tombe pas plus vite malade depuis qu’on laisse tomber les barrières sociales et sanitaires. Et notre système immunitaire n’a pas changé en deux ans, excepté les défenses acquises contre le Covid-19 via une infection ou une vaccination. “S’il a été modifié, c’est donc plutôt en mieux, face à un pathogène précis.” C’était bien essayé, mais l’immunologie, ça reste un métier.
Chaque jour plus fort
Mais c’est tout de même l’occasion de se pencher sur la magnifique barrière, naturelle celle-là, que constitue notre système immunitaire. Un bouclier que l’on construit au fil des années. Dès le plus jeune âge, il se bâtit sur à peu près tout ce qu’il croise. “Concrètement, le système immunitaire est l’ensemble des cellules et des molécules qui protègent contre les infections. Il se met en place dès la naissance et on est exposé en permanence à des bactéries, des virus. Ces rencontres forgent nos capacités de défense, qui tendent donc à augmenter avec l’âge.”

Spoiler: non. © Adobe Stock
Si notre système immunitaire se fortifie tout seul comme un grand, certains comportements peuvent-ils permettre d’encore le renforcer davantage? “Oui, en mangeant cinq fruits et légumes par jour et en ayant une vie saine, sourit, encore une fois, Sophie Lucas. Mais si la question sous-jacente est de savoir si la prise de zinc ou de vitamine D favorise les défenses immunitaires, non. Un moyen de les renforcer, c’est de se faire vacciner. C’est un renforcement bien spécifique du système immunitaire contre une infection donnée. Les vaccins sont les stimulus les plus efficaces.” Promis, l’objectif n’était pas de faire de la propagande pour la vaccination, contre le Covid ou autre chose. Mais il faut se rendre à l’évidence, pour renforcer son immunité, il n’y a pas beaucoup d’autres solutions.
A contrario, qu’est-ce qui pourrait déforcer nos défenses? “La première cause d’insuffisance immunitaire dans le monde est la malnutrition, qui s’accompagne de carence nutritionnelle sévère.” Sans surprise, elle est plutôt répandue dans les pays pauvres et touche beaucoup les enfants. Dans nos pays, l’insuffisance immunitaire vient plutôt de formes rares de maladies génétiques associées à des défauts d’immunité. “On parle alors de déficience primaire. Il y a également des causes dites “acquises” associées à d’autres maladies ou à leur traitement. Le cancer par exemple, que l’on traite notamment avec des chimiothérapies, associées à de l’immunodépression. Ou, pour éviter le rejet d’une greffe, on administre des immunodépresseurs. Les personnes greffées sont donc très sensibles aux infections.”
Des progrès hallucinants
Ces deux ou trois dernières décennies, l’immunologie a fait des progrès considérables. Mais il reste encore de nombreuses choses à découvrir. “Il y a sans doute beaucoup plus de choses qu’on ne sait pas que de choses que l’on sait à propos de notre système immunitaire. C’est une discipline dans laquelle on fait énormément de recherches. On découvre tant de complexité à mesure que l’on avance dans ces recherches qu’au final, les découvertes suscitent presque autant de questions que de réponses. C’est un domaine d’étude absolument passionnant.” Et si le Covid a pu avoir une retombée positive, c’est probablement l’accélération forcée des avancées en immunologie. “Des tas d’immunologistes dont le domaine n’était pas lié aux maladies infectieuses se sont retrouvés presque forcés de s’y intéresser. Le Covid a touché tant de gens que beaucoup de scientifiques ont été obligés de réorienter leurs recherches. On a fait des progrès hallucinants en deux ans sur les réponses immunitaires que l’on a pu mobiliser face à un virus que l’on ne connaissait même pas en décembre 2019.”