
La fertilité masculine en chute libre : les raisons derrière cette pandémie
Depuis quelques dizaines d'années, les preuves s'accumulent: la concentration des spermatozoïdes chez l’homme est en déclin, et pas qu'un peu. En Occident, la chute serait de 50-60% entre 1973 et 2011, selon une synthèse publiée en 2017 dans la revue Human Reproduction Update. Ce 15 novembre 2022, cette tendance est confirmée par une méta-analyse parue dans la même publication scientifique. La nouveauté, c'est que cette étude constate que ce phénomène ne s'arrête pas à l'Occident. Elle concerne le monde entier. Que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie, la planète entière est victime de ce même mal. La faute à plusieurs facteurs si inquiétants qu'ils font craindre des conséquences à long terme pour l'humanité.
Les composants des matières plastiques parmi les premiers responsables
Les causes du déclin de la qualité du sperme ont fait l'objet de longs débats dans la communauté scientifique. Le sujet a amené à la publication d'un nombre considérable d'articles scientifiques pointant de nombreuses raisons pouvant expliquer ce phénomène. Cela va des causes environnementales (comme les perturbateurs endocriniens et la pollution) à celles individuelles (obésité, sédentarité, binge drinking) en passant par la contamination à divers composants chimiques (plomb, etc.).
Pour y voir plus clair, des chercheurs ont mené l'enquête pour hiérarchiser ces éléments selon leur ordre d'importance. Leurs résultats ont été publiés le 9 juin dernier dans la revue Environment International. Pour réaliser cet exercice difficile, ils ont d'abord sélectionné 29 molécules dont l'impact sur la production de spermatozoïdes est attesté par un haut taux de probabilité vu les preuves accumulées jusqu'ici. Ils ont ensuite analysé l'exposition à ces substances via des prélèvements urinaires réalisés chez des hommes européens et les bases de données de l'Autorité européenne de sécurité de l'alimentation (Efsa).
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En découle une sorte de classement des composants les plus susceptibles d'expliquer la baisse de la fertilité masculine, vu leurs niveaux de concentration au sein de la population. Le bisphénol A (BPA) arrive en première place, accompagné par le bisphénol S (BPS) et le bisphénol F (bisphénol F). Un podium qui montre le poids des produits plastiques dans le phénomène. Suivent les dioxines provenant de la combustion des déchets, les polychlorobiphényles (PCB) qui se retrouvent surtout dans l'alimentation (principalement d'origine animale), et les plastifiants comme les phtalates. On retrouve aussi des parabènes et, surprise, le paracétamol. Ce dernier peut provenir des analgésiques mais pas seulement. Il «semble provenir majoritairement de la fumée de cigarettes ou des traces d'aniline (associée aux colorants) présentes dans les cosmétiques ou notre alimentation», explique à La Libre le toxicologue Alfred Bernard de l'UCLouvain qui ajoute que le paracétamol pourrait être plus néfaste durant la vie fœtale que par la suite.
Une urgence sanitaire
Certes, cette étude ne permet pas de savoir dans quelles proportions le taux de spermatozoïdes baisse à cause de telle ou telle substance. Ils donnent néanmoins un éclairage sur un problème majeur de santé publique. Selon l'étude publiée aujourd'hui dans le Human Reproduction Update, le nombre total de spermatozoïdes dans le sperme est passé en 45 ans de 101 millions par millilitre (M/ml) à 49 M/ml. Autrement dit, la chute est de 51,6% au niveau mondial, soit de 1,16 % par an. Signe que le problème est toujours plus inquiétant: ce dernier pourcentage passe à 2,64% par an si on isole la période 2000-2018. À ce rythme, le nombre de spermatozoïdes sera divisé par deux tous les quarts de siècle.
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Face à ces résultats, les auteurs de l'étude sonnent l'alarme. Si cette tendance continue, «la probabilité de conception [d'un enfant, ndlr] diminue rapidement». «De plus, la baisse du nombre de spermatozoïdes s'accompagne d'une baisse de la testostérone et d'une augmentation du cancer des testicules et des anomalies génitales masculines», ajoutent-ils avant d'appeler à une réaction immédiate afin d'agir à temps. «Des recherches sur les causes de ce déclin continu et des actions visant à prévenir de nouvelles perturbations de la santé reproductive masculine sont nécessaires de toute urgence», clament-ils. Un souhait qui pourrait toutefois être vite déçu. La révision du règlement européen sur les produits chimiques (Reach) vient d'être reporté, ce qui pourrait condamner toute tentative de renforcer ce dispositif d'ici la fin de la législature européenne actuelle. Durcir le contrôle de plusieurs substances controversées pourrait donc ne se faire qu'après mai 2024.