Les salaires des médecins sont moins indexés : voici pourquoi cela pose problème pour les patients

Ils sont moins indexés que les salariés. Mais si leurs conditions de travail se détériorent, certains spécialistes profitent aussi du système de façon excessive. En attendant, les patients paient les pots cassés, car les médecins se déconventionnent…

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Un médecin aujourd’hui vit moins bien qu’un médecin il y a dix ans.” Les chiffres donnent raison à Luc Herry, vice-président de l’association des syndicaux médicaux (ABSyM). En dix ans, la rémunération moyenne des médecins belges n’a pratiquement pas évolué. Selon les derniers chiffres de l’OCDE, elle tourne en 2020 comme en 2010 autour des 137.000 € par an. C’est moins qu’en Allemagne et aux Pays-Bas, mais un peu plus qu’en France. Évidemment, le coût de la vie a, lui, largement augmenté…

Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Selon les chiffres de l’Inami, il n’y a plus que 68 % des médecins spécialistes actifs qui appliquent entièrement les tarifs de la convention. Il y a une décennie, ils étaient 75 %. Ce recul est dangereux pour l’accessibilité des soins de santé puisqu’un médecin non conventionné peut réclamer une plus grande participation au patient. “Cette conséquence n’est pas liée au fait que tous les médecins travaillent uniquement pour l’argent. Il ne faut pas caricaturer. La plupart des prestataires non conventionnés sont corrects et se contentent d’ailleurs d’arrondir les honoraires. Mais les conditions se dégradent, et ce n’est pas normal”, justifie Yves Smeets, le directeur de la fédération des institutions de soins Santhea.

Convention forcée

En réaction, le gouvernement fédéral, sous l’impulsion du ministre Vandenbroucke, a déposé un projet de loi. Il stipule notamment que les médecins qui dispensent des soins ambulatoires à des bénéficiaires de l’intervention majorée (statut BIM) ne peuvent plus facturer des honoraires supérieurs aux tarifs prévus par la convention entre médecins et mutuelles.Cette mesure ne signifie ni plus, ni moins que les tarifs de l’accord sont imposés aux médecins qui ont refusé l’accord”, traduit Luc Herry. Forcer les prestataires à appliquer les tarifs de la convention n’est évidemment pas une solution saine. D’autant que sans elle, l’ABSyM était déjà mécontente.

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Cette goutte d’eau vient s’ajouter au vase bien rempli de la dégradation des conditions de travail de la profession. Si les revenus stagnent, c’est en effet parce que les honoraires ne sont pas indexés de la même manière que les revenus des salariés. En janvier dernier, ils n’ont été revalorisés que de 0,73 %. Une indexation intermédiaire de 2 % a été octroyée en juin. “C’est problématique, car les médecins doivent payer la hausse des loyers de leur cabinet, des factures énergétiques, du salaire du personnel administratif ou infirmier qu’ils emploient. Toutes les augmentations non financées de 2022 constituent des pertes sèches. Si on voulait faire suivre nos honoraires par rapport à l’indice santé, une consultation de 30 € devrait passer à 40 €.” En janvier prochain, l’indexation attendue est de 8,14 %. Ce taux est calculé sur base de la période entre juin 2021 et juin 2022. Il reste inférieur à l’inflation.

 

Consultations éclair

Ce calcul particulier n’est pas un hasard. La dernière étude de Belfius démontre qu’un tiers des établissements hospitaliers sont dans le rouge. Or, détaille pour Moustique l’économiste de la santé de Belfius Arnaud Dussoy, les hôpitaux belges coûtent 17,8 milliards d’euros. La rétribution des médecins représente un quart de cette somme (4,3 milliards). Augmenter les honoraires va par conséquent de pair avec une revalorisation de l’enveloppe globale. Cela ne fait pas les affaires du gouvernement fédéral… qui doit trouver le juste équilibre pour ne pas que la dégradation des conditions de travail induise une dégradation de la qualité des soins. Une dérive déjà visible dans d’autres pays, comme en Allemagne où une consultation dure en moyenne 7,6 minutes, contre 15 minutes en Belgique.

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Les économies sont toujours réalisées dans la poche des prestataires, au niveau des honoraires, jamais dans l’organisation des soins. C’est le cas pour financer les postes de garde et les projets de soins transversaux, ajoute Luc Herry. Je ne dis pas que ces politiques ne sont pas nécessaires, mais on pourrait économiser ailleurs. Par exemple, des infectiologues administrent dans divers hôpitaux des vaccins. Or ils ont un tarif plus élevé qu’un médecin généraliste en mesure de vacciner. Une économie à cet endroit serait simple à obtenir.

Pour autant, les médecins eux-mêmes soutiennent la réforme en cours du ministre Vandenbroucke, car les failles de la nomenclature actuelle sont nombreuses. En Belgique, les médecins sont payés “à l’acte”. L’annuaire des actes médicaux encore utilisé date de 1963. “Certains actes de durée et de complexité égales sont rétribués de façon très différente”, déplore Yves Smeets. Il cite les chiffres du KCE qui ont le défaut de dater un peu (2012), mais représenteraient encore la réalité d’aujourd’hui. Les néphrologues, les radiologues ou les biologistes médicaux seraient extrêmement bien payés (plus de 400.000 € brut par an, la méthode de calcul est différente de celle de l’OCDE), voire “trop bien payés”, estime Yves Smeets, tandis que les pneumologues, les pédiatres ou les oncologues le seraient trop peu (un peu plus de 100.000 € brut). Les médecins généralistes gagnent moins. Selon une enquête du Journal du Médecin, 50 % d’entre eux gagnent entre 2.500 € et 4.500 € net par mois. 25 %, moins de 2.500 € par mois.

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Une réforme contre les abus

Il sera évidemment impossible d’aligner tous les actes sur une base haute. “Certaines spécialités devront accepter de gagner un peu moins, même si on tentera d’amortir certains effets. Si un individu a un niveau de vie basé sur 100 et qu’il n’a plus que 90, c’est toujours un problème”, comprend le directeur de Santhea. Fin octobre, une nouvelle étape de la réforme de la nomenclature a été franchie. Près d’une trentaine d’hôpitaux belges ont été sélectionnés pour participer à la phase 2.2 dite des “coûts réels”. Les équipes de recherches y analyseront les 2.673 actes médicaux actuellement répertoriés afin d’estimer aux mieux les frais de fonctionnement liés. La réforme devrait être prête en décembre 2024. En attendant, les médecins mordent sur leur chique ou… se déconventionnent.

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