
«40 kilos perdus sans régime» ce centre médical accueille des jeunes qui souffrent de surpoids

Un jour proche de la Toussaint, rue de Mont-Saint-Guibert à Ottignies. Le chemin privé qui mène au centre dévoile un ensemble de bâtiments sortis des trente glorieuses de la Belgique. Le Dr Frédérique Legros, directrice médicale adjointe du centre en retrace l’historique. Les enfants y ont toujours eu leur place. “Au départ, fin des années 50, c’était un préventorium, un établissement de cure pour des enfants avec un diagnostic de tuberculose. Durant les années 80, c’est devenu un centre de rééducation fonctionnelle accueillant des mamans et des bébés, des enfants atteints de maladies chroniques, des enfants victimes de maltraitance, et ensuite, plus tard, deux unités prenant en charge les enfants obèses âgés de 6 à 18 ans.”
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Le centre Clairs Vallons est un établissement public qui dépend de l’Inami. C’est la seule structure de ce type en Belgique francophone, à la fois centre de prise en charge médicale et établissement scolaire. Les 130 enfants résident, ici, dans un internat disposant de supports psycho-médicaux et d’un établissement qui leur permet de continuer leur scolarité. Pour une période d’un an maximum renouvelable deux fois 6 mois.
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Les quatre causes de l’obésité
“La prise en charge de l’obésité a évolué depuis la création, en 2000, des unités qui lui sont dédiées. Au début, c’était un “internat diététique” centré sur la perte de poids avec des régimes alimentaires restrictifs. Et puis, on a vu que lorsque le jeune rentrait chez lui, il reprenait le poids qu’il avait perdu. On a réalisé que l’obésité était multifactorielle et ne se limitait pas qu’au régime alimentaire.” Ainsi, l’obésité trouve sa source dans quatre causes, qui peuvent se combiner: l’environnement familial qui conditionne un comportement alimentaire; un épisode traumatique qu’on compensera en mangeant; une structure psychique particulière qui engendrera le besoin de se protéger en mangeant et enfin, quatrième et dernière cause, mais elle est rarissime, un terrain génétique. “Si on n’aborde pas tout dans sa globalité, on rechute.”
Les unités ont été créées en 2000 parce que c’est à cette période que s’est manifestée l’augmentation des cas d’obésité parmi la population et les adolescents en particulier. On estime que 15 % d’entre eux sont en surpoids. Le surpoids devient obésité lorsque l’indice de masse corporelle (poids/taille en mètre au carré) est égal ou supérieur à 30. Par exemple, un enfant mesurant 1,50 m et pesant 68 kg est obèse. Le confinement de 2020 a aggravé le phénomène.

Quelque 130 enfants sont accueillis en internat ©Clairs Vallons
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“Nous accueillons, sur prescription médicale, les obèses sévères pour lesquels les prises en charge ambulatoires ont échoué. Ils intègrent le centre un an, deux ans au maximum et ils sont ensuite suivis pendant trois ans. Ils dorment ici la semaine et y poursuivent leur scolarité; ils rentrent chez eux le week-end et une partie des vacances scolaires.” La prise en charge est globale. Parce que les jeunes obèses qui arrivent aux Clairs Vallons - ils sont quarante - sont souvent en décrochage scolaire, ont été victimes de harcèlement, n’ont plus confiance en eux et n’ont plus un rythme de vie normal (typiquement: sommeil en journée/jeux vidéo la nuit). Il s’agit de rebâtir de nombreux aspects de la vie de l’adolescent…
40 kilos perdus sans régime
“J’ai été touchée par le fait que ce sont des jeunes en grande souffrance et en grande demande de soins, explique Julie Grétry, coordinatrice de l’équipe de kinésithérapie de Clairs Vallons. Réconcilier les enfants avec le fait de bouger et de faire du sport est quelque chose de très motivant, valorisant et utile. Mais ce n’est pas facile. Avec certains, c’est rapidement positif, en revanche il y en a d’autres qu’il faut tirer toute l’année. Ils sont parfois très compliqués à mobiliser.” La prise en charge kiné est axée sur la remise en mouvement, le sport, les corrections posturales et éventuellement la prise en charge de petits bobos.
“Par semaine, c’est deux à trois séances de 30 à 45 minutes. Ça peut paraître assez peu mais on tient compte de tout le package d’activités physiques qu’ils ont sur la semaine. C’est-à-dire qu’il y a les activités physiques dans le cadre de l’école, les “cours de gym”, certaines activités avec les éducateurs après les cours et notre programme... Ce qui fait en tout cinq à sept heures d’activités physiques. Essentiellement, notre programme kiné est un travail cardio basé sur du vélo elliptique par exemple et puis peu à peu, on introduit un peu de course à pied. Mais l’on travaille également sur du renforcement musculaire, car il est très important de remuscler et retonifier le corps lorsqu’on perd du poids.”
Reconstruire une normalité
Certains enfants peuvent perdre 40 voire 50 kg. Des résultats impressionnants d’autant plus qu’on ne fait plus “régime” à Clairs Vallons. “Avant, on imposait des régimes stricts hypocaloriques, signale Kellie Gilliard, diététicienne. Mais on en est revenu. On pratique dorénavant une alimentation équilibrée. On peut manger de tout. On apprend toutefois aux enfants et aux familles à gérer les quantités et les fréquences de certains aliments. Ici, tous les enfants mangent la même chose - ceux qui sont en surpoids comme ceux des autres pavillons -, ceci également pour éviter les stigmatisations. On se base sur les recommandations de quantité de nourriture pour les enfants de leur âge, ni plus ni moins.” Ainsi les enfants mangent, par semaine, trois repas plus riches: une friture, un plat en crème, un repas fun (pita ou pizza). Ils ont droit à trois sucreries ou snacks par semaine à choisir entre sodas sucrés, chips, barres chocolatées, bonbons ou glaces… “On vise simplement à revenir à une normalité.”
“Quand on a ouvert en 2000, on avait l’impression d’avoir des enfants obèses avec peu de comorbidités. Ils étaient “simplement” obèses, se souvient Luc Davin, responsable éducatif et coordinateur d’unité. Au fur et à mesure des années, l’Inami a financé des structures ambulatoires d’aide à l’obésité dans les hôpitaux. Les parents les plus mobiles et les plus mobilisables se sont dirigés au fil des années vers ces structures ambulatoires. Et faisaient, sans déranger la vie familiale ni la scolarité, le trajet une, deux ou trois fois par semaine vers l’hôpital pour la kiné, la diététicienne, la psychologue… Plus ces gens-là - mieux construits - allaient vers l’ambulatoire, plus les demandes qui nous restaient, à Clairs Vallons, étaient constituées de cas où l’obésité n’était qu’une facette d’un problème beaucoup plus global. On a commencé à travailler avec des enfants obèses et dépressifs, obèses avec des phobies sociales ou scolaires, obèses avec de la violence et des gros drames familiaux…” La problématique a donc pris de l’ampleur sur les vingt dernières années, mais a aussi gagné en complexité.
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“Il n’y a plus de profil type, confirme le Dr Clémentine Cardon, pédopsychiatre, médecin responsable d’unité. Chaque patient va présenter des problématiques différentes. Là réside la complexité: la prise en charge est actuellement hyper-individualisée. L’un va venir avec des problèmes de harcèlement, un autre va venir avec une dépression ou un comportement suicidaire, d’autres encore avec des traumas familiaux… Le Covid a accentué les choses. D’une part, la sédentarité induite du confinement et de l’école à distance a pu accentuer des prises de poids - jusqu’à 40 kg sur la période -, d’autre part, certains avec des problèmes familiaux ou psychiatriques se sont retrouvés chez eux, sans aide.”
Le confinement permet incidemment de cerner un récit commun à la plupart des cas d’obésité traités par Clairs Vallons. “Ces enfants disent souvent: “J’ai toujours été rond, papa et maman sont gros, on aime bien manger chez nous. À l’école j’étais celui qu’on maltraitait et qu’on appelait “bouboule”, le dernier qu’on prenait dans l’équipe de foot, on ne m’invitait pas aux fêtes d’anniversaire, je me suis renfermé, je m’ennuie, donc je mange, je grossis, j’ai de moins en moins envie de sortir, quand je sors c’est une épreuve, je crois que les gens se moquent de moi, je n’ai plus confiance en moi, je ne sors plus, je ne vais plus à l’école, je décroche complètement, j’ai un bulletin catastrophique, je me fais gronder voire plus, je reste à la maison, je mange, je m’ennuie, je m’occupe, je joue aux jeux vidéo pendant la nuit, je dors pendant le jour, je prends un, deux, trois ans de retard à l’école”…” résume Luc Davin. “Il s’agit donc de déconstruire tout cela, conclut le Dr Clémentine Cardon, pour reconstruire une normalité, une confiance et réapprendre à avoir des liens sociaux. Pour ensuite réintroduire un parcours scolaire.” Et sur ce chemin, bien plus complexe qu’une cure d’amaigrissement, Luc Davin l’assure: “100 % des enfants perdent du poids”. Mais finalement, ce n’est sans doute pas le plus important…