
Immersion dans une clinique pour soigner son sommeil : "Plus on avance en âge, plus la capacité à changer s’affaiblit"
Laurent Moor accueille ses patients dans un bureau de la Clinique de la fatigue, situé dans le service de gastrologie du CHU de Liège. On ne l’appelle pas “docteur”. Il n’a aucune formation médicale. Il possède pourtant un solide bagage académique. Il a terminé la philologie romane et HEC et est maître assistant à la Haute École libre mosane en sciences économiques. “Cela fait 12 ans que j’ai commencé le coaching. En 2019, j’ai eu une conversation avec le Pr Catherine Reenaers du service de gastro-entérologie et hépatologie du CHU de Liège. Elle me disait que son service pouvait intervenir auprès des patients dont les problèmes d’épuisement étaient liés à des facteurs physiologiques. Mais qu’à côté de cela, il y avait énormément de personnes qui étaient fatiguées pour d’autres raisons. Et que ces cas n’étaient pas gérés par son département. Elle m’a encouragé à travailler sur un “parcours” de prise en charge de cette problématique. J’ai mis un an et demi à expérimenter différents outils et à les mettre au point.”
Tests de base
La Clinique de la fatigue de Laurent Moor est accessible au CHU de Liège, mais également dans le service d’oncologie de l’hôpital Érasme de Bruxelles. “Nous commençons toujours pas un test “FACIT” qui s’inspire d’un modèle britannique reconnu. Il permet de mesurer la fatigue et son impact sur l’aspect émotionnel ou l’aspect cognitif. Nous évaluons ensuite l’état d’anxiété et de dépression avant de procéder au test du sommeil dit “de Pittsburgh” qui va mettre en évidence les troubles de l’endormissement et la qualité de la récupération. Il y a enfin un examen spécifique à la gastro-entérologie qui mesure les impacts de la fatigue sur la qualité de vie du patient, tant sur un plan social que familial, scolaire ou professionnel. Chaque patient passe par cette phase initiale.”
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La carte de la fatigue
Les traitements ultérieurs varient ensuite en fonction des résultats de ces tests. “Si nous sommes face à une personne souffrant d’un burn out ou d’une grosse dépression, nous la guiderons vers un psychologue ou un psychiatre. Pour les autres, nous leur proposons un “parcours””, poursuit Laurent Moor. Ce parcours a été matérialisé par l’équipe de la Clinique de la fatigue sous la forme d’une “carte de la fatigue” que le patient peut consulter en permanence. “De l’identification de la fatigue à ses causes, en passant par des solutions et des actions pratiques à mettre en œuvre au quotidien, cette carte permet d’avancer étape par étape. Il faut savoir que la plupart des personnes que nous rencontrons sont dans le contrôle et éprouvent d’énormes difficultés à lâcher prise. Une autre catégorie importante des patients que nous accueillons, ce sont ceux en surcharge émotionnelle ou qui connaissent un effondrement de leurs trois “piliers mentaux”. À savoir le plaisir, la capacité à avoir des projets et la capacité à trouver du sens à ce que l’on fait. Dans 90 % des cas, notre tâche consiste à “libérer” les gens, à mieux maîtriser leurs émotions et à redresser leurs piliers mentaux.”

Une bonne hygiène de vie peut déjà résoudre les problèmes de fatigue chronique. © Adobe Stock
Trivial Pursuit
Le coaching prodigué à la Clinique de la fatigue permet également de mieux détecter certains signaux physiques et mentaux. Les patients peuvent ainsi mieux anticiper, voire annihiler leur état de fatigue. “Nous les aidons à dresser un agenda précis en notant ce qu’ils ressentent au quotidien. À quel moment de la journée ressentent-ils de la fatigue? De quelle manière? Diriez-vous qu’ils s’agit d’un épuisement, d’une grosse fatigue, ou d’une envie de faire une sieste? Il est aussi important de savoir si cet état d’épuisement précède ou suit une activité particulière comme un exercice physique, une tâche professionnelle, un déplacement, un repas… Toutes ces données vont servir à un premier rééquilibrage.”
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La Clinique de la fatigue passe enfin à l’étape baptisée “Trivial Pursuit”. “J’ai décortiqué en “camemberts” toutes les raisons qui peuvent expliquer la fatigue: les problèmes d’énergie et de sommeil, le manque de sport, les déséquilibres de nutrition, le conflit, l’anxiété, les émotions. Et en fonction de la raison qui se dégage, on va adapter une réponse.” Le “Trivial Pursuit” est une façon ludique d’aborder sa fatigue. Un problème d’énergie? Le “Trivial Pursuit” préconise des activités ou des mesures à incorporer dans sa vie comme un programme de remise en mouvement ou des activités en extérieur.
La carte de la fatigue, le “Trivial Pursuit” et la méthode initiée par Laurent Moor ont le mérite de donner des pistes concrètes. Hypnose, yoga du rire, marches dans la forêt, chant en chorale, méditation, détox digitale, régime alimentaire… La Clinique de la fatigue décline son coaching en cinq séances étalées généralement sur trois mois, afin de voir l’évolution de l’état de fatigue du patient.
Les femmes plus réceptives
Ces séances sont gratuites dans le cadre hospitalier qui bénéficie d’un financement d’un laboratoire pharmaceutique. Les résultats de ce coaching portent déjà leurs fruits. “Depuis le lancement du “parcours”, j’ai pris en charge 350 patients. 70 % d’entre eux connaissent une amélioration de leur état de fatigue. Pour les 30 % qui restent, on constate dans la plupart des cas que les caractéristiques dépressives ont été sous-estimées en amont. La solution peut alors passer par les conseils d’un psychiatre ou d’un psychologue.” Le taux de succès est plus important dans deux publics. “Le “parcours” fonctionne beaucoup mieux avec les femmes et dans la tranche d’âge 30/50 ans. Plus on avance en âge, plus la capacité à changer s’affaiblit.”
Les enseignants, les infirmières, les médecins, les informaticiens et les policiers forment le gros des patients.
La Clinique de la fatigue attire des profils professionnels particuliers. “Cinq métiers émergent dans notre patientèle: les enseignants, le personnel soignant, les médecins, les informaticiens et les policiers.” Leur dénominateur commun? Une profession axée sur le contrôle et dont l’autorité est remise en cause. “Mes patients se plaignent de fatigue et nous, médecins hospitaliers, nous nous sentons démunis par rapport à ces symptômes-là, conclut Catherine Reenaers, du service de gastro-entérologie et hépatologie du CHU de Liège. Une fois que la maladie que nous traitons est diagnostiquée, traitée et contrôlée, nous avons peu d’options. C’est la raison pour laquelle nous envoyons vers ce coaching spécialisé. Après deux ou trois séances, je constate une inflexion de l’état de fatigue de mes patients.”