"C'est un drame" : À Bruxelles aussi, la pénurie de médecins généralistes fait rage

Les habitants des zones rurales ne sont plus les seuls à être en difficulté pour trouver un médecin. En ville, notamment à Bruxelles, certains quartiers n’hébergent plus aucun généraliste.

médecin généraliste
120 communes belges font face à une pénurie de généralistes. © Adobe Stock

Sur la carte de la Région bruxelloise, plusieurs quartiers d’Anderlecht sont en rouge, voire en rouge foncé. ­Neerpede, dans l’ouest de la commune, est l’un de ceux qui s’affichent en carmin. Plus aucun médecin généraliste n’y est recensé par les chiffres officiels datant de 2018. L’échevin anderlechtois de la Santé, Guy Wilmart, soupire. À sa connaissance, cinq ans plus tard, la situation n’a pas évolué. “Nous avons le même problème dans le quartier du Peterbos, qui concentre 1.400 logements sociaux. Le médecin qui y travaillait est parti à la pension et d’après ce que je sais, personne n’a pris la suite.” Même constat au nord de Bruxelles, du côté de Laeken. Les généralistes manquent en ville, désormais presque autant que dans les campagnes. “Évidemment, nous ne pouvons pas dire que c’est un désert médical. Rien que sur le territoire d’Anderlecht, il y a quatre hôpitaux: les gens peuvent se faire soigner. Mais le manque de généralistes provoque une tension en termes de continuité des soins, c’est un fait.

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À Bruxelles, 60 % des médecins sont saturés et n’acceptent plus de nouveaux patients.

D’après des chiffres présentés par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke à la Chambre en octobre dernier, 120 communes belges font face à une pénurie sévère de généralistes, dont sept rien qu’en Région bruxelloise. C’est bien simple, constate la docteure Anne Gillet, elle-même généraliste et présidente honoraire du Groupement belge des omnipraticiens (GBO), aujourd’hui dans la capitale, 60 % des médecins sont saturés et n’acceptent plus de nouveaux patients. Résultat, un Bruxellois sur trois n’a pas de généraliste, parfois par non-nécessité… Mais souvent faute d’en trouver un.

 

Tous les jours, le cabinet schaerbeekois où ­travaillait jusqu’il y a peu la docteure Gillet, doit refuser de nouveaux patients. Elle qui est désormais partie à la pension regrette que le manque de médecins mette à mal la première ligne de soins, censée pouvoir faire de la prévention. “Des per­sonnes qui nous appellent pour prendre rendez-vous nous disent parfois que c’est le dixième refus qu’elles essuient. C’est un drame. Dans mon ancien cabinet, où huit médecins travaillent toujours, ils ne prennent plus de nouvelles familles car ils n’ont plus de place.” Quand la docteure a débuté sa carrière, il y a une quarantaine d’années, la situation était tout autre. “À cette époque, on était en période de pléthore. Il y avait beaucoup de médecins et on mettait des mois à se faire une patientèle nécessaire pour survivre financièrement. Aujourd’hui, celle qui me remplace suite à mon départ en pension travaille déjà à temps plein au bout de quelques semaines seulement.” Le système de quotas Inami, créé à la fin des années 1990, a ­complètement renversé la tendance. Le nombre de médecins formés dans les universités a été limité et le ratio d’étudiants généralistes, sous-estimé. “Aujourd’hui, les universités de médecine doivent former 43 % de généralistes, contre 57 % de spécialistes. Dans les années les plus sombres, il y a une dizaine d’années, ce chiffre est descendu à 30 %, voire 25 %.” L’équilibre a alors commencé à vaciller, sans compter que les besoins de la population et les envies des jeunes médecins ont de leur côté évolué.

Prime pour les zones rouges

En Wallonie et à Bruxelles, les médecins généralistes qui s’installent dans une zone dite en pénurie reçoivent une intervention financière jusqu’à 25.000 euros, appelée prime Impulseo. À Bruxelles, c’est la Commission communautaire commune qui est compétente pour établir la liste des quartiers en manque de médecins généralistes. Une cartographie a été publiée en 2018 et est actuellement en cours d’actualisation. Les nouveaux chiffres devraient être communiqués fin 2024. Sarah Missinne, chargée du projet de recherche à l’Observatoire de la santé et du social, estime qu’ils ne devraient pas être meilleurs qu’en 2018. Au contraire. “D’après les premiers échos du terrain, beaucoup de médecins sont partis plus tôt à la retraite pendant la crise du coronavirus et il y a également beaucoup de burn out.

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Le ministre de la Santé prépare un New Deal pour soutenir les généralistes. Et éviter les salles d’attente bondées? © Adobe Stock

Moins de disponibilités

À 34 ans, la docteure Marine Goffette travaille depuis cinq ans à Anderlecht, dans un cabinet en association avec une consœur. Elles ont choisi expressément le quartier, conscientes de la pénurie ambiante et des besoins grandissants localement face aux nombreux départs à la pension. D’après les derniers chiffres de l’Observatoire de la santé et du social, près de la moitié des généralistes exerçant dans la Région bruxelloise ont plus de 55 ans. Sauf qu’aujourd’hui, pour remplacer un médecin qui part à la retraite, on estime qu’il faut deux, voire trois jeunes généralistes pour absorber sa patientèle. Question d’horaire et de charge de travail. “Nous sommes deux femmes dans notre cabinet et avons chacune des enfants, ce qui implique que nous avons des horaires limités. Chaque jour, l’une finit autour de 19 h, quand l’autre termine à 16h30. Cela demande une organisation différente et nos patients le savent: s’ils veulent un rendez-vous le jour même, ils doivent appeler le matin”, explique la docteure Goffette.

 

Fini les douze heures de boulot quotidiennes, de 8 à 20 h, que la génération précédente enchaînait. Aujourd’hui, les jeunes généralistes veulent un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, ce que la docteure Anne Gillet ne manque pas d’applaudir. Encore faut-il qu’ils le puissent réellement… Dans quelques mois, la consœur de la docteure Marine Goffette part en congé de maternité mais à l’horizon, il n’y a toujours aucun remplaçant. Résultat, la future maman reviendra dès que possible. L’échevin anderlechtois Guy Wilmart connaît bien le problème. Pendant les vacances, il n’est pas rare que des patients démunis face à leur médecin en congé appellent la commune. Une situation alarmante, pour la docteure Gillet. “Nous avons une responsabilité sociale d’être disponibles, mais aujourd’hui, à cause de la pénurie, on sature. Cela met à mal la santé mentale des médecins, dont un sur deux est considéré à risque de burn out.” La docteure, comme l’en­semble de nos interlocuteurs, réclame une ­augmentation significative du nombre de numéros Inami pour alléger la pression.

Vieux calculs et New Deal

Cette histoire de numéros Inami est régulièrement pointée du doigt par une partie du secteur, qui y voit beaucoup de non-sens. Quand les autorités fédérales estiment qu’au-dessous de 9 généralistes pour 10.000 habitants, la zone est en situation de pénurie, elles oublient par exemple tout un tas de critères, estime la présidente honoraire du GBO. D’abord, la charge de travail fluctuante en fonction des médecins, mais aussi les chiffres erronés de la population. “Pour fixer le nombre de médecins nécessaire, on se base sur le nombre de résidents. Or, on ne prend pas en compte les personnes de passage, notamment à Bruxelles: les étudiants, les diplomates, les personnes migrantes, les touristes… Ce sont aussi des gens qui ont besoin d’être soignés. Il faut prendre en compte les besoins spécifiques de chaque zone”, plaide-t-elle. Son confrère, le docteur Pierre Drielsma, pointe également la tendance des généralistes en ville à se sous-spécialiser, dans la nutrition, le sport ou l’addictologie par exemple. “Cela retire de la force de travail en médecine générale, ce qui accentue le paradoxe de la pénurie en ville. On se retrouve avec des distorsions entre l’offre et les besoins de la population.

Conscient que la situation est critique, le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke prépare un “New Deal” pour soutenir les médecins généralistes. L’idée est d’augmenter les quotas, désormais fixés à 1.848 nouveaux médecins pour 2028, “en conseillant aux Communautés de réserver près de 50 % des places aux médecins généralistes”. Au-delà de l’augmentation du nombre de généralistes formés, le ministre de la Santé entend également “réduire les formalités administratives inutiles” et “mettre l’accent sur un bon modèle organisationnel qui permette de prendre en charge davantage de personnes”. Le docteur Pierre Drielsma y voit un pas dans la bonne direction. “Il y a eu un retard à l’allumage, mais on est en voie de résolution. C’est difficile d’aller plus vite car pour produire un médecin, il faut neuf ans.

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