
Le chromosome Y est-il mauvais pour la santé? Des études lèvent le voile sur ses secrets

La tâche a été ardue mais finalement, les scientifiques sont arrivés à déchiffrer le chromosome Y, celui qui agit dans l'apparition des attributs sexuels mâles. Cela fait plus de vingt ans que le génome humain a été séquencé mais ce paquet d'ADN (qui ne ressemble d'ailleurs pas à un Y mais à une forme miniature de l'autre chromosome sexuel, le X) résistait encore à une analyse approfondie. C'est désormais chose faite, grâce à une série d'articles publiés tout récemment dans la revue Nature. La porte est maintenant ouverte pour découvrir ses si précieux secrets.
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Parmi ceux-ci, on trouve une question qui taraude les chercheurs: le chromosome Y est-il "toxique"? Ce point mérite d'être soulevé puisqu'il apparaît que ce Y humain a une histoire très mouvementée et que ses caractéristiques actuelles pourraient finalement être délétères pour la santé, même si le débat fait rage pour savoir exactement ce qu'il en est.
Quand l'embryon devient homme
Cette histoire du chromosome Y commence il y a environ 170 millions d'années, à l'aube du développement des mammifères. Ce sera lui qui sera responsable de la différenciation sexuelle chez la majeure partie de cette classe animale. Pour rappel, chez l'être humain, il existe 23 paires de chromosomes, dont seule la dernière est sexuelle. Cette dernière peut soit être XX, soit XY. Sauf exception (avec le cas des personnes intersexes notamment), la première paire aboutit à l'apparition d'un sexe féminin, l'autre à celui masculin.
Ce pouvoir "masculinisant" du chromosome Y est lié à un de ses gènes, SRY. Lorsque l'embryon atteint environ douze semaines, SRY code une protéine qui agit sur une zone du chromosome 17, où se trouve un autre gène, SOX9. Lorsque celui-ci s'active à son tour, il fait apparaître les testicules, puis par ricochet une production accrue de testostérone, d'où d'autres traits liés à la masculinité. Si malgré tout, SOX9 ne s'active pas (ce qui peut arriver), la personne sera de sexe féminin, qu'importe qu'elle ait une paire XY.
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Un Y bien trop seul
Ce système semble donc bien rôdé, mais il y a un hic. Les études montrent qu'au début de son histoire, le chromosome Y était bien plus complexe qu'aujourd'hui, avec près d'un millier de gènes, contre environ une centaine actuellement. Cette évolution est liée à la solitude de Y. Lorsqu'une paire XX voit l'un de ses deux chromosomes s'abîmer, celui-ci peut compter sur son partenaire pour réparer les dégâts, puisqu'ils sont véritablement couplés. Puisque Y est trop différent de X, ce type de transfert bénéfique d'ADN n'est pas possible.
Pour survivre, Y a donc dû se débrouiller. Il a rapidement accumulé une énorme quantité de petites séquences répétées avec des boucles. Un véritable bricolage qui a provoqué des pertes d'ADN. Il n'est aujourd'hui plus que l'ombre de ce qu'il était autrefois, étant désormais trois fois plus court que X et avec une perte de 90% de ses gènes.
Bientôt la fin du chromosome mâle?
C'est cette complexité qui a causé tant de souci aux chercheurs. Pour déchiffrer ce chromosome, il a fallu innover, notamment avec la conception d'une méthode de séquençage de l'ADN par "longs fragments". De là découle aujourd'hui une étude ayant réussi à analyser la séquence complète de Y (qui représente désormais 2% du génome humain, avec l'ajout de plus de 30 millions de lettres ADN), et une autre qui s'est concentrée sur la variation de ce chromosome chez l'espèce humaine. Car oui, il s'avère qu'un homme peut avoir un chromosome Y très différent de celui de son voisin, avec un nombre inégal de gènes.
De là découle une question: si le chromosome Y s'est autant rétréci au cours de son histoire, est-ce qu'il pourrait prochainement disparaître, tout simplement? C'est déjà une réalité chez certains rongeurs, chez qui la paire XY a laissé place à une paire XX ou à une autre structure, XO, et ce autant chez les mâles que chez les femelles. Si la différenciation sexuelle perdure, c'est parce que ces espèces ont réussi à activer SOX9 sans avoir recours au SRY du chromosome Y. Ayant perdu de son utilité, ce dernier a pu s'évanouir, comme une bougie qui s'éteint.
La même chose peut-elle se produire chez les humains? Peut-être, dans des millions d'années, ou peut-être pas. Le débat scientifique n'a pas encore pu trancher cette question.
La durée de vie réduite des hommes est-elle liée à Y?
Outre ces spéculation sur un avenir lointain, les chercheurs ont aujourd'hui une autre problématique en tête, beaucoup plus concrète cette fois. Il s'avère qu'il n'est pas tout à fait impossible qu'Y soit "toxique". Cette théorie tient la route quand on sait qu'avec l'âge, le corps n'arrive plus à inhiber les séquences répétées de ce chromosome grâce à des composés chimiques. Une évolution qui pourrait être délétère et qui vient de faire l'objet de multiples études.
Un premier article s'est intéressé à des mouches drosophiles mâles (connues pour avoir une espérance de vie 10% inférieure à celle des femelles) chez qui les chercheurs ont fait varier la structure d'Y, voire en le faisant disparaître. Résultat: rien. Il n'y a eu aucun effet sur leur durée de vie.
Deux autres études se sont ensuite penchées sur l'influence d'Y sur la survenue de cancers, en l'occurrence celui de la vessie et celui colorectal. Les auteurs sont parvenus à la conclusion que chez le premier, Y permet probablement de s'en protéger, tandis que pour l'autre, c'est l'inverse.
Au vu de toutes ces constations qui ne vont pas toutes dans le même sens, il reste impossible de savoir si Y est véritablement "toxique" ou pas. Personne ne peut donc affirmer, en l'état, que l'espérance de vie réduite des hommes par rapport aux femmes, attestée par les différentes études démographiques, pourrait s'expliquer de cette façon. Les scientifiques vont désormais étudier de long en large le nouveau déchiffrage de l'ADN du chromosome Y afin d'en savoir plus sur ce point.