
La France veut elle aussi interdire la puff: que disent les études sur la nocivité de ce produit?

C'est décidé: la France prévoit désormais d'interdire la puff, cette vapoteuse à usage unique de plus en plus polémique. C'est ce qu'a annoncé la Première ministre Élisabeth Borne lors d'une interview à RTL ce dimanche. L'Hexagone rejoint ainsi la Belgique qui voudrait depuis près d'un an bannir cette cigarette électronique dotée d'un réservoir de 300 à 800 bouffées ("puff" en anglais, d'où son nom), avec ou sans nicotine. En 2022, nous vous parlions déjà de ce produit qui était déjà très controversé au vu de sa popularité chez les jeunes (bien qu'interdit chez les moins de 18 ans), ceux-ci étant séduits par ses goûts classiques (menthe, vanille, etc.) ou plus fantaisistes (marshmallow, choco noisette, ice candy, etc.). Depuis, des études ont confirmé sa nocivité pour la santé ainsi que son potentiel à faire basculer des non-fumeurs vers la consommation de tabac.
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La puff, porte d'entrée vers la nicotine et le tabagisme
En juin 2022, les autorités belges ont d'abord été interpellées par un sondage mené par le Service Prévention Tabac du Fares. Il s'avérait alors que 65% des 11-24 ans connaissaient déjà l'existence de la puff et 25% consommaient activement. Un résultat interpellant vu que ce produit est apparu en 2019 en Californie et en décembre 2021 chez nous. Parmi les consommateurs, près de la moitié utilisaient une version avec nicotine et 17% alternaient entre un usage avec et sans nicotine.
Fin 2022, la même initiative a été menée en France par l’ACT-Alliance contre le tabac et l’institut de sondage BVA. Le résultat le plus inquiétant est sans aucun doute le suivant: 28% des adolescents de 13-16 ans ont "commencé leur initiation à la nicotine à travers ce produit et 17 % d’entre eux se sont ensuite tournés vers une autre forme de produit de la nicotine ou du tabac". Comme en Belgique, ils se sont montrés avant tout séduits par les goûts proposés et son "côté ludique" (car "c’est amusant de jouer avec le nuage de vapeur"), sa visibilité sur les réseaux sociaux, puis par ricochet lorsqu'ils voient des personnes l'utiliser (notamment des amis).
La principale crainte de la communauté médicale semble donc se réaliser. Oui, la puff a surtout pour effet de convertir un nouveau public à la cigarette, et non d'aider des fumeurs à arrêter (contrairement à ce qu'affirment les producteurs). Il faut dire que le marketing (autant sur les réseaux sociaux que sur les emballages) fait tout pour plaire aux mineurs, malgré l'interdiction officielle d'en consommer en-dessous de 18 ans.
Pour les jeunes, cette législation peut toutefois être facilement contournée. En France, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a montré lors d'une enquête "clients mystères" que six buralistes sur dix enfreignaient l'interdiction de vente de tabac aux mineurs. Dès lors, la porte est grande ouverte pour les abus. En Belgique, le Fares montre que la plupart des ados savent qu'il peuvent en acheter dans les night shops et les librairies (ou, en complément, sur des sites et les réseaux sociaux).
Une énorme quantité de déchets électroniques
Une autre source de préoccupation vis-à-vis des puffs, c'est leur impact sur l'environnement. Dotées de batterie en lithium, leur recyclage se révèle compliqué, ce que confirme d'ailleurs le producteur Hexa sur son site: "Nous ne recyclons actuellement pas nos dosettes. En effet, les dépôts de recyclage sont considérés comme des incitations promotionnelles en vertu de la loi TPD différemment mise en œuvre dans les pays de l’UE. Comme nous nous développons à l’international, cela va changer dans un proche avenir".
Puisque tous les composés électroniques sont jetés, et que ces puffs sont à usage unique, leur consommation représente une quantité importante de déchets problématiques. Pour changer cela, une piste serait de réviser la directive européenne sur les produits plastiques à usage unique. Mais cela n'est "pas à l'ordre du jour", déplore auprès de l'AFP Diane Beaumenay-Joannet, chargée de mission sur le plastique au sein de l'ONG Surfrider, qui ajoute qu'entretemps, "la puff' aura le temps d'inonder le marché et de produire beaucoup de nouveaux déchets".
La santé mentale et les tissus cardiaques impactés
Au-delà de ces problèmes, des chercheurs se sont penchés sur l'impact spécifique de la puff sur la santé. C'est le cas de ceux de l'Université de Californie qui ont choisi des puffs de la marque Juul Labs (l'une des plus populaires jusqu'à son interdiction récente aux USA) avec les goûts menthe et mangue. Celles-ci ont été utilisées sur des souris à une cadence de trois fois par jour durant trois mois.
Leur étude, publiée dans la revue eLife, montre que cette consommation aboutit à une neuro-inflammation, notamment au niveau du noyau accumbens, "une région du cerveau essentielle à la motivation et au traitement des récompenses", précisent-ils. Un effet particulièrement problématique vu que le cerveau des jeunes est en plein développement. Les chercheurs jugent ainsi que cela pourrait affecter leur santé mentale et leur comportement à long terme.
Autre conséquence: les tissus cardiaques montrent des niveaux réduits de marqueurs inflammatoires, ce qui les rend plus sensibles aux infections. L'effet néfaste de la puff était encore plus marqué avec le goût menthe, d'où une vulnérabilité notable aux pneumonies bactériennes. Puisque les consommateurs ont tendance à tirer plus fort avec l'arôme mentholé, la crainte des effets sur les humains est particulièrement prégnante.
D'autres soucis de santé en vue?
Cela fait déjà pas mal de points négatifs, mais la liste pourrait ne pas s'arrêter là. Puisqu'il s'agit d'un produit récent, il reste difficile de connaître toutes les retombées possibles de sa consommation, comme l'explique à 20 Minutes Loïc Josseran, président de l’ACT-Alliance contre le tabac. "D’autant qu’il y a une grosse inconnue sur la composition des liquides aromatisés ne contenant pas de nicotine: ils ne sont ni testés, ni soumis à une réglementation avant leur mise sur le marché", fait-il remarquer. Problème supplémentaire: "pour proposer cette multitude de parfums, les industriels ont forcément recours à un arsenal de molécules chimiques dont on ne sait rien ou presque. Leurs liquides contiennent-ils des additifs problématiques, ont-ils des effets perturbateurs endocriniens? On l’ignore, on est sur une absence totale de données".
L’Association pulmonaire du Canada alerte pour sa part sur un autre aspect: le processus de chauffage lié à l'utilisation des puffs. Selon elle, cela pourrait "produire des substances chimiques comme du formaldéhyde et d’autres contaminants, y compris du nickel, de l’étain et de l’aluminium".
En novembre 2022, la Belgique a été l'un des premiers pays a vouloir interdire la puff. Le projet a été retoqué par la Commission européenne au vu d'une contradiction avec une directive européenne. "Pour déroger à cette directive, on doit pouvoir justifier d’une problématique spécifique à la Belgique. Et c’est en cours, un dossier a été envoyé à la Commission", fait savoir à la RTBF Mathieu Capouet, expert tabac devenu inspecteur de santé publique auprès du SPF Santé Publique. Une réponse européenne est attendue prochainement.