
Ce médecin dénonce l'imposture de la lutte antidopage dans le sport

Médecin français du sport, responsable des contrôles antidopage sur le Tour de France de 1973 à 1975 et auteur de nombreux livres et articles de revue, le docteur Jean-Pierre de Mondenard déploie depuis plus de 40 ans un zèle inextinguible à étudier la question du dopage sportif sous toutes ses coutures. Il n’a de cesse de dénoncer les incohérences, “l’amateurisme”, la communication mensongère, les conflits d’intérêts, les injustices qui jalonnent l’histoire de la lutte antidopage. Et quand les instances chargées de la mener se gargarisent de chiffres censés démontrer l’efficacité de leur action, il crie à l’imposture. En 2019, l’Agence mondiale antidopage (AMA) avançait fièrement que 0,97 % seulement des prélèvements analysés étaient anormaux. Le docteur de Mondenard, lui, cite Mark Twain: “Il y a trois sortes de mensonges. Les mensonges, les satanés mensonges et les statistiques”.
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Pour le médecin français, le faible pourcentage de cas positifs recensés ces dernières années n’est que le reflet de l’incapacité des contrôles à déjouer les stratagèmes d’un sportif pro où tous les athlètes ou presque sont médicalisés et la plupart soigneusement dopés. C’est d’ailleurs en 2019 qu’a éclaté l’affaire Aderlass, à la suite des révélations du fondeur autrichien Johannes Dürr. Elle avait trait aux pratiques de dopage du médecin allemand Mark Schmidt et impliquait essentiellement une trentaine de skieurs de fond et de cyclistes. Des écoutes téléphoniques et des SMS ont prouvé que les sportifs concernés prenaient notamment des hormones de croissance et de l’EPO et recevaient des transfusions sanguines. Aucun d’eux n’a jamais fait l’objet d’un contrôle positif depuis le début des années 2010.
Trente produits sur 300
Selon Jean-Pierre de Mondenard, les contrôles eux-mêmes constituent, dans leur forme actuelle, un vecteur de propagation du dopage. Il estime que, depuis qu’elle existe, la lutte antidopage n’a cessé de labelliser “propres” des tricheurs. Seuls les contrôles inopinés, durant les périodes d’entraînement, ont une certaine efficacité, ceux effectués au terme des épreuves sportives pouvant être traversés sans encombre. Mais, de toute façon, l’existence de substances indécelables souligne toutes les limites de la lutte contre le dopage. “Si l’on se réfère à l’ensemble des contrôles positifs, on trouve une trentaine de substances différentes, toujours les mêmes. Trente, alors que la liste des produits interdits en compte plus de trois cents! Que faut-il en déduire? Que les laboratoires cherchent des produits que les sportifs n’utilisent plus et que les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne trouvent pas”, dit le médecin.
Il rappelle que treize ans se sont écoulés entre le moment où les athlètes ont commencé à recourir à l’EPO et celui où la lutte antidopage a été en mesure de les épingler. Pour les corticoïdes, ce serait vingt et un ans. Des délais qui restent d’actualité selon notre interlocuteur, si ce n’est que les produits indétectables et les techniques ont changé. D’après lui, la répression ne marche pas, et ce, pour trois raisons majeures. “D’abord, il existe toujours des substances indécelables ou “borderline” (dopants non listés tels que le tramadol, la caféine, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, etc.). Ensuite, la lutte antidopage n’est pas effectuée avec la même pugnacité dans tous les pays et par toutes les fédérations internationales.” Les contrôles sont inexistants en Jamaïque, en Afrique et en Amérique du Sud, ou truqués par les instances antidopage, comme ce fut récemment le cas en Russie. “Enfin, les fédérations nationales et internationales sanctionnent a minima ou blanchissent à tour de bras.”

La patineuse russe Kamila Valieva au cœur d'une retentissante affaire de dopage aux JO de Pékin. © BelgaImage
Du piston dans le peloton
Portant principalement sur les glucocorticoïdes, les autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT), qui se justifient par le droit aux soins des sportifs, font aussi l’objet d’une profusion de prescriptions abusives. Par ailleurs, des seuils ont été définis sous lesquels la consommation de certaines substances demeure légale. ”Les athlètes ont donc le droit de se doper jusqu’à la limite légale.” Enfin, de nombreuses substances (stimulants, narcotiques, cannabinoïdes, glucocorticoïdes) ne sont interdites qu’en compétition. Des produits tels que la cocaïne, les amphétamines, le Captagon (célèbre dopant des sports collectifs) ou le bromantan (stimulant russe) permettent au sportif de flirter avec ses limites, d’accepter une charge d’entraînement supérieure et d’une plus grande intensité. Ce qui est de nature à le rendre plus performant en compétition. “Il n’y a que l’AMA qui considère que, dans un but de performance, l’entraînement ne sert à rien...”
Le docteur n’hésite pas à parler de clan quand il évoque les liens entre l’AMA, le CIO, le TAS (Tribunal arbitral du sport) et l’ITA (International Testing Agency), créée en 2018, qui instruit aujourd’hui les affaires de dopage d’une cinquantaine de fédérations internationales. “Depuis des années, je dénonce l’incapacité des fédérations à lutter contre le dopage, dans la mesure où elles sont juge et partie. Présentée comme indépendante, l’ITA, “fille” de l’AMA, est censée répondre à cette carence, si ce n’est que son indépendance est purement théorique.” Pour étayer sa dénonciation d’une connivence entre les instances internationales antidopage réputées indépendantes, il se réfère notamment à leurs organigrammes respectifs. Qui dirige le CIO? L’Allemand Thomas Bach, qui a exercé au TAS. Et l’ITA? La Française Valérie Fourneyron, qui a été en fonction à l’AMA. Tout se mêle au point de former une “famille antidopage”.
Y a-t-il un docteur dans la salle de sport?
Autre dérive, la nomination de personnes incompétentes dans les hautes sphères de ces instances. Roxana Maracineanu, ministre des Sports du gouvernement français entre 2018 et 2020, puis ministre déléguée, a intégré le comité exécutif de l’AMA le 1er janvier 2022. “Les dopés tremblent déjà! Cet ex-nageuse, que connaît-elle de la pharmacologie et de l’hormonologie des drogues de la performance, de la médecine du sport, de la physiologie de l’effort? Cette nouvelle nomination illustre bien l’entre-soi des instances et surtout le peu de sérieux de l’AMA.” Jamais le président de l’AMA n’a été un médecin. “On s’aperçoit le plus souvent que ceux qui sont nommés à la tête des agences antidopage, y compris l’AMA, ne possèdent pas le profil requis. L’objectif des fédérations et des instances antidopage est de donner l’illusion qu’elles luttent pour éradiquer le dopage mais de coincer peu d’athlètes afin de ne pas mettre en péril le sport de haut niveau.”