
Les Belges du bout de la rue: À Herbeumont, ils ont créé un nouveau club de football

Les échanges de ballon sont un peu laborieux. Peu importe, il s’agit du tout premier entraînement. Ce mercredi soir, sur les hauteurs de Saint-Médard, entité de la commune d’Herbeumont, ils sont une grosse dizaine à se plier à des exercices de remise en forme. Rafraîchissant, le vent transporte les odeurs de la forêt environnante jusqu’aux narines d’un grand bonhomme aux faux airs de Pierre Tchernia, particulièrement attentif à la scène. “Ce n’est pas tant de voir les joueurs qui me fait plaisir que de sentir leur engouement, leur énergie!”, s’enflamme Claude Hennuy, le président du tout nouveau FC Herbeumont. Le terrain n’est pas encore tracé, ni équipé de piquets de coin ou de filet de but, mais il n’y en a probablement pas besoin pour s’entraîner.
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D’autant que le reste des infrastructures de feu la RUS Saint-Médard sont dans un état impeccable. Les vestiaires sont remis à neuf, les goals recapés après quatre jours d’effort, tandis que des fleurs colorent des tribunes passées au Kärcher pour les délivrer de la couche de mousse accumulée depuis trois ans. De quoi faire la fierté du responsable du club même si, de son propre aveu, Claude n’y connaît rien en foot. “À la base, je ne suis pas trop fan, lâche-t-il dans un rire franc. Mais vu que ma femme adore et que ma fille joue, je n’ai pas trop eu le choix.” Au point de troquer son écharpe de supporter pour une veste de président…
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Équipe première
Quelques jours plus tôt, dans la buvette au bardage en bois, neuf joueurs s’amassent autour d’une caisse en carton pour en ôter les maillots à tester avant de passer commande. “J’ai une grande gueule, mais un petit corps”, se marre l’un d’eux. Ces gars viennent de Bertrix, Neufchâteau ou Herbeumont, comme Juan, un Colombien qui est à deux doigts d’hériter d’une taille XL alors qu’il ne dépasse pas le mètre 70. L’inévitable conséquence de la barrière de la langue, que ce résident du centre Fedasil voisin compte bien faire tomber grâce au foot. “Je recherchais un club donc je n’ai pas hésité longtemps quand j’ai vu l’annonce”, confie le jeune homme, recruté grâce à une campagne menée tambour battant sur les réseaux sociaux par Françoise, la secrétaire et épouse de Claude. “On a manqué de temps et de budget, ce n’est pas facile de trouver des sponsors quand on crée un tout nouveau club et que personne ne nous connaît, regrette-t-elle, boucles en croix aux oreilles, rose tatouée sur le bras gauche. Finalement, on a préféré se limiter à une seule formation du championnat de réserve pour éviter de recevoir une amende de 3.000 euros en cas de forfait. L’équipe première, ça sera pour la saison prochaine.”

Claude Hennuy vérifie les tailles de maillots de ses futurs joueurs (qu’il ne connaît pas encore). © Emilien Hofman
Une fois les différentes tailles de maillots inscrites sur un carnet, quatre comitards entament la réunion de présaison. Face aux joueurs et à un panel de photos vintage de l’ancien club de Saint-Médard, dont le nom a été abandonné pour marquer la rupture avec le passé. De sa chaise haute, Claude détaille la charte et les objectifs du FCH. Il y a quelques années, il avait déjà voulu reprendre la gestion d’un club, à Neufchâteau. “Je suis quelqu’un d’assez carré, je voulais remettre un peu d’ordre là-bas où la réputation était ternie par des rumeurs quant à la mauvaise gestion du comité. Hélas, les papiers n’ont jamais été en ordre.” À l’été 2021, deux anciens bénévoles chestrolais l’informent que les installations de Saint-Médard sont à l’abandon. Quand ils le poussent à ressortir du frigo ses ambitions de présidence, le quinquagénaire hésite. A-t-il les capacités et le temps pour endosser une telle responsabilité? Autour de lui, ses proches le rassurent: les deux de Neufchâteau s’occuperont de la partie sportive, Françoise, de la trésorerie et son amie Martine, de la logistique du bar.
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Dribbler les sangliers
Alors Claude se lance. Il y a du boulot, mais l’homme est un bricoleur-né. “Ne me parlez pas de vacances, donnez-moi plutôt un pinceau et une foreuse”, envoie celui qui coordonne en deux mois de temps la rénovation des douches, l’entretien du terrain jusque-là investi par les sangliers et les biches, et qui apprend en parallèle son “métier” administratif en créant l’ASBL. Pour assurer la naissance du club, les membres du comité y vont même de leur propre poche et constituent un budget avoisinant les 6.000 euros. Un investissement sans limite que Claude estime important de souligner à l’occasion du premier contact avec les joueurs. “On attend le même sérieux de votre part.”
Pour se faire connaître des locaux, le nouveau comité herbeumontois a déjà donné un coup de main au club de jeunes du village lors de la kermesse. Pour stabiliser ses comptes, il a décidé de louer ses installations pour des camps. Ce mardi matin, le président relève d’ailleurs les compteurs et règle les derniers détails avec une unité scoute. “On a dégagé les cailloux de la prairie voisine pour y installer les tentes”, glisse-t-il au responsable du mouvement de jeunesse, qui s’intéresse en retour à l’actualité du club. Claude sourit. N’étant pas originaires de la commune, les nouveaux venus ont pourtant fait face au scepticisme des autorités locales et du voisinage à leur arrivée. “On a dû remettre plusieurs dossiers à la commune pour obtenir les clés, mais elle nous a directement signifié qu’elle ne pourrait pas nous aider, faute de budget et de temps, explique Catherine, t-shirt à rayures colorées sur les épaules. Ça nous a motivés à remettre les installations en parfait état. Seuls. Pour prouver qu’on n’est pas des manchots et qu’on a un vrai projet.” Depuis la kermesse, le trio sent heureusement que le vent tourne: les “nouveaux” ne sont plus vus comme des étrangers venus s’accaparer des installations communales.
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Mots d’ordre du club: engagement, respect et 3e mi-temps. © Emilien Hofman
Passe en profondeur
Alors que les scouts préparent leur premier repas - des pâtes, évidemment -, Françoise vérifie les frigos. Mais ces derniers temps, c’est surtout la tondeuse qui l’occupe et qu’elle trimballe sur le chantier pharaonique que représente un terrain de foot. “C’est long, mais c’est dans un cadre de rêve, en pleine nature. J’y passe pratiquement plus de temps que chez moi tellement c’est calme et isolé. On se croirait en vacances!” Troisième d’une fratrie féminine, Françoise a été plongée dans le foot grâce à son papa, elle se souvient de moments forts et exclusifs dans le salon avec lui, devant les matchs du Standard de Liège. Plus tard, c’est en accompagnant sa fille aux matchs qu’elle a rencontré Martine, entre-temps devenue une véritable amie de promenade, de fête et donc de foot. “Pour nous, cet investissement dans le comité est aussi un moyen de rendre hommage et de préserver ce sport qui nous a déjà tant apporté”, précise la responsable du bar, provisoirement occupée à ranger le vestiaire de l’arbitre.
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À l’étage, accoudé au comptoir, Claude concède un peu de fatigue. Le coup de fil des scouts, débarqués de Chastre peu avant midi, l’a réveillé alors qu’il revenait à peine de sa nuit de travail. Ce technicien en électronique accumule 56 heures par semaine, sans compter une quinzaine d’autres sur la route. Qu’est-ce qui peut donc bien le motiver à consacrer le temps qui lui reste au club d’un foot dont il n’est pas fanatique et d’un village qui n’est pas le sien? “Les mauvaises gestions d’associations locales et l’abandon d’installations de qualité me dérangent beaucoup, assure-t-il, une boisson rafraîchissante à la main. Ce qui m’anime, c’est de me lancer à fond dans un projet de groupe et d’atteindre les objectifs fixés. J’ai envie de prouver que même si on n’y connaît rien en foot, on peut réussir quelque chose de bien.” Comme contribuer à dynamiser Saint-Médard, par exemple. Le FCH ambitionne ainsi de créer des équipes pour enfants pour “éviter de laisser mourir” la jeunesse du coin ou de “la voir filer ailleurs, où ça bouge”. Avec ses douches, ses sanitaires et sa salle équipée, le club peut par ailleurs devenir un acteur majeur de la commune en accueillant diverses manifestations sportives ou festives. “On ne cherche pas à concurrencer les autres associations, mais à créer des liens avec elles, pour amener de la vie, du monde et des bénéfices pour tous, enchaîne Claude. C’est en ayant un rayonnement positif que notre club pourra se maintenir.” Sur le terrain, c’est déjà acquis: en réserve, la rétrogradation n’est pas possible.