
Swann Borsellino : «Je suis en désaccord avec beaucoup de gens sur le bilan de Martinez»
La Coupe du monde la plus polémique de l’histoire a débuté au Qatar. Mais sur le terrain, 32 équipes vont s’écharper pour le graal. Avec Swann Borsellino, on revient à l’essence de la compétition et à l’amour du jeu. Ce qui ne l’empêche pas de garder un regard lucide, voire critique, sur le sport le plus populaire du monde, prêt à déchaîner les passions durant un mois.
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Tu arrives à te passionner pour cette Coupe du monde?
Swann Borsellino - Le contexte inhérent au Qatar et la période m’ont empêché de rentrer dedans avant qu’elle débute. Une semaine avant le premier match, je commentais Standard-Union, et là je suis sur le plateau pour la Coupe du monde. C’est inhabituel. Je n’ai pas eu mon petit calendrier de l’Avent. En général, la saison se termine au mois de mai, tu as le temps de faire un break, d’analyser les équipes et de remplir ton album Panini. Ici c’est arrivé très vite, pour les joueurs, les fans, les journalistes...
Quel est ton rapport au Mondial?
Si on met de côté le contexte sociétal de cette édition, les matchs de Coupe du monde sont très importants pour moi. Je suis né en 1991, j’ai grandi avec le Mondial 98. Pour les enfants, ce sont des compétitions qui sont structurantes, qu’on partage avec les parents. C’est beaucoup plus important que la Ligue des champions ou les championnats. Les moments que je préfère, ce sont les huitièmes de finale.
Pourquoi?
Il y a des matchs typiques de la Coupe du monde. Genre un Nigeria-Brésil par exemple. Tu retrouves toujours le Mexique aussi... Ce sont souvent des matchs assez spectaculaires avec des scénarios particuliers. En fait, quand t’arrives au niveau des quarts ou des demi, ce sont souvent les mêmes équipes qui reviennent. Les huitièmes, c’est le moment où tout est ouvert.
C’est aussi un stade de la compétition où les joueurs sont encore relativement frais et où ils calculent moins...
Oui, il y a de ça. Mais tu vas aussi d’office avoir un favori qui a fini deuxième et qui va donc choper un premier de poule, et ça va donner une belle affiche. Tu vas avoir une petite équipe- surprise... Ce sont des matchs que tu ne vois qu’une fois tous les quatre ans.
Qui vois-tu émerger dans un mois?
Le Brésil et l’Argentine. On a la tête dans le foot européen donc on ne s’en rend peut-être pas compte, mais ce sont deux équipes qui tournent très bien. Au-delà de ça, il y a des trucs un peu mystiques que j’aime bien. C’est la dernière de Messi. C’est un demi-dieu, et s’il veut être un dieu en Argentine, il doit gagner le Mondial comme Maradona. Et je sais que les 22 autres mecs sont là, le couteau entre les dents, pour que Messi puisse accéder à ce statut de légende. Donc l’Argentine aura très faim. Au Brésil, déjà il y a énormément de talent à tous les postes, mais surtout, vu son début de saison au PSG, Neymar a l’air d’avoir fortement envie de la gagner.
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Tu attends une équipe frisson?
En tant que Français, j’ai peur du Danemark. On les avait quittés à l’Euro où, pour moi, ils s’étaient à moitié fait voler en demi-finale par l’Angleterre. L’équipe a continué à bien travailler, et elle a tout pour plaire: c’est un petit pays, il n’y a pas de star, elle joue bien au foot. Et après, j’ai toujours une petite affection pour le Japon, qui est dans une poule très compliquée avec l’Allemagne et l’Espagne. Ça ne m’étonnerait pas que les Japonais fassent un sale coup aux Allemands. Les Belges pourraient les rencontrer en huitième. Un petit Belgique-Japon, ça rappellera des bons souvenirs...
Des joueurs que tu attends particulièrement?
Je ne vais pas être très original en disant Neymar. J’attends aussi Kylian Mbappé, c’est le moment de montrer autre chose que ce qui l’a entouré, de manière extra-sportive, ces derniers mois. Après son interview au vitriol où il critique Manchester United, je me demande aussi ce que va faire Cristiano Ronaldo. On a l’habitude de le voir rebondir. Et puis il y a plein de petits jeunes: Bellingham en Angleterre, qui doit prouver qu’il est incroyable; Musiala en Allemagne, très fort aussi...

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Quel regard portes-tu sur les Diables, toi qui as un pied dedans et un pied dehors?
Je suis curieux de les voir avec une étiquette différente et débarrassés d’une certaine forme de pression. Je comprends les réserves, dans le sens où l’équipe est vieillissante et qu’en même temps, les jeunes ne sont pas au niveau des anciens. Hazard disait que les Diables n’étaient pas favoris mais qu’aucune équipe ne serait contente de les jouer. C’est vrai. On verra selon la forme physique de Lukaku, très important, et d’Eden Hazard. Je trouve normal que les ambitions soient revues à la baisse, mais moi, quand je vois Kevin De Bruyne sur un terrain de foot, je suis toujours content.
Et comment tu vois les rapports entre les supporters belges et leur équipe nationale?
Je suis en désaccord avec beaucoup de gens sur le bilan de Martinez. Beaucoup estiment que son mandat est un échec parce que la Belgique n’a rien gagné. Moi je trouve que pour les grandes compétitions, tu ne peux pas baser tout le bilan d’un coach ou d’une génération sur le fait qu’ils aient gagné ou non. En 2018, la Belgique était la meilleure équipe. Tu ne peux pas dresser un bilan négatif de ce qu’il s’est passé ces dernières années. Depuis 2014, le vrai échec c’est l’Euro 2016. Mais il ne faut pas oublier le creux dans lequel a été le football belge et qu’ensuite, il est revenu à une place extrêmement importante du football mondial.
Au-delà de cette génération dorée, tu vois la Belgique rester une nation importante du foot mondial?
Martinez s’est intéressé à beaucoup de strates du football belge. Et on voit dans les équipes de jeunes que ça paie, parce qu’on observe beaucoup de talents et de bons résultats. La Belgique ne retombera pas et ne ratera pas beaucoup de grandes compétitions à l’avenir. Un cap a été franchi dans le niveau global. Après, je reste persuadé que les clubs peuvent faire mieux pour la formation et que le format de la D1B est pénalisant en la matière.
Un peu partout dans le monde, des supporters s’expriment avec une certaine agressivité. Leur relation avec les institutions que sont les fédérations ou les clubs a-t-elle déjà été si compliquée?
Franchement, je ne pense pas. Et j’ai bien peur que le gap continue à se creuser. Le Covid n’a pas aidé, les clubs sont devenus de plus en plus pragmatiques et les supporters de plus en plus désenchantés. On est dans une perpétuelle opposition entre la passion et la raison, pour ne pas dire une volonté de profit. Ce sont deux paroisses qui peuvent échanger, cordialement parfois, mais qui ne peuvent pas se comprendre. Cela dit, on ne peut pas généraliser les supporters. Certains voudront que leur club soit géré de manière éthique, et d’autres préféreraient qu’il soit racheté par un magnat et qu’il ait des bons joueurs. En tant que supporter, moi je me réfugie dans le fait que j’aime le jeu.
C’est ta réponse quand on te demande ce que tu penses de cette Coupe du monde au Qatar?
Oui, je pense avoir une conscience morale et être bien ancré dans 2022, mais tu ne m’empêcheras pas de prendre du plaisir à regarder un match de foot.
Tu t’étais déjà posé des questions sur les grandes compétitions avant ce Mondial?
J’y avais déjà pensé, mais les prises de conscience écologiques se multipliant, j’ai commencé à penser à des choses auxquelles je pensais moins avant. Par exemple, quand je pars à Malmö commenter l’Union en Europa League, je me rends compte qu’on part tous en avion et qu’un match de poule d’Europa League draine énormément de déplacements. C’est une question que je ne me posais pas il y a dix ans. Je n’aurais pas cru à ce moment-là me sentir un peu coupable de faire ça, parce que j’adore le foot et que c’est ma passion. Je fais un très beau métier, ça me fait kiffer, mais est-ce qu’il vaudrait mieux que je ne le fasse pas? C’est une question philosophique à laquelle j’aimerais bien avoir une réponse, mais je n’en ai pas encore.