Pourquoi le cyclo-cross est à la mode : « Un croisement entre le cyclisme, l’athlétisme, le scoutisme et la bataille de Verdun »

Ces derniers mois, le cyclo-cross a gagné en popularité au sud du pays. On est encore loin de l’engouement qu’il connaît en Flandre, dont cette discipline fait partie de l’ADN. Mais des Wallons se font un nom.

Wout Van Aert cyclo-cross
Wout van Aert sera très attendu aux championnats du monde du 5 février aux Pays-Bas. © BelgaImage

Le dimanche 15 janvier, notre pays a vibré. Au rythme de ses champions cyclo-crossmen. Les championnats de Belgique de la discipline se déroulaient à Lokeren, offrant à Michael Vanthourenhout, déjà champion d’Europe, son premier titre de champion national, devant Laurens Sweeck, Thibau Nys et Eli Iserbyt. La veille, chez les femmes, Senne Cant qui montait sur le trône devant Marion Norbert-Riberolle. Là, comme ça, il est probable qu’en tant que lecteur francophone, ces noms ne vous disent pas grand-chose, à moins d’être un mordu de vélo dans la boue. Mais si l’on vous cite les noms de Wout van Aert, Mathieu van der Poel ou Tom Pidcock?

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Les trois stars de la discipline, que l’on croise également sur les grands tours, n’étaient pas présentes à Lokeren, pour diverses raisons. La plus évidente étant que VDP et Pidcock ne sont… pas belges. WVA de son côté a privilégié la préparation des championnats du monde, le 5 février. Une course qui constituera l’aboutissement d’une ­saison épique, qui a soulevé un engouement remarquable (et visible sur la chaîne Tipik) du côté francophone. Car si, historiquement, le cyclo-cross est une religion au nord du pays, la Wallonie grignote ­doucement des parts de marché. Et les spectateurs suivent discrètement. “Il s’est beaucoup ouvert aux franco­phones, alors qu’il a longtemps été le monopole de la Flandre et des Pays-Bas”, explique Alexis Raedts, cocréateur du compte Twitter Cyclistes belges et du podcast Le Petit Plateau.

Il pointe plusieurs raisons à cet attrait. “Beaucoup de personnes ont commencé à s’intéresser au vélo durant le Covid. Et durant l’hiver, quand la saison sur route est terminée, le cyclo-cross prend le relais. C’est le format idéal: dimanche après-midi, une heure, et il est attrayant parce qu’il y a beaucoup de suspense et d’action. Et puis surtout, il y a van Aert, van der Poel et Pidcock. Je n’ai jamais vu autant de publications sur les réseaux sociaux sur le cyclo-cross que depuis qu’ils sont revenus.” Non, ils n’étaient pas partis, mais tous les trois sont devenus des valeurs sûres du cyclisme sur route. “Ce sont des coureurs qui ont énormément de fans quand ils roulent sur la route. Soit on les adore, soit on les déteste. Ils sont atypiques, forts et polyvalents. Leur seule présence attire l’attention des médias, et donc du public.

Prime time

Le 15 janvier, le Wallon Clément Horny a réussi la plus belle performance de sa carrière, se classant 15e des championnats de Belgique. Surtout, il est arrivé deuxième au classement des coureurs sans contrat. ­Doucement, il se fait un nom dans le monde très flamand du cyclo-cross. L’entrain francophone autour des courses, il le ressent de l’intérieur, même s’il relativise un peu. “On reste loin de l’engouement qu’il y a en ­Flandre. Si on regarde au niveau des courses, on en a une en Wallonie, à la Citadelle de Namur. Au Nord, il y en a trois par semaine durant la saison. Mais l’enthousiasme augmente d’année en année. Et puis, on est tellement peu de Wallons à pouvoir concourir avec les meilleurs au monde qu’à chaque fois qu’il y en a un, il est mis en avant.”

CYCLOCROSS

Un sport si belge que certains coureurs ont remporté plus de titres mondiaux que... belges. © BelgaImage

Alexis Raedts aperçoit également les ambitions de l’UCI, l’Union cycliste internationale, qui investit chaque année un peu plus pour promouvoir le cyclo-cross. “L’UCI essaie d’internationaliser le cyclo-cross, avec des courses se déroulant aux États-Unis (notamment le championnat du monde de l’année dernière), à Dublin ou en République tchèque. Elle met beaucoup de moyens pour que ça prenne dans ce genre de pays.” Et parmi ces moyens, il y a ceux déployés pour faire venir les meilleurs. C’est-à-dire, encore et toujours, van Aert, van der Poel et Pidcock. “L’UCI leur demande de venir aux courses avec de bons gros chèques pour attirer les médias. Je pense qu’ils aiment vraiment ce sport mais ils reçoivent clairement une prime à la participation.

Départ de F1

Concrètement, comment fonctionne le cyclo-cross? D’abord, au contraire de la route qui suit un tracé, il se déroule sur un circuit, assez court, que les coureurs vont parcourir plusieurs fois. Un circuit dessiné dans les sous-bois, les labourés ou dans le sable. Au commencement de la course, les coureurs ne savent pas combien de tours ils vont devoir effectuer. En fonction du temps qu’ils effectuent durant les deux premiers tours, on calcule le nombre total pour que la course dure une heure. ­Plusieurs compétitions cohabitent: les championnats du monde, en une course, puis la Coupe du monde, le Super Prestige et le X2O Trofee. Des compétitions qui se déroulent sous forme de manches, comme celles qui ont occupé les coureurs depuis le mois de novembre. “La plus prestigieuse, c’est la Coupe du monde car c’est la plus internationale et celle où il y a le plus de moyens. Mais on peut voir van Aert ou van der Poel sur les autres aussi. Et ceux qui ne font pas de route essaient d’en courir le plus possible.

En 2010, le journaliste de la VRT Karl Vannieuwkerke racontait au Nieuwsblad le switch gagnant de sa chaîne. “Lorsqu’on a perdu le football, on s’est tourné vers le cyclisme. La couverture médiatique a considérablement augmenté. Les coureurs sont devenus de ­véritables célébrités, et les téléspectateurs adorent cela.” Douze ans plus tard, le succès ne se dément pas. Les dimanches à cheval sur la fin et le début d’année attirent plus d’un million et demi de Flamands devant leur télé. C’est que le cyclo-cross a la chance d’être particulièrement télégénique. Spectaculaire, avec un départ de F1 où il est essentiel de bien se placer, son tracé en circuit permet aussi l’installation de nombreuses caméras fixes. Et on sait qu’un sport bien filmé a nettement plus de chances d’être apprécié. Lorsqu’on fait l’effort de se poster au bord du circuit, souvent dans le froid cru de l’hiver, on est récompensé en voyant passer les ­coureurs un bon nombre de fois. Les spectateurs aiment à voir la boue qui ­recouvre leur corps, leur visage, et la buée qui sort de leur bouche.

Course à pied

Encore davantage que le vélo sur route, le cyclo-cross fait réellement partie de l’identité flamande. Le philosophe Guido Vanheeswijck a étudié cet amour partagé dans la revue scienti­fique Karakter. “À partir de la seconde moitié des années 1960, quand Eric De Vlaeminck a commencé à enchaîner les titres mondiaux, le top mondial était plus ou moins synonyme de top belge ou flamand. La bataille pour le titre mondial était souvent une reprise de la bataille pour le titre belge et vice versa. Vous avez donc le phénomène étrange qu’en cyclo-cross, certains coureurs ont remporté plus de titres mondiaux que de titres belges.” Ces gars de chez nous prennent aussi le temps de ­rencontrer les fans autour du circuit, renforçant l’affect qui les lie. “Le cyclo-cross, en ces “temps de mondialisation”, dégage un air de nostalgie, fausse ou non. Toutes les activités se déroulent sur le terrain, comme si nous avions arrêté le temps jusqu’à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. La toile de fond est celle d’une société où le champ du fermier était encore central, les cavaliers se frayant un chemin dans la boue, piétinant sur des routes creuses ou manœuvrant habilement sur d’étroites routes de campagne.” Il termine son analyse en faisant sienne une rengaine qui revient souvent au bord des circuits néerlandais. “Le cyclo-cross est un croisement entre le cyclisme, l’athlétisme, le scoutisme et la bataille de Verdun.”

Rien que ça. Et ce n’est pas Clément Horny qui va le contredire. “On est ­confronté à des conditions extrêmes. Il peut faire très froid et très boueux. On roule parfois dans le sable, comme à Coxyde. C’est une des disciplines les plus physiques du cyclisme. Sur route, les sprinters peuvent se cacher durant une partie de la course. En cyclo-cross, on ne peut pas se cacher.” Le plaisir se situe alors dans la capacité à jouer avec ses limites. “On veut toujours repousser l’effort un peu plus loin, et progresser dans différents petits détails. Et puis il y a le public, qui nous porte.” Le coureur wallon rapproche davantage le cyclo-cross du VTT, qu’il pratique lui-même en été. “Sur route, on travaille plus en endurance, avec des courses qui peuvent durer quatre à cinq heures. En cyclo, on cherche plutôt l’explosivité.” Il faut également savoir courir, tant il est impossible de rouler dans certaines portions. “Pour rouler dans les bois, il faut aussi être ­technique, et il y a l’aspect stratégique. Bref, le cyclo-crossman est vraiment un coureur complet.”

Le dimanche 5, suivez les championnats du monde de cyclo-cross à 14h55 sur Tipik

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